Le ski, sa physiologie et ses débuts à Genève
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Le ski, sa physiologie et ses débuts à Genève

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Par le Dr Léon Weber-Bauler.

C' était il y a quelque 34 ans! La forêt silencieuse était seule alors à contempler la blancheur de nos montagnes qui vivaient vierges de tout sillon au cours des longs mois d' hiver. De-ci delà quelques traces prudentes de lièvres ou de renards; du blanc, du bleu, rompu parfois par la tache pourprée d' une baie attardée; plus haut, la solitude des alpages avec la douceur du contour des croupes modulant l' alternance des ombres et des lumières; plus haut encore, les sommets voguant dans le ciel et reprenant, dans un ordre plus construit, le chœur des clartés. Tour à tour le gel des nuits stellaires et l' éclatant soleil le midi étaient, après les tourmentes de neige, les seuls maîtres des altitudes.

Maintenant le ski est venu rompre le sceau secret de l' alpe: sa proue, fendant les surfaces nivéales, a conduit l' homme à la découverte et à la jouissance d' un monde nouveau, un monde de cristaux, de lumière et d' éther.

C' était il y a quelque 34 ans! J' avais passé un hiver à Leysin. A la fenêtre d' un bazar, par-dessus quelques plats de Thoune, des ours de Berne, des chalets et autres souvenirs helvétiques, je vis, un jour, croisées, deux lattes vernies, à la belle courbure, dont l' extrémité s' ornait d' une tête de cerf pyrogravée. Que cela peut-il être? J' entre, je m' informe. « C' est, paraît-il, des patins à neige, me répond le marchand, ça vient de la Forêt-Noire. » Un commis voyageur tudesque avait apporté cette paire de skis en même temps que les souvenirs helvétiques. J' achète incontinent les « patins à neige ». Ils avaient une fixation en cuir épais, sans mâchoires, avec, comme guides et comme ressorts Amstutz, un arc de jonc! Je les chausse et, hardi, en pleine descente! Je tombe, naturellement, je me relève, je glisse en arrière, je retombe, mais quand même, autodidacte acharné et l' instinct aidant, j' arrive à faire quelques descentes devant les malades ébahis qui garnissaient les galeries. Dès la fin de la saison, je réussis à faire quatre prosélytes: voyez-les sous les Dents d' Aï. Tel était le ski à Leysin en l' an de grâce 1901!

Descendu à Genève en 1902, une annonce me tombe sous les yeux: « Les amateurs de skis sont priés de se rencontrer à tel endroit, tel jour, telle heure. » Nous fûmes deux au rendez-vous: l' auteur de l' annonce, un jeune ingénieur norvégien, Ole Hoúm, et moi! « Comment se fait-il que dans un pays à neige aussi merveilleux, vous ne fassiez pas de ski? » « J' en fais bien, mais sans savoir comment. » « Je vous l' enseignerai. » Et nous voilà partis dans le Jura. Hoiim me montra des skis avec la fixation Huitfeldt et m' initia à la technique norvégienne, aux Télémarks et aux Christianias. Après quelques randonnées à deux dans les solitudes de la Givrine ou du Vuarne, nous fîmes une active propagande au sein de la section genevoise. On nous répondit que le ski avait été déjà pratiqué par quelques clubistes, on nous fit lire un article de l' Echo des Alpes publié en 1898 par notre collègue Thudichum, on nous objecta toutefois que, somme toute, le ski ne valait rien pour la montagne pour laquelle la marche en canards à la raquette était l' idéal...

Notre enthousiasme fit cependant quelques adeptes et, la même année, St-Cergue dans le Jura vit un groupe de skieurs monter le matériel d' un chalet dans la combe du Vuarne au grand étonnement des autochtones. Dès 1903 le jeune groupe des skieurs de la section genevoise fit de nombreuses courses dans les montagnes de la Suisse romande et de la Savoie. Mégève, à cette époque, en nous voyant, vit pour la première fois des skieurs: ils montèrent au Mont d' Arbois sous la lune déclinante de février par un petit matin glacé, pour joindre un groupe d' amis de Chamonix, sous la conduite du Dr Payot, que j' avais initiés au noble sport totalement inconnu auparavant.

