La Sierra Nevada de S. Marta en Colombie (Amérique du Sud)
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La Sierra Nevada de S. Marta en Colombie (Amérique du Sud)

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PAR PIERO GHIGLIONE, MILAN

Avec 10 illustrations ( 11-20 ) et un croquis topographique Pour me rendre de Rome à Lima j' ai maintes fois utilisé l' aéroligne Alitalia jusqu' à Caracas, capitale du Venezuela, pour continuer de l' aérodrome de Maiquetia ( Caracas ) sur Lima via Bogota—Quito par l' aéroligne Panagra. Au cours de ces voyages ( dans les années 1950-1956 ), j' ai eu l' occasion de survoler bien des fois la splendide Sierra.

La Sierra Nevada est une véritable forêt de sommets neigeux et rocheux, s' élevant au-dessus de l' autre, la verte forêt vierge des tropiques. Je me promis de visiter un jour la Sierra des rochers et des glaciers pour faire l' ascension de ses fières pyramides de glace qui se reflètent dans la Mer des Caraïbes. L' occasion s' en présenta à la fin de 1957. Les meilleurs mois pour se rendre dans ces montagnes sont les mois secs de janvier et février, saison appelée « verano », l' été, car le soleil brille alors chaque jour et il fait très chaud. Cependant, du point de vue géographique, il s' agit de l' hiver, puisque la Sierra s' élève au nord de l' équateur.

En février 1939 une expédition allemande réussit l' ascension du Pico Bolivar, 5775 m, le plus haut sommet de la Sierra Nevada. Un Italien domicilié à Baranquilla, Enrico Praolini, prit part à cette expédition. Mais il faut remonter au siècle dernier pour trouver les premières explorations dans cette région. Ce fut le géologue anglais Simons qui, en 1881, pénétra le premier dans la Sierra, suivi plus tard par le géographe allemand Sievers. Mais aucun de ces savants n' essaya d' entreprendre des ascensions. Ce fut, semble-t-il, le Français De Brettes qui s' y risqua le premier et c' est à lui qu' on attribue la conquête du Guardian ( 5295 m ).

La Sierra Nevada est formée de deux chaînes principales, la chaîne nord et la chaîne sud. Le Guardian, qui se dresse dans la chaîne sud, en forme la cime la plus importante. Jusqu' à d' hui l' ascension directe par le côté nord n' a pas été réussie. Citons encore dans cette chaîne le Pico Tairona ( 5000 m ), au double sommet, situé à l' ouest du Guardian, et la Chundua ( 5000 m environ aussi ), tout à fait à l' est. Le Guardian lui-même présente plusieurs sommets et arêtes recouverts de glace, dont l' ascension n' est pas aisée. Ces montagnes sont en général difficiles à atteindre du côté nord.

Dans la chaîne nord de la Sierra nous trouvons, de l' ouest à l' est, les sommets importants suivants: Pico Santander ( 5600 m ), Pico Simons ( 5690 m ), Pico Bolivar ( 5775 m ) et Cristobal Colon ( 5775 m ). Les deux derniers sont les points les plus élevés de la Sierra Nevada. Un peu plus à l' est, la chaîne nord se prolonge par deux sommets majestueux, le Pico Ojeda N. I ( 5490 m ) et, légèrement vers le sud, presque vis-à-vis de cette montagne, la Reina ( 5535 m ). Entre eux s' étend le plus grand glacier de toute la Sierra.

Une autre chaîne allongée, les Nevaditos, se détache vers l' est du Pico Ojeda N. I, et à l' est de l' Ojeda I se dresse un sommet presque semblable, un peu plus bas, que nous appellerons ici provisoirement Ojeda II. De la Reina se détache aussi une longue chaîne en direction sud-est, les Picos Orientales, ainsi nommés parce qu' ils comprennent les sommets situés le plus à l' est et à la périphérie de la Sierra. La chaîne nord se rapproche sensiblement de la Mer des Caraïbes, en particulier dans la région du Cristobal Colon et de l' Ojeda I.

Les premiers pionniers pénétrèrent dans la Sierra par le sud ou l' est. Le but principal de leurs entreprises était l' exploration scientifique de la région. Puis, bien des années d' inaction s' écou entre la fin du siècle dernier et les nouvelles expéditions. Une nouvelle visite à la Sierra ne fut entreprise qu' en 1911 par le missionnaire Sigismondo del Real de Gaudia; mais lui non plus ne fit aucune ascension. La Sierra retomba ensuite dans l' oubli jusqu' en 1936, où deux Suisses fixés à l' étranger, Willy Weber et S. Lötscher, tentèrent le Pico Bolivar. A la descente Weber trouva la mort dans une crevasse du glacier. Son corps ne put être retrouvé.

Une expédition américaine conduite par le géographe Cabot suivit trois ans plus tard; elle se proposait de faire une exploration géographique de la Sierra Nevada et de prendre des relevés topographiques. Envoyée par la Geographical Society de New-York, elle comptait parmi ses membres des savants et des alpinistes connus, entre autres Erwin Kraus, un Allemand établi à Bogota. L' expédition réussit l' ascension du second sommet de la Sierra, le Cristobal Colon ( 5775 m ) et dressa une carte géographique détaillée, portant les différents sommets avec leurs cotes.

