L'Alpée en pays fribourgeois.
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L'Alpée en pays fribourgeois.

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La Poya.

Lioba, Lioba, por aria...

Ce vieux refrain, c' est la patrie.

La montagne est endormie depuis de longs mois. Les bûcherons seuls ont troublé le silence de ses forêts et, plus haut, c' est à peine si de rares alpinistes ont effleuré de leurs skis les neiges immaculées.

Mais voici que de chauds effluves nous reviennent. Dans les espaces que la neige abandonne, des milliers de crocus sortent de terre comme par enchantement. Ils poussent si près les uns des autres que leurs calices donnent l' illusion du blanc tapis dont ils ont pris la place.

Beaucoup moins nombreuses, mais plus délicates, les soldanelles rivalisent dans leur hâte d' éclore. Leurs clochettes lilas agitent de fines dentelures au bord des champs neigeux.

A la suite de ces messagères du printemps, sous la poussée d' une sève débordante, toute une floraison s' épanouit avec une étonnante rapidité et, des pentes inférieures, recouvertes d' une profusion de narcisses, la verdure court à l' assaut des sommets.

La montagne qui avait, pour ainsi dire, interdit son domaine à l' homme le lui rend embelli et rajeuni. Amant des fleurs alpines, c' est pour toi le moment de prendre le chemin de la montagne; plus tard, moutons et chèvres auront envahi tes jardins.

Durant les nuits, qui maintenant deviennent plus clémentes, une musique tinte agréablement à mes oreilles et se mêle à mes rêves. Nous sommes dans la seconde moitié du mois de mai; les troupeaux passent sous mes fenêtres, leur gai carillon me transporte sur l' Alpe que j' entrevois animée et joyeuse sous un radieux soleil.

Le printemps est né, l' espérance emplit l' âme.

Vaches et génisses avec leurs « toupins » et leurs sonnailles suivent la route d' un pas accéléré que maintiennent les appels et les encouragements des armaillis. Elles vont gambadant, sans souci de la fatigue; on dirait qu' elles ont conscience de la liberté qui va leur être donnée et du plaisir avec lequel elles brouteront l' herbe délicate et fleurie.

A leur arrivée, tout est prêt au chalet; des montagnards envoyés les jours précédents ont remis de l' ordre partout. L' eau chantonne dans le bassin de la fontaine, les haies sont rétablies.

Désormais le troupeau en liberté parcourra les pentes verdoyantes et se nourrira de leur riche toison jusqu' à l' automne.

Jou eh! broutez en paix, génisses, vaches mères 1 Les fêtes du printemps sont fêtes éphémères; Rapides sont les jours, rapide la saison...

Jou eh! broutez en paix, vaches du MolésonRambert. ) Blotti au sein de pâturages qu' avoisinent des forêts et des rochers, le chalet fribourgeois est une des constructions qui caractérisent le mieux l' art alpestre. La couleur grise de son toit de bardeaux, ses locaux au niveau du sol, enclos dans des murs de calcaire ou des parois de bois soutenues par de la maçonnerie, lui impriment un cachet rustique particulier qui s' harmonise on ne peut mieux avec le paysage.

La note intéressante et pittoresque qu' il jette dans la décoration de l' Alpe ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue la raison primordiale de son existence, c'est-à-dire son utilité.

Le chalet constitue à la fois un abri pour les animaux et un petit centre d' activité économique.

Si nous en franchissons le seuil, c' est d' abord l' espace réservé à la fabrication du fromage — le trintzâblio — qui se présente à nous avec son âtre, son pressoir et divers ustensiles.

L' âtre, en forme d' hémicycle, est surmonté d' une énorme cheminée — la bouârna —. Au-dessus de lui, la chaudière demeure suspendue à une poutre horizontale assujettie à une poutre verticale pivotant sur elle-même, la polla.

Quelque peu primitif, le pressoir — le tserdjau —, composé en partie de grosses pierres, frappe par l' ingéniosité de son dispositif.

A côté du trintzâblio, la chambre à lait étale sur des madriers ses diélzo, récipients à large surface, de forme arrondie et peu élevée. De longues ouvertures très étroites, aménagées dans la partie extérieure correspondante du bâtiment, laissent parvenir sur le laitage l' air frais de la nuit.

Les étables — Varia — occupent le reste du chalet.

De chambres, il en existe bien peu, et encore sont-elles d' une simplicité extrême. L' armailli dort la plupart du temps sur les solives — le choleison lit manque absolument de confort, il est fait de foin et de quelques couvertures.

Dans la presque totalité des chalets de notre seconde chaîne de montagnes, on fabriquait du fromage. Depuis un certain nombre d' années, les choses se sont bien modifiées. L' élevage du bétail de choix a pris un développement considérable et les vaches ont dû céder la place aux génisses dans quelques-uns de nos plus beaux alpages, les Gantrist, la Geisalp, la Riggisalp et les Neuschels par exemple.

Cette évolution est due en grande partie aux agriculteurs qui ont créé des syndicats d' élevage et ont acheté ou loué des pâturages.