Encore un petit point d' histoire: savez-vous que serrer une courroie de skis avec un levier métallique est une invention genevoise? Eh oui! En 1902 j' inventai le premier excentrique et mon ami Sessely, le pionnier et le plus valeureux des marchands d' articles de sports alpins, prit en mon nom le brevet de cette invention. Avant qu' Elefsen, Hoüm et bien d' autres l' eussent perfectionné, mon levier primitif servit longtemps à un grand nombre de skieurs en Suisse.

Mais ce n' est pas tout. Inconscients de notre impéritie, mais confiants en notre foi, nous décidâmes, Baud-Bovy, Fred. Boissonnas et moi, d' écrire un livre sur le ski! Déjà! Un traîneau transporta le lourd matériel photographique de l' époque vers le Vuarne.Vous pouvez voir ici quelques-uns des clichés qui furent alors pris et qui feront sourire les virtuoses de l' heure. Nous abandonnâmes toutefois ce projet car, d' inconscients, nous devînmes conscients des difficultés de la tâche.

Tels furent les débuts du ski à Genève: nous partîmes une vingtaine, nous sommes maintenant une vingtaine de mille. Tel a été l' immense élan populaire vers le plus merveilleux des sports.

Je dis merveilleux, car le ski joint aux charmes de l' alpinisme la beauté de tout mouvement où s' allient les lois de la mécanique à celles de la physiologie. La propulsion du skieur est purement dynamique: il vole sur les surfaces des neiges sous la poussée de la gravité. Son élan est une chute à laquelle ne s' opposent que le frottement sur la neige et le freinage de l' air qui siffle à ses oreilles. Augmentez d' une part la pente, diminuez d' autre part le frottement ainsi que la résistance de l' air, par l' allure ramassée et des dispositions vestimentaires aérodynamiques, et vous aurez ces records fantastiques de 140 kilomètres à l' heure réalisés par certains champions modernes.

Mais cette chute, avec l' enivrement de la vitesse qu' elle procure, est une chute dirigée, conduite par l' art et les réflexes du skieur, d' où cette satisfaction, que dis-je, cette joie, de plier à son gré une force mécanique aveugle. Et l' art du skieur est devenu stupéfiant grâce à l' étude attentive des réactions des surfaces frottantes liées à la position des skis et à l' équilibre du corps. De là sont nées les filles de la technique nouvelle que nous ignorions il y a 30 ans: les évolutions gracieuses du slalom et du stem, les arrêts foudroyants, enfin l' envol splendide du sauteur qui trace son immense parabole aérienne amortie par la tangente du point d' amortissage, d' œuvre de l' école norvégienne.

Maintenant, que les « purs » du ski me pardonnent: ce dont je vais parler apparaîtra aux sportsmen comme les divagations d' un être périmé: il s' agit de revendiquer la haute valeur esthétique et hygiénique du ski-alpinisme, en face du ski-sport, ce fameux Sport avec un grand S qui s' est emparé de tout exercice physique, avec ses courses, ses champions, son public passif, ses professionnels, ses amateurs, ses performances. Ouvrez le Ski, bulletin des sociétés suisses de ski, de la première à la dernière page vous n' y trouverez que comptes rendus de concours, que listes de classement, que règlements, que palmarès. Monter en crémaillère ou en téléphérique à telle station, descendre en 10 minutes un dénivellement de 800 mètres, remonter par la même voie, abaisser son temps à 9 minutes 30 secondes, moins si possible, tel est le suprême du ski pour un grand nombre. Eh bien, il y a quand même autre chose, il y a pour certains amoureux de la nature encore la « course de montagne » à skis avec sa montée par la forêt, les alpages, vers les hauts cols et sa descente par monts et par vaux en lutte avec les obstacles et la variété des neiges.