En 1943 une expédition fut entreprise par le couple intrépide Frédéric et Dorly Marmillod-Eisenhut et par le géologue August Gansser. Ce dernier réussit seul la première ascension du Pico Ojeda N. I ( 5490 m ) et fit en outre une fructueuse reconnaissance géologique. Ces trois Suisses sont de bons alpinistes bien connus. Gansser a été dans l' Himalaya avec le professeur Heim. Le couple Marmillod fit en février-mars 1943 le Guardian, le Pico Simons ( 5660 mpremière ascension -, le Cristobal Colon, le Pico Bolivar, le Pico Ojeda I ( 5490 m ), la Reina ( 5535 m ). August Gansser réussit l' ascension du Pico Santander ( 5600 m ) par la paroi ouest et la traversée du Pico Ojeda I de l' ouest à l' est. Il se rendit encore dans le groupe sauvage du Chundua. En 1950, Erwin Kraus revint dans la Sierra et, le 26 janvier, fit l' ascension du Guardian par l' éperon ouest avec les deux Français Georges Cuénet, ingénieur, et Raymond Grière. Le 31 janvier ils faisaient le Simon Bolivar par la paroi nord. Suivant ensuite la chaîne principale nord, ils trouvèrent au sud un col, qu' ils traversèrent pour atteindre les sources du Rio Tucurinca. De là, ils se rendirent au nord, dans le petit village de Mamarango, pour rejoindre enfin par la vallée du Rio Sevilla les villes de Sevilla et de Guacamagel, dans la plaine. Le voyage de retour dura presque une semaine. Cette expédition peut être considérée comme l' une des mieux réussies.

Un mot au sujet de la flore et de la faune. En gagnant l' altitude, nous trouvons successivement la forêt vierge, les podocarpes, les fourrés de fougères et, entre 1200 et 2000 m, les forêts de bambous, principalement l' espèce Chusquea. Plus haut on trouve des éricacées et des epiphytes, P. Simons 56505775 Cristobal Colon 5490 P. Ojeda. P. Città di Milano P. Bolivar 5775 I \LMamo,, v La Reina £\f io \ C. IV 4200 L. Naboba ras/ULJ2 Missione Cappuccini 7 S. Sebastian de Râbago 1980 ^Pueblo Bello 1230 Expédition Ghiglione 1957Entre les points P. Italia et P. Città di Milano se trouve le point P. Briga »1958Sierra Nevada de St. Marta-Colombia des mousses et des lichens ainsi qu' une sorte de composée, Yespelethia, et des séneçons, comme dans les hautes montagnes de l' Afrique, mais plus bas sur tige. Dans la région du Pico Bolivar ( Venezuela ), ces zones d' herbages sont fréquentes; on les appelles freilejones. Mais les freilejones que j' ai vus au Pico Bolivar sont couverts d' une herbe beaucoup plus haute et plus belle que ceux de la Sierra Nevada. C' est seulement dans la haute vallée de Guatapuri que j' ai vu quelques jolis freilejones, hauts de 1,80 m. Aux hautes altitudes de 4400 m environ, alors que nous étions près des sommets, nous avons vu de grands bovidés noirs à très longue queue, et largement encornés, pareils aux gnous africains. Nous avons souvent suivi leurs traces, remontant parfois des couloirs si raides que nous en étions saisis d' étonnement.

La Sierra Nevada ( 10-12° latitude nord ) est de nature granitique et s' étend sur 90 km environ en direction ouest-est et sur 95 km en direction nord—sud. Elle a donc une surface de 8600 km2 environ. Il n' existe pas dans le monde entier un massif montagneux situé si près du littoral ( 30 km environ en moyenne, mais en certains points 25 km seulement ) et se dressant à une telle hauteur. La limite des neiges varie assez fortement dans la Sierra; elle atteint 4600 m dans le nord et 4800 m dans le sud en janvier et mars; au cours des autres mois la limite en est très changeante, selon les précipitations.

A 3300 m environ commence la zone des hauts pâturages et celle des très longues moraines. Dans la partie supérieure de ces moraines il y a une infinité de petits et de grands lacs caractéristiques de cette Sierra tropicale. Les glaciers ne sont pas grands mais très raides et par endroits passablement crevassés. Le glacier presque plat qui s' étend entre l' Ojeda N. I et la Reina fait exception. Le phénomène des « pénitentes », produit par la forte evaporation due à la sécheresse de l' air et à l' intense rayonnement solaire, est très fréquent sur ces glaciers.

Les meilleurs mois pour les ascensions sont janvier et février. En mars il commence déjà à pleuvoir et neiger, et le brouillard épais devient fréquent. En 1957 j' ai passé tout le mois de janvier et, en 1958, les mois de janvier et février dans les hautes régions de la Sierra et j' ai constamment joui d' un beau temps qui a permis nos difficiles ascensions. Durant la nuit j' ai souvent mesuré 12 à 18° sous zéro. La nuit est longue ( douze heures environ ) et le plus grand froid règne vers 4 heures du matin.

