Les dangers de l'alpinisme; une semaine clubistique d'hiver
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Les dangers de l'alpinisme; une semaine clubistique d'hiver

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Avec 2 illustrations ( 101, 102Par R. Eggimann

Le fait de tout prévoir dans une expédition en haute montagne n' en supprime pas les risques. Nous l' avons appris à nos dépens il y a quelques années, en hiver, ou plutôt à la fin de l' hiver.

C' était notre semaine clubistique hivernale, et nous nous sommes fait attraper par le froid, dans 1' Oberland bernois, à 1' Obermönchjoch. Nous avions pourtant tout prévu, sauf l' imprévisible: nous ne pouvions pas nous douter que, cette année-là, les bises méchantes de mars souffleraient en avril... Nous avons senti passer l' aquilon, puisque l' un des nôtres est mort et que plusieurs d' entre nous ont souffert de gelures assez graves. Aussi sommes-nous rentrés chez nous la crête basse et nous avons souvent depuis fait un retour ému sur les événements tragiques de cette semaine de ski. Pour ma part, j' y ai réfléchi maintes et maintes fois et je suis arrivé à la conclusion que, si des erreurs ont été commises, elles eussent été sans conséquences en temps ordinaire, et que sans la bise meurtrière nous nous en serions tirés tout de même et serions rentrés indemnes.

1° Si c' était à refaire, nous ne choisirions pas l' Oberland bernois vaste, froid et impénétrable pour champ de nos ébats. Les distances y sont trop longues, les glaciers droits, plats, interminables, impitoyables sont d' une longueur désespérante. De plus, ces glaciers sont des chenaux tout naturels pour la bise, ils la canalisent et lui laissent toute sa force malfaisante, et je crois qu' entre le Valais, l' Oberland et les Grisons je n' hésiterais plus; je choisirais les Grisons, aux vallées peu profondes, aux sommets moutonnés, arrondis, aux glaciers « modestes et charmants ».

2° Si c' était à refaire nous ne monterions pas en train au Jungfraujoch. Inconséquence de l' homme, farci de contradictions: on tonne contre les chemins de fer de montagne qui rabaissent, nivellent et avilissent l' alpe, on prétend que c' est une honteuse exploitation des beautés naturelles de notre merveilleux petit pays... et l'on se laisse hisser à 3450 m. sans protester le moins du monde. Et la punition suit immédiatement la faute — aussi prompte que l' ivresse après boire — le mal de montagne vous saisit avant, pendant ou après le souper. C' est alors que s' insinue en vous un désir violent, tyrannique de périr immédiatement, cette soif du néant qu' on éprouve en mer par un gros temps... La vraie façon de faire la montée, c' est de la faire à pied. Les efforts, lents et mesurés, fournis par le corps qui cherche à s' adapter à l' altitude, sont salutaires à tous les organes et surtout au cœur qui reste, dans toute ascension, le maître de la situation ( un « cœur » faible commande, un « cœur » robuste obéit ). On ne brusque pas un moteur d' auto en rodage. Si l'on monte par ses propres moyens, les poumons, graduellement, s' habituent à la respiration écourtée qu' on est forcé d' adopter tout en s' élevant, et les jambes suivent le mouvement. Il n' en est Die Alpen - 1946 - Les Alpes2 pas de même si l'on sort à 3450 m. d' altitude d' un vagon de chemin de fer où l'on est resté assis et enfermé pendant des heures: les jambes flageolent — les poumons s' affolent et le cœur bat la campagne.

3° Si c' était à refaire nous attendrions au Jungfraujoch d' être guéris du mal de montagne avant de continuer notre route et surtout de monter plus haut, puisque le seul remède vraiment efficace à ce mal sournois est de redescendre. Or, nous sommes partis le lendemain de bonne heure et les jeunes, plus fous que sages, voulurent corser l' expédition en montant à l' Obennönchjoch ( 3618 m .) et se préparer ainsi une descente magnifique de l' autre côté. Peut-être bien qu' en nous laissant glisser simplement du Jungfraujoch à la cabane Concordia, comme les vieux l' auraient voulu, nous aurions évité la catastrophe, mais ce n' est pas certain.

