Le Wetterhorn
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Le Wetterhorn

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Par Adrien Volila!

Avec 2 illustrations ( 75, 76Section de Montreux ) Par la face nord-ouest ( Première ascension directe ) Une année plus tard, nous arrivons à Grindelwald, espérant pouvoir enfin réaliser un de ces vieux rêves caressés depuis des années! Les conditions de la neige paraissent très favorables et nous sommes « gonflés à bloc ». Mais hélas!... depuis ce matin le temps a changé. L' Eiger est tout encapuchonné de lourds nuages et une fois de plus, à contre-cœur, nous envisageons de dire adieu à l' élégante voie Lauper. Il faut se rendre à l' évidence et accepter de voir nos projets tomber à l' eau! La mort dans l' âme, nous attendons que le temps se décide. Lentement les heures s' écoulent, goutte à goutte; nos derniers espoirs en font de même. A présent il faut se décider à faire une autre course pas trop éloignée, pour pouvoir atteindre une cabane au cours de la soirée. Hansel propose une course « ersatz » nous permettant d' employer notre équipement pour neige et glace.

Nous partons pour le Wetterhorn. A dix minutes du village une pluie torrentielle s' abat sur nous, lavant de cette façon nos toutes dernières hésitations. Ce brave St-Pierre fait bien les chosesRongeant notre frein nous cherchons un abri. Une bonne heure plus tard, la pluie diminuant d' in, nous repartons pour Gleckstein où nous arrivons passablement mouillés. Il faut souvent partir par la pluie si on veut avoir le beaul Le lendemain, par le même itinéraire que l' année dernière, nous atteignons le glacier du Huhnergutz. Notre but est de tenter l' ascension directe de la face nord-ouest « encadrée » par notre course de l' année dernière.

Cette face fut gravie indirectement le 10 août 1878 par: J. Baumann, G. E. Foster et G. F. Vernon avec les guides Christen Inäbnit, Peter Egger, Hans Baumann et fils. Mais leur voie passe à côté du bastion sommital et rejoint l' arête nord à une certaine distance à l' est du sommet. Cette course s' acheva dans le brouillard et le mauvais temps, ils ne purent donc malheureusement pas indiquer l' itinéraire suivi.

Traversant le glacier, nous arrivons à la verticale du sommet, puis obliquons en direction de la face. La rimaye est franchie sans grande difficultés sur un pont de neige.

Tout de suite, l' inclinaison de la pente est forte, et elle va en se redressant jusqu' au sommet. La neige étant profonde, le tracé est pénible à faire, aussi nous pivotons souvent autour de Rose, nous relayant ainsi à la tâche. Nous montons en lacets toute la partie inférieure. Progressivement la pente se redresse et la neige diminue, finalement il n' en reste que juste ce qu' il faut pour avancer sans tailler. Les conditions ne peuvent être meilleures, la température un peu froide est idéale, la neige garde sa bonne cohésion. L' ascen se poursuit rapidement et la gaîté est notre compagne. Il est remarquable comme le caractère, l' état d' esprit d' une cordée peuvent influencer les impressions que ses membres éprouvent dans une course. Les moments les plus pénibles, les difficultés les plus grandes s' amenuisent dans d' invrai proportions si un peu d' humour, un sourire sont de la partie. Tout paraît plus facile, plus beau; c' est comme un rayon de soleil réchauffant tout ce qui nous entoure, même les abîmes les plus sombres. Nous avons fait certaines courses qui auraient pu être jolies; le caractère maussade de certains compagnons chargeait l' atmosphère d' électricité et influait sur notre moral. C' était comme si la grisaille du brouillard avait appesanti sur nous sa chape de plomb, neutralisant ainsi ( comme un inhibiteur ) les joies les plus pures. Bien choisir — quand on le peutses compagnons, admirer le paysage, observer bêtes, fleurs, torrent, glacier, la montagne en un mot, plus souvent que sa montre est généralement le secret des courses agréables.

La montagne n' est heureusement pas encore un stade ( malgré certaines tendances!... ), le tepips qu' on met à parcourir une certaine distance, ou à s' élever de x mètres, n' a qu' une importance toute relative. Pourvu qu' on atteigne le but dans les limites permises pour notre sécurité, le reste n' a aucune importance. Si on aime la montagne, on fait durer le plaisir d' y rester le plus longtemps possible. Les Asiatiques, eux, prennent encore le temps de penser, tandis que nous souvent...

Souvent, en plein dans une ascension qui devrait, semble-t-il, retenir toute notre force psychique comme elle emploie notre force physique, notre esprit se met à vagabonder. C' est un des grands charmes de la montagne, la journée de l' alpiniste est remplie au maximum et constitue une vie à part. Le travail du corps entraîne chez certains sujets celui de l' esprit, un peu comme grossièrement dans un transformateur électrique le primaire induit sur le secondaire.