Je fis ma première expédition dans la Sierra Nevada en janvier 1957. Quittant l' Italie le 27 décembre 1956 par avion, via New-York, le 28 décembre au soir j' atteignais Barranquilla ( Colombie ), sur la côte ouest de la Sierra Nevada. De là je repris un avion de la ligne Taxader pour la petite ville de Valle-Dupar, située au pied sud-est de la Sierra même. Il n' y avait pas alors de service automobile régulier et je pus obtenir à grand-peine une jeep d' un colon allemand. Après un trajet de cinq heures à travers la forêt vierge et par de très mauvais chemins d' abord à plat puis très raides, j' atteignis Pueblo Bello, petit village sur un beau plateau, à 1200 m environ. Cette région de la partie sud-ouest de la Sierra est très fertile mais infestée de moustiques!

- Il y avait grande fête à Pueblo Bello à l' occasion de la Saint Sylvestre et nous passâmes une nuit sans repos dans l' unique petite auberge. On cultive ici une variété de café qu' on prétend la meilleure de toute la Colombie. J' ai vu à Pueblo Bello des jardins privés magnifiques, produisant des oranges douces ou acides, des mandarines, des pomelios, des guanabanes, des bananes, des papayes, des sapotes, etc. On cultive aussi avec succès le blé, la canne à sucre, les pommes de terre, le millet et l' orge. J' ai vu également de magnifiques plantations de sucre; les indigènes en tirent de l' alcool et la « panela », sorte de sucre concentré qui, coupé en morceaux, a une action très fortifiante comme le coca.

Le ler janvier 1957, avec deux heures de retard seulement, notre muletier Alvarez arrivait dans notre camp, près de la petite auberge bien propre. Nous poursuivîmes notre voyage sur S. Sebastian. Le chemin est d' abord une large piste dans la vaste plaine, puis il monte dans la forêt vierge et prend plutôt l' aspect d' un sentier. Le trajet exige cinq heures environ, tout d' abord à travers une splendide forêt touffue, puis par un col de 2600 m, pour redescendre enfin jusqu' à 2000 m.

Une mission de moines capucins est installée à S. Sebastian de Râbago. Nous arrivâmes le soir. J' avais obtenu une recommandation de l' archevêque Fraile Vicente Roy y Villalba, à Valle-Dupar, et je reçus un accueil très aimable auprès du Père Don Atanasio de la Nora, supérieur du couvent.

Nous passâmes toute la journée suivante à S. Sebastian afin de visiter le Pueblo ( petit village ) des Indiens Arhuacos et de nous procurer d' autres mulets; car, après S. Sebastian, commence la solitude absolue. Le village des Arhuacos est le seul vraiment typique de toute la Sierra Nevada. Ces Indiens sont très différents de tous les autres Indiens de l' Amérique du Sud: ils ont de longs cheveux noirs et une peau lisse comme les Mongols, sont méfiants et ne se laissent pas volontiers photographier, même pour de l' argent. Ils sont divisés en tribus. Chaque famille a sa cabane, construite en pierres et en boue et recouverte d' un grand toit de chaume. L' intérieur, muni d' un four primitif, est en général propre. Le village a été fort bien construit par le gouvernement colombien, conformément aux us et coutumes des Indiens. Les cabanes sont alignées sur deux rangs, laissant une large place entre elles. D' un côté du village, les missionnaires ont érigé une église primitive avec un clocher original: lorsque je voulus y grimper pour prendre une photo à vol d' oiseau, Don Atanasio arriva en courant pour me prévenir que la tour n' était pas encore assez solide...

Les Arhuacos ont trouvé asile ici au temps des invasions espagnoles et, depuis lors, sont toujours restés dans la région. Leurs enfants vont à l' école de la mission des capucins. Les missionnaires cultivent eux-mêmes fort bien différentes plantations. Don Atanasio me recommanda deux métis en qualité de bons « arrieros » ( muletiers ), les frères Jésus et José Zapata; l' aîné, Jésus, me fournit aussi un mulet. Je pus préparer ainsi la suite de mon expédition et me diriger vers les montagnes lointaines.

Le 3 janvier 1957, à 8 heures du matin, nous levions le camp avec six bêtes de somme. Ce fut une longue marche par des cols et des vallées de plus en plus hautes. Mais la vue se faisait toujours plus belle et, lorsque les hautes montagnes de la Sierra apparurent, le coup d' œil fut vraiment grandiose.Vers 9 heures du soir seulement nous atteignîmes Mamancanaca ( 3450 m ), deux huttes très misérables. Pendant deux heures entières nous avions marché dans l' obscurité, sur un petit sentier passant de flanc au-dessus de gorges profondes. Mais les bêtes de somme gardaient leur pas tranquille et sûr.

Le sommeil nocturne fut passablement troublé par le beuglement continuel des taureaux et le bêlement des petits agneaux. Le 4 janvier nous poursuivîmes notre route et, six heures plus tard, vers 3 heures de l' après, nous atteignions un emplacement au sud-est du Guardian où nous pouvions installer notre camp, à 4400 m. Nous étions au bord d' un charmant petit lac; une demi-heure plus tard, il reflétait l' image de trois tentes. Je donnai l' ordre à l' aide muletier Bernardo de remonter le 18 janvier avec deux bêtes de somme Nous devions donc passer trois semaines isolés sur ces hauteurs, entre les rochers et le vent; seuls, les condors planaient au-dessus de nos demeures légères.