Les vaches restent dans la vallée et la plaine où l'on a installé dans quantité de villages des fromageries modèles. La diminution de production du fromage qui en est résultée à la montagne a provoqué un changement dans le personnel du chalet et dans ses occupations. En dehors du service de propreté des étables, le jeune bétail ne nécessite guère que de la surveillance. Une grande partie de cette besogne peut être confiée à des femmes et même à des enfants; aussi a-t-on vu la famille suivre de plus en plus les armaillis dans nos Alpes, alors que jadis ceux-ci étaient seuls à s' y rendre.

Lorsque le temps est beau, génisses et vaches passent la nuit entière hors du chalet; elles y rentrent tôt le matin et ruminent à l' abri du soleil, des mouches et des taons qui ne cesseraient de les molester. Vers la fin de la saison toutefois, lorsque la chaleur a diminué, on les laisse sortir quelques heures durant le jour.

Les vaches sont traites le soir, avant qu' on leur ouvre les portes du chalet. Un lait savoureux coule dans les seillons — les brolzé — et les remplit de ses flots de neige. A cette occasion les armaillis tiennent suspendu au côté un petit sac — le M — rempli de sel dont le contenu est donné aux bêtes turbulentes pour les faire rester tranquilles.

Les armaillis sont aidés dans leur besogne par un jeune garçon — le buebo —, quelquefois par deux. Lorsque le seillon est rempli, l' armailli pousse un appel — hao —, le buebo accourt, prend le récipient, en donne un vide en échange et se rend à la chambre à lait où le liquide est versé dans les diétzo.

Le lendemain matin, à leur rentrée au chalet, les vaches sont de nouveau traites; le buebo va porter le lait directement dans la chaudière à fromage. Le lait de la veille y est mélangé, mais auparavant, les armaillis ont soin de mettre de côté pour leur nourriture un peu de la crème qui est montée à la surface.

Habilement sorti du fond de la chaudière au moyen d' une toile, le fromage en grains va trouver place sur une sorte de table avec égouttoir — l' inretcha — dans un cercle de bois susceptible d' être resserré — le reize —. Il s' épure sous l' action du pressoir et prend la forme qu' il conservera. Le lendemain, il est transporté dans la vallée, ou bien par un armailli avec l' oji, genre d' instru dont la partie supérieure, destinée à recevoir le fromage, repose sur la tête de l' homme et la partie inférieure, munie de deux branches pour les mains, s' appuie sur les épaules; ou bien avec un mulet pourvu d' un harnachement spécial qui permet de suspendre deux meules à ses flancs et que conduit un jeune homme, le barlattei. Le fromage, entreposé dans une cave, y est salé et soigné jusqu' à maturation, soit durant trois à quatre mois.

Le liquide demeuré dans la chaudière est chauffé jusqu' à ébullition, après addition d' un mélange de vinaigre et de petit lait aigri — l' azi —. Le sérac — le chéré — monte à la surface. On l' y recueille pour en faire, à l' aide d' un cercle de bois, plus haut mais moins large que celui utilisé pour le fromage — le retzon —, des mottes qui deviennent, quelques semaines plus tard, comestibles.

Après ce prélèvement, le liquide ne contient plus guère que du sucre, excellent comme aliment pour les bébés, mais qu' il n' est possible d' extraire qu' à des conditions trop coûteuses. Il est en général donné aux porcs.

Vers le milieu de l' été, dans les chalets où les vaches sont nombreuses, on fabrique deux fromages par jour.

Outre les vaches et les génisses on rencontre fréquemment au chalet des chèvres, des moutons et des porcs. Ceux-ci ne s' éloignent pas; ils vivent d' herbe et de petit-lait. Les chèvres et les moutons très vagabonds s' en vont rôder dans les rochers, à moins que le temps ne soit mauvais ou le soleil trop chaud; ils s' abritent alors sous l' auvent du chalet.

Les chèvres rentrent habituellement le soir, pour faire soulager leurs mamelles remplies. Avant de leur donner la liberté, on les allège, le matin, du lait de la nuit. Ce lait est utilisé pour faire de petits fromages, des tommes ou quelquefois pour l' élevage des veaux.

A côté des travaux que nous venons de signaler, l' armailli en a beaucoup d' autres. Le maintien en état de propreté de ses linges, de ses ustensiles et des écuries, prennent avec l' étendage des engrais une partie considérable de son temps. En l' absence d' un mulet il doit apporter de la vallée, sur ses épaules, des provisions de bouche, de même que certains aliments nécessaires au bétail, en particulier le sel. Il veille à la santé de ses animaux et les soigne sans secours étranger, dans les cas de maladie peu grave. Les pâturages sont-ils coupés de rochers ou offrent-ils des dangers, le troupeau ne saurait rester sans surveillance un instant. La façon et le transport du bois de feu exigent un labeur assez dur quand la forêt est éloignée ou très accidentée. L' éven de chutes de neige tardives au printemps ou précoces en automne commande la préparation d' une certaine quantité de foin pour l' entretien du bétail. Les haies doivent toujours être maintenues en bon état et les pâturages épierrés.