Le vide de plus en plus profond se creusant sous nos jambes constitue le principal attrait de cette course. Si c' est impressionnant pour nous, ça l' est, paraît-il, encore davantage pour ceux qui nous observent. Trois touristes sur le Hühnergutzgletscher nous regardent attentivement. Ayant suivi nos traces en présumant qu' elles conduisaient à l' arête nord, ils se trouvent assez perplexes de nous voir prendre ce raccourci. De Grindelwald, nous ayant dénichés au moyen de sa lunette, un guide suit aussi notre ascension, plus tard il nous dira: « Cela paraissait être trois mouches collées à une paroi blanche. » Nous jouissons d' une vue grandiose sur une partie de l' Oberland et des Préalpes. Sous nos pieds, au bout de la fuyante glissoire, le glacier du Hühnergutz arrête un instant nos regards. Puis, sans transition, 1500 m. au-dessous, c' est le vert tendre des pentes ensoleillées d' Hinter der Brügg. Le contraste est saisissant. La vallée ainsi qu' une chatte s' étale paresseusement au soleil matinal. L' air est pur, les chalets éparpillés ressortent nettement sur la verdure.

C' est une contrée vraiment magique! La vue sur l' Eiger, ce « Cervin bernois », est stupéfiante... le rusé se fait un malin plaisir d' aiguiser nos désirs! Drapant coquettement sa base sous un voile de nuages cotonneux, il nous présente royalement sa cime altière aux lignes hardies. Finement ciselé, il se détache admirablement dans le bleu du ciel, pur joyau serti dans un délicat chaton. Pour nous, c' est un supplice de Tantale, en quoi avons-nous déplu à Jupiter?

A notre droite, une nervure rocheuse de plus en plus saillante nous cache maintenant l' Eiger, puis Grindelwald et sa vallée. La pente se redresse et devient plus vertigineuse encore. En même temps la couche de neige s' amincit, puis la taille des marches se révèle indispensable. Une seconde nervure devient, côté gauche, à son tour proéminente, nous mettant ainsi dans un chenal. Malheureusement un malaise momentané m' empêchera de relayer Inäbnit dans ce dernier bout. Sortant les pitons à glace, je les passe avec regret à Hansel — je viens de fabriquer ces trois pitons ( tube acier Cr. Mo. 80 kg. mm2, diamètre 20/1,5 lg. 270 mm.et suis heureux d' en faire l' essai.

Sous les coups redoublés du marteau, le piton s' enfonce à merveille dans la glace dure. Un mousqueton est passé dans la plaque de renfort ( soudée à cheval ) et la corde glissant facilement permet un bon et facile assurage. Hansel monte de 15 mètres, puis replante un piton. Comme il est assuré, inutile de tailler des « baignoires ». Des petites marches suffisent, l' ascension est ainsi beaucoup plus rapide et moins pénible. Après trois longueurs de corde la glace disparaît du chenal qui se rapproche graduellement de la verticale.

Die Alpen - 1949 - Les Alpes23 Sur la droite, un bourrelet de glace de trois mètres de haut nous surplombe. Taillant de petites marches et des niches pour les mains, Hansel effectue une délicate traversée ascendante et parvient sur le bourrelet. C' est le passage le plus raide et délicat de toute la face qui est derrière lui! Nous le rejoignons le plus vite possible, car le vent s' est levé et la neige poudreuse balayant sans interruption le chenal nous arrose d' une douche glaciale.

Encore quelques mètres de taille dans la glace vive et une bonne neige fait de nouveau son apparition. La pente diminue et tout à coup, heureuse surprise... nous atteignons déjà le sommet!

En échangeant la traditionnelle poignée de mains, nous jetons un regard rétrospectif sur notre trace qui, après une dizaine de mètres, disparaît dans un vide impressionnant. Nous avons mis neuf heures de la cabane au sommet. Dans de bonnes conditions, cette belle course est sans dangers objectifs. Il est recommandable de la faire au début de la saison quand la face est encore enneigée et par une température assez fraîche. Le rocher délité étant recouvert, aucune chute de pierres n' est à craindre.

Nous prenons gaîment une collation bien gagnée, puis par la Wettersattel et les couloirs à l' est de la Wüls-Grätli nous filons à grande vitesse sur Gleckstein. La neige s' est ramollie, et comme notre sens de l' inclinaison est encore faussé par la face que nous venons de gravir, nous faisons dans ces couloirs très raides de rapides et téméraires glissades. Elles finissent heureusement sans anicroches sur le Kinnengletscher.

Quelques bonnes tasses de thé nous attendent à la cabane. Dévalant ensuite sur Grindelwald, une heure et demie plus tard, nous retrouvons nos bécanes à l' Hôtel Wetterhorn, et comme si l' heureuse réussite de notre course nous donnait des ailes, nous filons à toute allure sur la route poudreuse.

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