Le matin suivant déjà nous montions au col élevé le plus proche, 4500 m. De là nous pûmes jouir d' une vue splendide sur les plus hauts sommets et les nombreux lacs bleus et verts de cette région. Près de nous, dans la chaîne sud, se dressait le Guardian et, tout au loin, dans la chaîne nord, le Cristobal Colon, le Pico Bolivar, le Pico Santander et le Pico Simons. A l' est on pouvait distinguer encore la Reina et l' Ojeda I. Un monde de sommets de plus de 5500 m!

Le jour suivant, 6 janvier, je voulais aller au Guardian. Mais on sous-estime les distances dans cette atmosphère très limpide: je ne pus atteindre que son sommet est, le Pico Tairona ( 5000 m environ ), par l' arête ouest, effilée et glacée. Mes amis, le Chilien Evelio Echevarria et l' opé rateur de cinéma, ainsi que Jésus Zapata, restèrent en bas. Je dus tailler moi-même les marches. Le sommet ne portait aucune trace d' ascensions antérieures; j' y déposai ma carte de visite.

Le 7 janvier tout était prêt pour aller établir des camps successifs jusqu' au pied de la chaîne nord. Vinrent alors deux jours de marche pénible, de montées et de descentes par des vallées désertes avec beaucoup de rochers polis; partout on trouvait des traces de l' époque glaciaire. Chacun de nous était lourdement chargé, le solide Echevarria et Jésus Zapata plus encore que les autres. Dans l' après de la première journée nous installâmes un camp sur la rive nord du Marno, le plus grand des lacs, à 4600 m environ. Le lendemain nous remontâmes des pentes d' éboulis, longeant des lacs idylliques. Les nombreux gros taureaux noirs du voisinage se contentèrent par bonheur de nous regarder d' un air méchant, sans nous déranger.

Tard dans la soirée du 9 janvier nous établîmes un camp ( deux tentes ) à 4900 m, au-dessous de la paroi sud du Cristobal Colon, au bord d' un lac charmant, mais encore assez loin de la paroi elle-même. Pour l' atteindre il fallait traverser un vaste terrain morainique puis un glacier très crevassé. C' est ce que nous fîmes au matin du jour suivant, 10 janvier, quittant notre camp à 6 heures. Non loin de là nous nous heurtâmes à une grande pente de glace qui descendait jusqu' à un lac gelé et faisait voir de superbes « pénitentes » tropicales. A grand-peine nous transportâmes tout l' équipement cinématographique à travers le glacier qui présentait dans sa partie supérieure des formes encore plus bizarres de ce phénomène de la nature.

Vers 10 heures j' avais amené ma cordée à une altitude de 5250 m. Je laissai là mes compagnons à leur travail et je continuai seul jusqu' aux rochers formant le pied de la paroi sud du Cristobal Colon. La puissante paroi se dressait presque surplombante devant moi. Les premières difficultés se présentèrent dès le début dans une cheminée rocheuse. Dans l' impossibilité de continuer, je dus même par deux fois revenir en arrière en descendant en rappel. Puis je trouvai une voie et m' élevai progressivement.

Je dus remonter une cheminée de glace, travail agréablement rafraîchissant. Plus rien ne pouvait m' arrêter. Je ne souffrais nullement de l' altitude, bien qu' il fallût à tout moment tailler des marches dans la glace dure pour assurer mes pas. Lentement je prenais de la hauteur. Le sommet le plus élevé du Cristobal Colon apparaissait si proche qu' on aurait pu, semblait-il, le toucher. Pourtant, il était encore éloigné... Le ciel était clair, mais un vent assez fort rafraîchissait l' atmosphère.

Enfin j' atteignis la dernière arête et pus voir de l' autre côté. Un autre monde! C' est l' une des plus belles impressions de l' alpiniste que de jeter un regard de l' autre côté de la montagne qu' il a escaladée. Ici, le coup d' œil était vraiment fantastique! Au-dessous de moi je voyais une paroi formidable, s' étendant sur des kilomètres en hauteur et en largeur... et en bas, au loin, la Mer des Caraïbes avec de petits nuages blancs semblables au duvet des cotonniers. Nulle part au monde on ne trouve un coup d' œil pareil! Je montai encore le long de l' arête de glace aiguë, taillant des pas avec mon piolet. A 14 h. 30 enfin mon pied foulait le plus haut sommet de la Sierra, 5775 m. Je pus jouir d' une vue presque incroyable sur tous les sommets de la Sierra Nevada!

A 18 heures environ j' avais rejoint notre camp d' altitude ( 4900 m ). Mes compagnons m' avaient vu au sommet et partageaient ma joie. Deux jours plus tard nous étions de nouveau dans notre camp de base, jouissant d' un jour de repos.

Des affaires urgentes rappelaient Echevarria aux Etats-Unis. Nous autres, les restants, nous établîmes au cours des jours suivants un camp d' altitude sur le versant sud-ouest du Guardian, à 4600 m environ. Je voulais tenter une nouvelle voie par le sud-est. Le 14 janvier au soir, notre grande tente rouge se dressait au seul endroit possible, sur une grosse pierre au milieu des glaces.