Avant de nous coucher, la veille du départ pour 1' Obermönchjoch nous avons vu tout ce qui est visible là-haut: l' Eispalast, plaisanterie macabre d' un goût fort douteux, vrai crématoire taillé dans la glace, où tout est mort, où tout est figé, y compris le piano fantôme éclairé à la lumière électrique et qui attend que quelque voyageur revenant des enfers veuille bien s' asseoir sur le tabouret de glace pour faire valser les âmes en peine et refroidies tournant dans l' au delà. Nous avons vu la station de recherches scientifiques: nous avons vu les oies du capitole, je veux dire les canards qu' ils ont enfermés là-haut, dans des cages obscures et humides, jusqu' au moment où on les tuera et les disséquera pour examiner leurs organes et noter l' influence de l' altitude sur leur sang, leurs artères, leur lymphe et leur système nerveux. Ces pauvres sacrifiés ont piaillé sur notre passage... « Morituri te salutant. » Nous avons vu tout cela, nous avons circulé partout, nous avons promené notre mal de montagne à tous les étages en attendant dé l' aérer le lendemain sur le glacier. Nous avons collé notre front fiévreux à la porte-tambour qui permet d' entrer dans la cabine téléphonique où l'on doit appeler le con-cierge-cicerone et c' est lui qui nous a conduits dans le dédale glacé et venteux de la station des recherches scientifiques ( vous n' avez pas idée des courants d' air qui régnent dans ces galeries: on croit les portes verrouillées tellement on a de peine à les pousser pour les ouvrir devant soi ). Nous avons vu tout cela, mais nous aurions préféré qu' on nous donnât un remède contre le mal de montagne, et surtout contre la bise qui commença à souffler ce soir-là.

Quand nous sortîmes du dortoir le lendemain matin de bonne heure nous aperçûmes sur la galerie, à côté du télescope, un thermomètre géant: il indiquait 28 degrés centigrades au-dessous de 0 et il était dans un coin abrité. Une fois dehors nous voyons aussitôt notre trajet et le travail que nous devons fournir. Tout là-haut le col, qu' on espère atteindre, si tout va bien, en une heure et demie. A ce moment le soleil éclaire les panaches de neige qui l' enveloppent, en léchant la base du Trugberg à droite. De loin c' est très beau et tout a l' air d' être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais voilà que subitement la bise se fâche: elle enlève et soulève la neige poudreuse tombée la veille et fait pleuvoir sur nous des tourbillons glacés qui nous labourent le visage et nous mordent les mains. On a l' impression d' être vêtu de papier à cigarettes et d' avoir aux mains ces gants de filoselle que portent les vieilles dames pendant les canicules. La bise qui s' engouffre brutalement dans vos poumons, les inonde d' un froid mortel et vous vous étonnez d' abord d' être encore chaud ( façon de parler ) et vivant, et vous vous dites ensuite que ce ne sera pas pour longtemps. Cela rappelle les descriptions des « blizzards » polaires, celui, par exemple, qui fit périr le capitaine Scott et tous ses compagnons. Je suis sûr qu' en pleine tempête et juste au-dessous du col il régnait une température de 30 à 35 degrés au-dessous de O. Or, rien ne tue aussi vite que le froid: il engourdit les membres et chloroforme la volonté. Je m' en rendis compte alors. Je fus le premier à flancher ( parce que le plus vieux et le moins résistant ). Plusieurs fois déjà j' avais levé les yeux vers le col, trouvant la distance bien longue. Peu à peu l' idée de m' ar, de m' asseoir, de me coucher s' implanta en moi. Et je fus le premier qui élevai la voix en disant — tout essoufflé et par la montée raide et par les assauts de la bise — je fus le premier à crier: « Arrêtez! je ne monte pas plus haut! » Les copains me voyant perdre courage me rudoyèrent pour me faire avancer, un moyen qui réussit parfois avec les ânes récalcitrants. Puis, sentant mes forces capituler et ma volonté demander l' armistice, je fis mine de m' asseoir. Tout de suite, le copain de devant réagit et commença à m' apostropher: « Allons! Debout! Dans dix minutes nous sommes au col. » « Je te dis que je n' en peux plus. Je ne vais pas plus loin. Je reste ici. » « Si tu restes ici, tu peux faire ton testament. Donne-moi tes bâtons, tu pourras mettre tes mains dans tes poches! » Puis, en bon ânier qu' il était, il s' occupa soudain de mes oreilles: « Dis donc, regarde tes oreilles, elles sont toutes blanches, ton nez aussi! » En fermant un œil je vis en effet que le bout de mon nez était blanc comme de la cire.Vite le copain me le frotta avec de la neige et je me mis moi-même à pétrir vigoureusement mes oreilles. Puis, après avoir fourré mes doigts gelés dans la tiède profondeur de mes poches j' avançai, le dos courbé sous la rafale, marchant comme un automate, sans volonté, sans conviction, sûr que d' un instant à l' autre le ressort de ma machine détraquée allait se rompre. Or, l' ironie de toute cette navrante affaire c' est que ce fut le copain qui écopa. Je finis par m' en tirer tant bien que mal, tandis que son geste généreux lui valut des gelures terribles aux deux mains et une pneumonie qui se déclara à l' arrivée en cabane. Un autre camarade eut le bout des doigts pinces par le gel; un autre la joue gauche, tous sentirent les atteintes du froid. On dut s' arrêter pour soigner les blessés et la colonne repartit dans la direction du col. Il nous fallut une énergie surhumaine pour l' atteindre, et si nous n' avions pas eu l' ultime espoir de trouver là-haut le soleil et l' apaisement, d' être bientôt de l' autre côté, à l' abri de la tourmente et enfin hors de danger, je crois que nous n' y serions jamais arrivés. Nous découvrîmes même une niche dans les rochers où il n' y avait plus de bise et où le soleil nous donna un instant l' illusion d' être en Provence, au sortir de l' hiver, dans la douceur d' un soir d' avril. Ce qui ne nous empêcha pas de grelotter de tout le corps; nous ne pouvions plus nous arrêter et jamais de ma vie je n' ai autant frissonné. C' était la réaction, c' était en outre le seul moyen d' affirmer et d' exprimer notre vitalité. On avait l' air de grelotter poor se réchauffer. Inutile de dire que le moral, comme le physique d' aüV leurs, était encore, à ce moment, bien bas, très bas même et qu' il resta là jusqu' au soir de cette affreuse journée. Je me demande encore comment j' ai eu le courage de sortir mon appareil et de prendre une photo du Trugberg, photo dont je suis très fier.

