Le Monte Moro à ski
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Le Monte Moro à ski

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PAR CLAIRE-LISE LAVANCHY, BLONAY

- Quand on part en course avec Jean-Louis, on a le beau!

Deux heures trente du matin. J' ouvre la porte. Nuit noire, il pleut. Une 2 CV m' attend devant le portail; trois visages tirés, trois paires d' yeux, lourds de sommeil, m' accueillent dans l' obscurité!

Vevey: place de la Gare, 2 h 45. La soirée finie, quelques couples, titubant de froid et de sommeil, s' engouffrent dans le ventre des taxis. Devant le bâtiment de la poste, deux gars en équipement de montagne, collés contre le mur pour mieux se protéger de la pluie, attendent... Nous les rejoignons. Bonjour! ou plutôt: Bonne nuit!

Bâillement collectif.

Pas une étoile au ciel! Ici il pleut, mais au-dessus de la ville, les collines blanchissent.

- Partons-nous?

- Mais oui, vous savez bien que, quand on part avec Jean-Louis, on a le beau! Le voilà, Jean-Louis, avec son grand sourire et ses yeux plissés de malice.

- Vous n' avez pas l' air très enthousiastes! Allez! départ pour le Monte Moro!

Cinq dames et huit messieurs s' enfilent frileusement dans trois voitures. Nous sommes fidèles à la 2 CV. Les fesses sur des fixations de sécurité, la tête dans les bâtons de ski, je voudrais bien dormir encore un peu... Impossible! cahots, ballottements se succèdent avec une régularité étonnante.

Nous traversons la plaine du Rhône, roulons dans les villages profondément endormis ( les bienheureux !). L' épaisseur de la couche de neige augmente. La 2 CV lutte vaillamment contre la poussée du vent, mais il fait une telle tempête que nous regardons le toit avec inquiétude... Non, il ne pleut pas encore à l' intérieur!

Les arbres du Bois de Finges plient sous le poids de la neige et prennent des allures fantomatiques à la lueur blafarde et vacillante des phares.

Viège: premier rassemblement. Les voitures stationnées sur le bord de la route sont recouvertes de vingt centimètres de neige fraîche. Nous ouvrons les portes et nous nous extrayons... Les fixations de sécurité manquent de confort, et elles laissent des traces! Une boule de neige s' écrase contre le tronc d' un arbre!

Dégourdis, nous repartons.

Le fond de la vallée à peine quitté, il nous faut mettre les chaînes. La 2 CV grogne, glisse, s' essouf, n' en peut plus. Mon amie et moi passons dans une voiture plus confortable. Quel délice de s' en mollement dans des sièges rembourrés! Là-haut, le jour se lève, le brouillard colle aux sapins, aux maisons, aux rochers.

Saas-Grund: six heures. Les fidèles se hâtent vers l' église du village dont le campanile égrène, tristement dans cette grisaille, les derniers appels aux matines. 6 h 30: peaux fixées, skis chaussés, nous suivons la route qui conduit au chantier de Mattmark.

- Quand on part avec Jean-Louis...

Depuis que je fredonne ces paroles sur tous les airs populaires qui me viennent à l' esprit, le brouillard s' épaissit !..

A notre droite se dessine l' ombre du barrage au nom tristement célèbre: barres de fer tordues, rochers et blocs de glace éventrés par les pelles mécaniques, monstres tentaculaires à la recherche de corps humains... La montagne va-t-elle rester aussi hostile, aussi lugubre?

Sur la moraine le vent nous fouette le visage et le brouillard tourbillonne. La! Il se déchire et nous apercevons, un instant, un coin de ciel bleu!

- Quand on part avec Jean-Louis...

Oui! Le miracle se produit. Le temps de suivre « le mauvais chemin », c'est-à-dire de traverser le lac gelé, ce que les douaniers déconseillent pourtant aux contrebandiers ( eh! oui )... et le ciel se dévoile. La bise siffle et souffle la neige au ras du sol. Derrière la Pierre Bleue de Mattmark, nous grignotons quelques biscuits, puis reprenons le chemin.

Tout au long de la montée, jusqu' au col du Monte Moro, nous bénéficierons d' un temps inespéré, et cette vallée solitaire et désolée nous apparaît dans toute son austère beauté.

A midi nous atteignons le col et posons un ski de chaque côté du piquet délimitant les territoires suisse et italien. En montagne il n' y a pas de barrières, pas de frontières.

Nous descendons de quelques mètres sur le versant italien pour nous protéger du vent, et nous nous étendons sur les rochers qui dominent la piste de ski. Partant de Macugnaga, un téléphérique de construction récente transporte la foule des skieurs dans ce coin jadis si tranquille.

En face de nous se dresse l' imposante paroi est du Mont Rose. Malheureusement son sommet reste enfoui dans le brouillard, et nous ne verrons pas la Pointe Dufour. Le soleil ne parvient guère à réchauffer l' air frais et bientôt nos doigts engourdis refusent de serrer un petit biscuit.

Sacs boucles, nous prenons le chemin du retour. Nous redescendons sur le versant suisse du Monte Moro, en empruntant l' itinéraire du matin. La neige se confond, maintenant, avec la blancheur du ciel. La visibilité est quasi nulle. Fort heureusement il n' y a pas de brouillard. Neige soufflée, congères, glace et encore de la neige soufflée se succèdent invariablement. Nous descendons sagement en faisant de grandes traversées.

Bientôt le lac est... à portée de pointes! Voilà le barrage, puis la vallée qui a perdu la neige fraîche du matin. La route noire glisse entre les forêts où l'on sent une odeur de printemps. Il reste juste un étroit passage de neige pour les skieurs « tout-terrain » et sans scrupules pour les semelles de leurs skis.

Saas-Almagell: Ah! qu' il est doux le chant du Fendant qui coule dans les verres! Nos jambes s' étendent sous la table. La journée était bien remplie, mais nos yeux brillent de tout ce qu' ils ont vu. N' avais pas raisonQuand on part avec Jean-Louis, on a le beau temps!

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