Un terrible ouragan fit rage toute la nuit. Vers 9 heures du matin, le vent se calmant un peu, nous pûmes traverser le glacier sud jusqu' à un mur de rocher vertical: il semblait impossible d' aller plus loin, mais nous trouvâmes une étroite vire oblique. Je dis à Jésus Zapata de montrer maintenant ses capacités de varappeur. Le muletier colombien attaqua sans retard le passage... et en un clin d' oeil il fut en haut! Je suivis avec l' opérateur de cinéma. En montant, il laissa échapper son piolet qui tomba jusqu' au glacier, se brisa et fut ainsi perdu. Bien des passages dans les rochers et le glacier très crevasse exigèrent encore de grands efforts. Mais vers 14 heures Zapata et moi nous étions au sommet du Guardian. Zapata m' avait très bien suivi sur la dernière arête escarpée et glacée. Le muletier était infiniment heureux d' être le premier indigène qui ait escaladé sa montagne, le « gardien » de son pays ( 5295 m ). La chaîne nord tout entière s' étendait, scintillante, devant nous, et à nos pieds on voyait une multitude de merveilleux lacs verts. Comme toujours, le ciel était d' un bleu profond.

Tard dans la nuit, par grand clair de lune, nous étions de retour à notre camp de base. Les jours suivants, l' opérateur de cinéma et le muletier Bernardo retournèrent avec deux mulets à S. Sebastian pour filmer les différentes phases de la grande fête des Indiens. Avec les deux frères Zapata je montai plus loin, vers le nord-est. Je voulais rendre visite au massif de l' Ojeda I—Reina ( 5535 m ). Il fallut de nouveau près de 40 heures de marche parfois pénible pour pénétrer dans les hautes vallées profondes puis établir un camp d' altitude à 4750 m au pied sud de l' Ojeda I, une fois de plus près d' un merveilleux petit lac bleu.

Le lendemain, 20 janvier, je fis avec Jésus Zapata l' ascension de l' arête ouest, tout en glace, de l' Ojeda. Ce fut de nouveau une journée splendide. Du sommet je pus examiner tout le versant nord des Picos Orientales, encore vierges: une paroi abrupte, longue et entièrement glacée! Elle devait être le but de ma prochaine expédition... en 1958!

Deuxième expédition dans la Sierra Nevada. Janvier-février 1958.

Dans son récit publié par le Geographical Journal, le professeur anglais Dr J. Cunningham, qui a séjourné dans la Sierra Nevada en janvier 1957, a exprimé l' espoir que « quelqu'un entreprendrait l' exploration et l' ascension des Picos Orientales ». Lui-même avait escaladé seulement un sommet facile par le sud. Ce récit fut l' impulsion qui m' engagea à entreprendre une nouvelle expédition. Je choisis pour m' accompagner mon vieil ami Giuseppe Pirovano, guide de première force, qui dirige une école de ski bien connue à Cervinia et au col Stelvio. Il vint en compagnie d' un excellent grimpeur, G. C. Canali. Pirovano, qui a acquis chez nous une grande réputation par sa technique particulièrement sûre de la glace, a fait entre autres la face nord de la Disgrazia et des ascensions dans la région du Badile, l' arête sud de l' Aiguille Noire de Peuterey, des ascensions dans le groupe de la Bernina, dans FOberland Bernois et les Dolomites.

Nous quittâmes Milan le 26 décembre 1957 et arrivâmes quelques jours plus tard dans la ville ensoleillée de Barranquilla. De là, un avion plus petit nous porta de nouveau à Valle-Dupar. Mais cette fois-ci, au lieu de nous diriger vers l' ouest, sur Pueblo Bello, nous prîmes à l' est, vers le petit village d' Atanquez. J' avais écrit aux frères Zapata de s' y trouver le 2 janvier. Mais à partir de Valle-Dupar des inondations avaient interrompu tout le service des autobus. Grâce à l' aide précieuse de M. Ramon Valencia, du Ministère de l' agriculture, à Valle-Dupar, je réussis à réserver trois places dans une vieille patache. Elle devait partir vers 2 heures de l' après, mais n' arriva qu' à 5 heures. Une heure encore fut perdue à faire le tour de la petite ville pour ramasser des clients.

Nous étions entassés comme des sardines entre les bagages et des jeunes filles métis en habits de fête, se rendant à une soirée de danses. Ce fut une course cahotante, parfois même dangereuse dans les virages brusques. Nous la supportâmes gaîment, mais jamais notre but ne m' avait paru si lointain! La route, ou plutôt la piste, était une succession de montées et de descentes très raides. Nous dûmes traverser plusieurs torrents impétueux. Les jeunes filles noires poussaient de hauts cris. Au milieu d' un ruisseau, la carriole s' arrêta soudain et l' eau monta jusqu' aux essieux. Les cris redoublèrentEnfin, vers 11 heures du soir nous arrivâmes à Atanquez ( 770 m ).

Le lendemain matin, les deux Zapata se présentaient ponctuellement au camp, et bientôt nous nous mettions en route, avec cinq mulets. Le chemin montait, raide et tortueux, entre de magnifiques plantations de bananes et de papayers. Si l'on demande des fruits aux paysans, ils prétendent que tout est vendu ou pas encore mûr!