La descente de l' autre côté fit l' effet d' un élargissement, d' une délivrance, d' une sortie miraculeuse et bénie d' un enfer maudit où les damnés subiraient les morsures du froid au lieu de celles du feu éternel. La neige, sous nos skis agiles, était rugueuse, raboteuse, soufflée, et disposée en vagues inégales, màis cela n' avait aucune importance. L' essentiel c' est que cela ne montait plus et que cela descendait même assez vite, que la bise avait desserré son étreinte, que le buzzard était derrière nous et que nous n' avions plus qu' à nous laisser glisser dans la direction de la cabane Concordia. Plusieurs passages de cette descente furent d' ailleurs excellents, et comme la pente était suffisante, nous fîmes voile sans accroc sur cette mer figée de FEwigschnee-feld, virant à droite, virevoltant à gauche, évitant les crevasses visibles et passant sans insister sur celles que nous soupçonnions. Descente merveilleuse: la pente régulière et les nombreux paliers nous permettaient de courir sans nous essouffler et de nous arrêter de temps en temps — simplement pour regarder — avant la glissade suivante. Je me rappelle surtout la terrasse avant les séracs de la chute inférieure du glacier où nous avions devant nous le vaste couloir qui monte à la Lötschenlücke, flanqué à gauche de l' Aletsch, étincelant au soleil. Mais quelle froidure!

A 11 heures nous étions au bas de l' échelle de Jacob qui monte à Concordia et c' est là — et seulement alors — que le bon samaritain, Auguste le secourable, ôta ses moufles d' Esquimau... ses deux mains, violacées comme deux aubergines, étaient gelées. Il se hâta de les frictionner avec de la neige, puis vint faire le lézard avec nous du côté abrité et ensoleillé de la cabane. Nous lui primes son sac au moment du départ, le plaçâmes en tête de cordée pour qu' il pût régler la marche à sa guise et fîmes tout notre possible pour lui faciliter la besogne. « Peines d' amour perdues. » Il souffrait tellement que dès l' instant où, de la Grünhornlücke, il vit la cabane du Finsteraarhorn, but de l' étape, il nous quitta sans rien dire, se détacha de notre groupe comme un vagon en dérive et fonça vers la cabane, l' instinct de conservation le poussant à se mettre à l' abri le plus vite possible. Nous le trouvâmes une heure plus tard étendu dans le dortoir, les yeux fermés, la bouche ouverte, le souffle court et affreusement angoissé, le souffle précipité des malheureux atteints de pneumonie.Vite on demanda au gardien si la pharmacie C.A.S. avait un thermomètre. Réponse: non. Par contre, un candidat en médecine de Berne se trouvait là. Il ausculta notre ami, compta 130 pulsations à la minute et nous dit que cela devait correspondre à une fièvre de 40 degrés. Alors nous tînmes conseil et les jeunes s' offrirent tout de suite à retourner au Jungfraujoch pour appeler un médecin ( c' est un trajet d' au moins huit heures aller et retour ).