Montée et descente, jouissances et bénéfices divers. A mon avis c' est la montée qui est la plus précieuse du point de vue hygiénique. Elle est en effet le meilleur exercice du cœur, la meilleure gymnastique respiratoire qui soient, à condition de se pratiquer d' une manière régulière, et cette régularité, si on s' en tient non aux exigences sportives, mais aux exigences hygiéniques, ne peut être conditionnée — je m' effraie presque de le dire — que par l' usage des peaux de phoque. Grâce à elles, vous êtes maîtres du rythme et de l' in de l' effort. Une fois le rythme des foulées établi et la pente choisie, vous déterminez une accélération définie des battements cardiaques et, con-comitamment, une accélération définie des respirations dont la puissance et l' amplitude trouvent une aide efficace dans l' appui de bâtons. Voulez-vous augmenter le travail, il vous suffira d' accentuer l' angle de la rampe que votre navigation terrestre trace sur la pente de neige. Ainsi vous réglez à volonté le nombre de kilogrammètres accomplis dans un temps donné et vous pouvez facilement calculer le nombre de calories dépensées. Aussi quel bien-être ne ressent-on pas dans ce louvoyage ascensionnel, quand le soleil fait resplendir les facettes du givre écarté par la moelleuse pression rythmique de la proue des skis, quand les vagues des pentes bleutées s' abaissent lentement derrière vous, quand l' air froid emplit régulièrement vos poumons.

A la descente, les choses changent du tout au tout: c' est l' effort variable, souvent violent, souvent soutenu, au gré de tous les obstacles qui surgissent devant le skieur. Et c' est aussi la fatigue des muscles appelés à se contracter statiquement dans les longues descentes régulières, dynamiquement dans les contours ou les arrêts. La fatigue des longues descentes directes est le fait d' une contraction prolongée de groupes musculaires identiques qui travaillent pour contrebalancer deux forces opposées, celle qui lance le corps en avant et celle qui freine tout au long des surfaces frottantes des skis. Aussi quel n' est pas le skieur qui n' ait ressenti dans ce cas une sourde douleur de l' avant et même une véritable brûlure au niveau des muscles de la cuisse, témoins d' un effort trop longtemps soutenu. Il s' ensuit que la descente, pour être bienfaisante, ne doit pas se faire tout de go, à une allure de record, mais doit être coupée soit par des arrêts, soit par les circuits reposants des slaloms qui changent les groupes des muscles en action. Vous aurez alors la jouissance des réactions des forces équilibrées, de la réponse aux déplacements de votre corps, de la conduite paradoxale de ces deux longs patins en apparence emprisonnés dans le parallélisme de leur sillon, mais qu' une savante déviation amène à tourner ou à mordre la neige de leur carre pour des arrêts en pleine vitesse.

De telles évolutions, en complet accord avec la physiologie et qui prolongent les plaisirs de la descente, s' opposent aux pures performances-vitesse où le sportsman digne de ce nom dévale pentes sur pentes le corps ramassé en flexion, tous muscles en jeu, thorax fixé en inspiration, pour accomplir le temps-minute assigné à un parcours classique.

Grâce à la technique moderne perfectionnée, nous sommes maintenant bien loin des débuts du ski relatés au commencement de cet article. Ces débuts ont été à peu près les mêmes un peu partout et à peu près à la même époque, à l' exception des pays Scandinaves. Actuellement la marée du ski déferle sur l' Europe, l' Amérique du Nord, le Japon. C' est le sport le plus populaire et le plus démocratique qui soit; c' est encore un sport qui « se pratique » à l' in des sports que les foules « regardent pratiquer » comme le football; c' est aussi le sport de montagne par excellence, le sport le plus sain, le moins dangereux, le plus enivrant aussi car quoi de plus enivrant que de pouvoir, à tout âge, déployer les ailes invisibles de la cinématique et fendre l' atmos des sereines altitudes!

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