Le ski et la poésie de la haute montagne
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Le ski et la poésie de la haute montagne

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Par R.P. Bille

Le problème délicat posé il g a déjà quelques années par M. R.P. Bille n' a rien perdu de son actualité.

( Tribune de Genève ) A voir le progrès, l' importance croissante, l' essor prodigieux qu' a pris ces dernières années le sport du ski, chez nous, en face de toutes les manifestations qu' il occasionne, des élans d' enthousiasme et de ferveur qu' il soulève, de la somme incroyable d' énergie qui s' y dépense, l'on demeure quelque peu surpris, même étonné.

Toutefois, si la ferveur que ce sport soulève dans la foule fait plaisir, si, pour beaucoup, le ski est encore une source de joie et d' énergie, il est permis de se demander, au train où nous allons, s' il n' y a pas dans cette ruée sportive, dans cette ferveur même, quelque chose d' inquiétant, voire peut-être un certain danger.

Il est permis de se demander si tous les bienfaits retirés de ces séjours à la montagne, de ces courses à ski, de ces efforts sont bien ceux qui enrichissent l' homme d' une façon profonde et durable, et s' ils ne revêtent pas très souvent, hélas! un caractère d' ordre beaucoup trop physique, si la jeunesse, tout en se fortifiant dans un sens, ne s' anémie pas dans l' autre, et si, avec cet accroissement de santé, d' énergie et d' endurance, l'on n' observe pas parallèlement une sorte de diminution vitale de la pensée, une carence de l' esprit. Graves questions, d' ailleurs, auxquelles il n' est pas toujours aisé de répondre!

Cependant, il faut reconnaître que notre beau sport national, poussé ainsi à outrance et mal compris comme il commence à l' être, risque fort un jour ou l' autre de faire de sérieux dégâts dans une génération qui, plus que jamais, aurait besoin de lutter contre l' indifférence qui la gagne afin de retrouver quelques vraies valeurs, afin de reconquérir la liberté de parole et la passion de l' esprit qui lui font de plus en plus défaut. Ce n' est pas avancer une idée tendancieuse que de dénoncer, chez la plupart de nos sportifs, un certain désintéressement de la pensée, non plus que de répéter tout haut ceci: « Encore quelques années et c' en sera fait des vraies joies du ski, des réels bienfaits qu' il peut et doit procurer à ses adeptes, de cet enrichissement intérieur qui, d' une façon toute naturelle, doit accompagner le glorieux envol du corps et l' entraînement des muscles. Encore quelques années et ce noble sport ne sera bientôt plus qu' un prétexte à d' intenses compétitions physiques, qu' une folle grimpée suivie d' une vertigineuse descente, sans rien sentir, sans rien voir d' autre autour de soi. » Et pourtant, la poésie de la haute montagne n' est pas un vain mot. Mais il faut la redécouvrir, la goûter avec des sensations nouvelles, laisser derrière soi le cliché de la carte postale, l' huile à bronzer, les « lattes » trop vernies; il faut se méfier de tout cet attirail moderne qui finalement gâte la grandeur du paysage, empêche de voir la furieuse cavalcade des cimes, le cheminement des tétras dans la neige, les traces des lièvres blancs et le ciel étoile.

Oui! Il faut redécouvrir une poésie de la montagne et, pour cela, s' en approcher avec un cœur sincère, sans craindre le froid, ni les fatigues, ni l' im solitude. Il faut s' en approcher comme un amant farouche approche de sa belle, en laissant tout derrière soi, en n' ayant rien d' autre devant que la course des nuages dans le ciel, la fuite du temps et ce rythme millénaire au fond des veines: le rythme du sang, créateur de vie et d' amour.

Oui! Il faut redécouvrir une poésie de la montagne et ne point s' embar de trop de choses, ne point s' entourer de trop de confort, ni regretter le jeu de cartes qu' on a oublié en plaine! Il faut aller à elle avec ses propres forces, avec ce qu' on vous a donné et ce qu' on peut vous reprendre aussi: ce bon corps solide qui a du poil et du jarret! Alors, la montagne vous réservera quelques surprises, alors, vous devrez peut-être vous battre avec elle toute une nuit, tout un jour, épaule contre épaule, souffle contre souffle, mais rien ne rapproche autant que la lutte, rien ne lie davantage que la haine. Oui!

vous devrez vous battre et sentir la solitude, et sentir le froid et votre faiblesse; et d' avoir senti celle-ci, de vous être reconnu vivant en face de l' univers, humble, misérable chose, mais vivant tout de même, vous donnera enfin la mesure de votre grandeur, vous révélera le prix de la vie.

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