Pendant des heures et des heures nous remontâmes avec nos bêtes des sentiers incroyablement raides. Vers le soir seulement nous installâmes notre premier camp à 1600 m, sur une colline. Le lendemain matin, lorsque je sortis le nez de ma tente, j' aperçus à un pas de là un Indien de la tribu des Arhuacos, droit et immobile, me fixant avec curiosité. Puis, durant quatre jours, nous marchâmes à travers la vallée de Donachui, dans la partie orientale de la Sierra Nevada. Peu à peu la température devenait plus agréable. Dans le fond de la vallée prospèrent la canne à sucre, les bananes, les aguacates; mais on y trouve aussi des milliards de mouches, des moustiques et d' autres insectes, ainsi que des bestioles invisibles dont on ressent vivement les piqûres brûlantes. Cette faune se rencontre dans toutes les plantations de sucre. A Donachui on nous offrit de la panela liquide, cette préparation dont j' ai parlé plus haut. Tard dans la soirée nous étions à Zagzoumi, un hameau aux huttes misérables. Il y avait là une grande fête, qui devait durer toute la nuit, en l' honneur des Indiens Arhuacos; aussi, le matin, notre Jésus Zapata était-il encore ivre. Un Indien s' offrit à se joindre à nous; j' acceptai, afin qu' il puisse plus tard accompagner le jeune Zapata et les mulets sur le chemin du retour.

Vers midi, par un épais brouillard, nous arrivâmes auprès d' un ruisseau, au milieu de la vallée supérieure. Ce fut le seul jour de mauvais temps durant les deux mois de notre séjour dans la Sierra. Nous étions justement en train de manger lorsqu' un fantôme blanc sortit du brouillard: c' était un jeune Arhuaco dans son costume blanc, long surtout descendant jusqu' aux pieds, serré aux hanches par une ceinture noire. « Soy ciego » ( je suis aveugle ), cria-t-il. Nous lui donnâmes à manger et je lui demandai où nous étions. « Concuruaca! », répondit-il. Je regardai mon croquis topographique, ce nom y était indiqué. Je repérai ainsi assez exactement l' emplacement où nous étions et calculai que dans un jour nous pourrions atteindre le plus haut col de la vallée de Donachui. C' est ainsi qu' après avoir suivi les rives occidentales des beaux lacs de Domariba et d' Escuritaba, nous atteignîmes enfin, le 11 janvier 1958, le lac Naboba, au pied nord du Guardian, à 4200 m environ. Vu de ce lac, ce versant nord, couvert de glace, paraît très majestueux et impressionnant. Il ressemble à la face nord de la Grivola, mais le Guardian a quelque 1300 m de plus. Nous continuâmes la montée encore une demi-heure environ avec les mulets, puis nous prîmes congé du jeune José Zapata et de l' Indien Arcandro. José devait remonter le 18 janvier avec une nouvelle provision de vivres. Le même soir nous plantions encore le camp V à 4600 m, à la place même où j' avais campé l' année précédente.

Sans perdre de temps nous attaquâmes le 12 janvier un sommet anonyme recouvert de glace, au sud-ouest de la Reina, et l' escaladâmes par son versant nord. Mon ami Pirovano aime les parois de glace verticales. Il s' était muni pour de telles voies d' une quantité de pitons et de ferraille.

Le matin suivant, après avoir traversé le grand glacier entre l' Ojeda I et la Reina, nous établîmes le camp VI à l' entrée supérieure de la vallée de Guatapuri, à 4700 m environ. Droit en face de nous se dressaient les fameux « Picos Orientales », et derrière, les Nevaditos, une autre longue chaîne de sommets vierges aux carapaces de glace, hauts de 5100 à 5500 m. Le vaste versant nord des Picos Orientales, formé de parois de glace verticales s' étendant sur des kilomètres, était des plus impressionnants.

Le jour suivant, 14 janvier, nous fîmes l' ascension de l' Ojeda II ( 5390 m ), d' abord par un glacier raide, puis le long d' une étroite arête rocheuse. L' Ojeda II est située près des Navaditos, mais elle en est complètement séparée et forme une montagne isolée, dont la silhouette et la structure ressemblent à l' Ojeda I. Il fallut nombre de « manœuvres acrobatiques » pour atteindre ce sommet. De là nous aperçûmes de nouveau la Mer des Caraïbes. Mes amis étaient enthousiasmés par la vue merveilleuse! A 12 h. 15, nous érigions un cairn sur le sommet de l' Ojeda, d' où on voit tout le massif des Nevaditos et reconnaît en particulier la Reina qui, avec ses 5535 m, en forme le point le plus élevé.

Nous redescendîmes au camp pour nous reposer, et le 16 janvier nous faisions déjà l' ascension de la Reina par une voie pas encore parcourue: le versant nord-est, couvert de glaciers, et l' arête nord.