La frugalité est une des vertus du montagnard. Il se nourrit de pain, de café, de lait et de produits du lait. Au repas principal — la choupâye —, il consomme du petit lait chaud et du sérac frais mélangés dans un diétzo — lalhi trinlchi —. Ce bizarre mélange est, paraît-il, moins échauffant que le lait. A côté du diétzo, il s' en trouve un plus petit, un diétzé, qui contient de la crème. Chacun des convives, muni d' une cuiller, puise alternativement dans ces récipients tout en mangeant du pain. Dans certains chalets, la soupe remplace, le soir, le laitage. Il est à supposer qu' avec le temps et ce que d' au appellent le progrès ces repas deviendront plus variés. Déjà dans quelques chalets de la Singine, où l'on estive des génisses, les femmes ont amené avec elles des poules dont les œufs sont les bienvenus. Le coq saluera de plus en plus haut le lever de l' aurore.

La cuiller dont nous venons de parler, spéciale au chalet, en est l' usten le plus intéressant. Taillée dans un seul morceau de bois, elle est peu profonde, large, de forme ovale. Le manche court, le plus souvent muni d' un crochet, est aplati et orné de ciselures représentant des figures géométriques, des edelweiss, des chaudières, des armaillis, des animaux tels que taureaux, vaches, chamois...

Une partie de ces ornements se retrouvent sur les colliers — rimo — auxquels sont suspendus les toupins, grosses cloches plus larges en haut qu' en bas, portées par les vaches. Il est des colliers, des cuillers et des cloches qui datent de plusieurs siècles. Nos musées en renferment des spécimens intéressants, entre autres celui de l' institut de Grange-Neuve.

Les gros toupins exercent sur les vaches un effet extraordinaire. Tandis que les clochettes suivent les animaux au pâturage, ils restent suspendus, ainsi que les grosses cloches, au-dessus des solives du chalet durant toute la saison d' alpage. Qu' on vienne à les mettre en mouvement, les animaux crient et s' agitent; il n' y a plus moyen de les maîtriser. Comme je demandais à un armailli d' en photographier, il ordonna à ses hommes de ne les déplacer qu' avec une extrême prudence. Il avait la certitude que le sabbat régnerait dans son écurie si ces cloches venaient à sonner... Les vaches ont, semble-t-il, à l' ouïe de cette musique étrange, l' intuition que le moment est venu de changer d' alpage ou de redescendre dans la vallée. A mesure que l' été avance, on sait, en effet, que les troupeaux montent d' étape en étape vers les chalets supérieurs et regagnent successivement la plaine, à l' approche de l' automne.

Coiffé de la traditionnelle calotte de paille brodée, l' armailli porte un gilet de cotonne bleue mêlée de blanc, avec bouffants — le bredzon —, qui s' ouvre sur une chemise quadrillée, dont les manches sont habituellement retroussées pour faciliter le travail.

En voyage, le montagnard se munit d' un chapeau mou, de feutre noir, n' oublie ni sa pipe, ni sa canne — la crocette — et, s' il pleut, met un manteau flotteur, de couleur foncée.

Lorsqu' au chalet, les occupations de la journée ont pris fin, le fromager, maître du logis, les valets — les Dajillei — et le buebo se réunissent au coin du feu pour causer et fumer. Leur conversation ne manque ni de gaîté, ni de malice, ni de joyeux propos. Ils ne se soucient plus guère des légendes d' autrefois. Les servants aux petits yeux et au visage bruni, qui précipitaient le troupeau dans l' abîme lorsqu' on les maltraitait, mais qui par contre se montraient les serviteurs dévoués du chalet et les fidèles gardiens du troupeau quand on usait d' égards envers eux, se sont enfuis. Esprits follets et lutins, bonnets rouges et farfadets ont déserté les retraites, même les plus profondes. La disparition du mystère et de la crainte qui entouraient la montagne les a condamnés à un perpétuel bannissement.

Mais voici que l' aube est plus lente à venir; les ombres du soir s' allongent, les fleurs ont passé. Le gazon ras n' est plus pour les troupeaux qu' une pâture insuffisante. L' heure est venue de regagner la plaine.

Un matin, sitôt le fromage fabriqué, les préparatifs de départ sont entrepris; les gros toupins sortent de leur abri, la chaudière est dépendue et le cortège des animaux s' ébranle au bruit des multiples sonnailles. Il descend rapide le sentier sinueux pour disparaître à un contour. Longtemps encore on continue à le suivre des oreilles, jusqu' au moment où meurt tout à fait dans le lointain la symphonie qui l' accompagne.

Heureux, l' armailli va regagner sa demeure dans la vallée; cependant sa pensée attendrie est retenue par l' Alpe qu' il ne quitte pas sans émotion et sans espoir. Avec Baron, si nous scrutons son âme, nous pouvons y lire cette prière:

Je te bénis, Toi, que j' adore, Dans tes prodiges, tes bienfaits; Conserve-moi longtemps encore Dans mon bonheur et mes chalets.

Georges de Goltrau.

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