La deuxième partie de notre expédition nous conduisit dans la zone nord-est de la Sierra Nevada, c'est-à-dire dans les deux chaînes inexplorées des Nevaditos et des Picos Orientales. L' approche de ces deux chaînes n' est pas facile, d' autant plus qu' on ne trouve pas de porteurs dans cette région. Je le savais, et il m' avait été clair dès le début que nous devrions nous charger nous-mêmes pendant bien des jours de la plus grande partie de nos bagages. En outre, cette zone est « el ver-dadero desierto de piedras », un vrai désert de pierres, presque sans eau: les divers petits lacs sont en général à une distance inaccessible des bons emplacements de camp, et il n' y avait pas trace de bois alentour.

Les Indiens Arhuacos sont paresseux et indolents. Un bon exemple nous fut fourni par Arcandor qui n' aida jamais ni à porter ni à faire quoi que ce fût. Mais j' avais en Pirovani et Canali deux compagnons très entreprenants et capables; je leur avais offert deux mois d' une vie dure mais riche en satisfactions, et promis deux mois de beau temps et des ascensions intéressantes. Tout marcha si bien qu' à la fin de l' expédition ils étaient entièrement satisfaits. De mon côté, je ne pouvais que me louer de leur confiance et de leur travail. ( Les deux seuls porteurs de la région sont les deux frères Zapata, mais cette année Jésus Zapata tomba malade et dut retourner à S. Sebastian plus tôt que prévu. Il ne nous resta que son jeune frère José qui, sans être un grimpeur, nous rendit de bons services comme porteur. Après son ivresse à Zagroumi, Jésus avait eu un grave refroidissement. Dans cette région tropicale de la Sierra Nevada les journées sont très chaudes, mais, comme je l' ai dit, les nuits longues et extraordinairement froides, surtout aux grandes altitudes. Je mesurai jusqu' à 50° de chaleur sous ma tente à plus de 4500 m, mais souvent aussi des températures minimales de —15 à —18° ).

Ponctuel, José revint le 18 janvier de S. Sebastian à notre camp, au pied sud de l' Ojeda I, apportant des vivres. Le 19 janvier, nous remontâmes au camp VI, à l' endroit où s' ouvre la partie supérieure de la vallée de Guatapuri, et le jour suivant nous faisions l' ascension de l' Ojeda N. I par l' arête sud-est, longue, difficile et jamais encore parcourue. Le 20 janvier nous étions de retour dans l' étroite vallée de Guatapuri et remontions au haut plateau méridional des Nevaditos où, en l' espace de deux jours, nous établissions deux nouveaux camps ( VII et VIII ). Mes amis transportèrent des charges de 35 à 40 kg! José, lui aussi, était lourdement chargé. Le 22 janvier fut pour nous une journée inoubliable: une traversée longue et pénible nous permit de faire l' ascension de quatre sommets des Nevaditos, effectuant un parcours d' arêtes de presque trois kilomètres. Entre les différents sommets neigeux, il y a des brèches profondes, quelques-unes aux parois presque verticales, qui exigèrent un travail dur et continu du piolet. Mais avec mes compagnons si habiles tout était faisable. Pirovano était toujours en tête de cordée. Un fort vent soufflait sans discontinuer, mais la vue était extraordinairement claire. Il n' était pas rare de pouvoir distinguer nettement la Mer des Caraïbes que nous dominions souvent de 5000 m, sur le fil d' une arête de glace.

Le 23 janvier nous montions sur le Nevadito le plus rapproché de l' Ojeda II. De notre camp ( VIII ) il apparut d' abord comme un sommet moins difficile à escalader, mais en réalité nous trouvâmes quelques traversées du 4e et 5e degrés, et même plus, entre autres un mur de rocher haut de 8 m environ, coupé en son milieu par une fissure verticale dans laquelle on pouvait tout juste coincer les doigts pour la surmonter1.

Par suite du vent continuel et des longues nuits froides, la glace dans la Sierra Nevada est dure comme du verre. Le rocher est un granit ridé, comme, par exemple, à l' arête sud de l' Aiguille Noire de Peuterey, mais de teinte rose. Des couleurs magnifiques apparaissent au coucher du soleil. Restant longtemps au zénith, le soleil provoque la formation sur les pentes de neige d' une quantité de lamelles verticales qui rendent la marche très difficile. Le soleil brille fortement les lèvres et, malgré les lunettes très foncées et fermées, les yeux sont affectés par la lumière toujours intense. Le nez, la gorge sont fortement desséchés. Nous avons employé du menthol pour soulager les narines et des jus de fruits pour la gorge.

Après nos ascensions dans les Nevaditos, nous abordâmes la troisième partie de notre expédition, la zone des Picos Orientales. Ces sommets, situés tout à fait à l' est, sont les plus hardis et les plus difficiles de toute la Sierra Nevada. Il était d' ailleurs plus que naturel qu' ici, comme dans toute chaîne de montagnes du monde, les premières expéditions et ascensions ne laissent vierges que les sommets les plus difficiles et les plus éloignés. Cette chaîne a aussi été appelée Picos Taironas, d' après le nom d' une ancienne tribu indienne qui en habitait les vallées. Géographiquement ces massifs sont situés le plus à l' est et doivent être désignés sous le nom de Picos Orientales. Ces Picos sont caractérisés par de puissantes arêtes de glace avec des corniches et des parois de glace verticales.

Nous étions à la fin janvier 1958. Rentrés des Nevaditos, nous restâmes quelques jours dans les environs du lac Naboba ( 4200 m environ ), afin de nous reposer et d' attendre les mulets qui devaient venir de la vallée pour nous transporter avec tous nos bagages sur les hauts plateaux au pied des sommets orientaux. Le lac Naboba possède presque en son milieu une petite île. Mon ami Canali avait envie d' y planter un drapeau. Mais l' eau était en général très froide; ce jour-là, 31 janvier, autour de midi, je mesurai 8° seulement, température trop basse pour que même un jeune homme robuste puisse nager. Canali se dirigea alors vers l' île sur un matelas en caoutchouc, mais bascula subitement et tomba dans l' eau! Par bonheur, son bain froid n' eut pas de suites!

Les mulets arrivèrent de nouveau avec plusieurs jours de retard, si bien qu' entre temps les autres mulets, ceux à deux jambes, mes amis, durent une fois de plus transporter des charges de 35 1 Le troisième Nevadito, qui présente aussi une escalade difficile, reçut le nom de Pic Briga ( Pointe Brigue ) en souvenir de cette ville du Haut-Valais ou j' ai vécu des jours heureux au milieu d' amis.

à 40 kg! Nous établîmes un nouveau camp à 4400 m, au pied des premiers Picos, près du versant est de la Reina. Mais il fallut d' abord faire déguerpir quelques taureaux noirs qui y pâturaient. On se demande comment ces bêtes peuvent atteindre cette région, en quête de l' herbe la meilleure.

Le 3 février commença le siège des Picos Orientales. Tôt le matin nous quittâmes nos tentes et pûmes faire l' ascension de trois sommets de 5200 à 5400 m au cours de la journée, après avoir surmonté des difficultés considérables dans la glace et les rochers. Quelques condors planaient au-dessus de nos têtes. Après plusieurs descentes en rappel nous nous trouvâmes de nouveau en terrain facile - de longues pentes d' éboulis. Notre bouteille thermos se brisa dans une cheminée étroite. Nous fûmes bien contents d' en utiliser les restes pour puiser l' eau d' un petit lac auprès duquel nous fîmes halte, de retour au plateau.

Le jour suivant nous escaladâmes, par son arête nord-ouest couverte de glace, le plus difficile des Picos, situé tout près de la Reina. A mi-hauteur de l' arête je pus regarder, à travers un petit trou dans la glace, le glacier, mille mètres plus bas: coup d' œil presque terrifiant! Il était difficile de planter des pitons dans la mince couche de glace recouvrant les rochers, mais Pirovano travaillait avec la plus grande adresse et nous pûmes introduire avec sûreté les cordes dans les mousquetons et monter. Dans la grande paroi de glace verticale précédant le sommet, notre guide ressemblait à un moucheron sur une vitre. Nous hissâmes au sommet les drapeaux de la Colombie et de l' Italie et érigeâmes un cairn où nous laissâmes nos cartes de visite.

La descente fut pire encore que la montée et exigea beaucoup plus d' attention. Mes mains s' agrippèrent plusieurs fois à des plaques de glace trop mince et cassante. Le soir, sous la tente, Pirovano, parfaitement heureux du succès, jouait des airs joyeux sur sa musique à bouche.

Le 7 février fut de nouveau pour nous un jour inoubliable. En onze heures de magnifique varappe soutenue, presque acrobatique, nous escaladâmes les huit autres Picos encore vierges, une traversée peu ordinaire. Je me demandais souvent si nous sortirions jamais de cette succession de précipices et de passages extrêmement difficiles! Vers 6 heures du soir nous atteignîmes le dernier sommet, et je serrai Pirovano dans mes bras! Le temps restait toujours magnifique. Une dernière descente en rappel sur une sombre paroi surplombante nous amena, à la tombée du soir, sur un terrain plat.

Au cours des journées suivantes je tentai de traverser toute la Sierra par la Chundua, « les montagnes mortes », comme les appellent les Indiens. De Majouaca, deux huttes misérables à 3200 m, nous remontâmes avec quatre mulets et deux chevaux dans les hautes vallées solitaires. Pas trace de chemin, seulement des rochers et encore des rochers. Je savais cependant qu' en haut un col offrait un passage praticable. Mais il semblait à tout instant qu' il serait impossible de poursuivre. Cependant, péniblement et prudemment, nous prenions de la hauteur. Il fallait à tout moment aider les animaux. A 4350 m environ, nous dûmes abandonner un cheval qui ne pouvait plus avancer. Après le col le plus élevé, nous descendîmes enfin dans une vallée pareille à un désert, pour remonter sur un deuxième haut col. Cette vallée, la plus solitaire de toutes, était incroyablement désolée! Des pierres et des rochers, et rien de plus! De là commença une longue descente pénible et dangereuse elle aussi, vers une troisième vallée, où je pus enfin découvrir - couronnement de ma seconde expédition - la source du Rio Cataca: un lit de torrent très étroit entre des pierres vertes! Telle fut la première traversée de la Sierra Nevada du nord-est au sud-ouest.

( Adaptation allemande de M. Oe. traduite par Nina Pfister-Alschwang ) 3 Les Alpes- 1959 -Die Alpen33

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