En attendant leur retour nous prenons nos quartiers d' hiver ( il fait à peine plus chaud dedans que dehors ), nous nous mettons en ménage et sortons les provisions de nos sacs. Décidément tout est gelé comme nous: les citrons, les œufs; une pomme de terre me glisse entre les doigts et tombe sur le plancher de la cuisine: elle fait exactement le bruit d' un galet. Une fois installés nous nous occupons de notre malade. Il n' est pas question de le laisser tout seul dans le dortoir à l' étage, il faut le sortir de cette glacière et le descendre au rez-de-chaussée:

« Ce n' est pas réglementaire », proteste le gardien.

« Zut pour le règlement! Notre ami est gravement malade, il n' y a pas de règlement qui tienne. » Le voilà maintenant près de nous et nous pourrons lui prodiguer les soins auxquels il a droit. Mais, hélas, que pouvons-nous faire? Nous voudrions le soulager, lui poser des ventouses, par exemple, mais où les prendre et comment s' y prendre? Cet asile ressemble si peu à un hôpital. Nous assistons impuissants à l' agonie lente et sûre d' un malade privé de soins. Nous n' arrivons pas même à le faire boire et quand on se penche vers lui, le verre en main, Auguste reste inerte, ne desserre pas les dents et refuse, passif et insensible à tout, les soulagements que notre amitié voudrait lui donner... Il faudrait un miracle pour raccommoder la situation, il faudrait surtout un médecin-sauveur.

Des bruits de pas devant la porte, elle s' ouvre lentement et un homme apparaît. « Tout va bien 1 » me dis-je immédiatement soulagé, « c' est le médecin », puis mes regards se posent sur un insigne énorme qu' il a sur la poitrine. Un guide, seulement, le chef de la colonne de secours. Il est porteur d' un message daté du Jungfraujoch qui nous apprend que nos jeunes ont téléphoné à la clinique de Wengen pour appeler le médecin. Celui-ci a répondu qu' il ne montait jamais pour soigner des malades en cabane, que c' était au malade à descendre dans sa clinique... Une heure plus tard arrivent les six guides de la colonne de secours. A partir de ce moment c' est un remue-ménage général. On empoigne délicatement Auguste, on le déshabille sur sa couchette, on lui met des vêtements secs. On lui ingurgite de force deux verres de champagne apporté par les guides. On le prend par les jambes et les bras, on l' emballe dans plusieurs couvertures, on le couche doucement sur le traîneau qui l' attend devant la porte de la cabane... Nous voudrions accompagner le cortège, mais les guides refusent nos services et veulent faire seuls. Et le traîneau part, retenu au moyen d' une corde par les bras vigoureux de ces six jeunes hommes. Le temps est calme, le soleil chaud, la vie dehors désormais possible. Nous suivons des yeux la descente cahoteuse de la caravane et trois heures plus tard nous la voyons franchir le col de la Grünhornlücke.

Et nous nous sentons alors allégés d' un poids trop lourd pour nos frêles épaules: nous savons Auguste en bonnes mains, sinon en bonne posture; il aura bientôt des soins entendus, sa constitution robuste triomphera du mal, sa santé vigoureuse aura raison de cette crise, nous le reverrons guéri, sauvé. D' ailleurs, le lendemain déjà nous sommes rassurés: une caravane rencontrée sur le glacier nous dit avoir de ses nouvelles: il a une double pneumonie, il va « aussi bien qu' il peut aller », et le médecin espère le sauver.

Et cependant j' avais des doutes et comme un pressentiment que tout n' irait pas « aussi bien que cela pouvait aller ». En effet, le neuvième jour, Auguste mourut à Wengen, en présence de sa femme appelée à son chevet.

LES DANGERS DE L' ALPINISME Cet épilogue tragique bouleversa tout le monde, et nous, ses vieux copains, pleurons encore la perte de ce merveilleux ami. Le temps, inexorable, s' acharna contre lui et contre nous jusqu' au bout: il neigea, à son enterrement à la fin d' avril, avec plus de persistance qu' à Noël. Le public, lui aussi, tenace et dur comme la bise, jaseur et bavard de nature, s' en mêla, émettant toutes espèces d' opinions, faisant mille commentaires. On m' a même demandé — un jour que je racontais pour la vingtième fois notre triste équipée —: « Mais alors? vous n' aviez pas de gants? » J' aurais pu répliquer « A question stupide pas de réponse! », mais je restai poli et répondis: « Pour ma part j' en avais deux paires, l' une sur l' autre et cela n' a pas empêché le froid de me mordre et de m' endommager trois doigts. » J' ai aussi reçu d' un de mes meilleurs amis, compagnon de courses et d' ascensions, une lettre qui sent la semonce, le sermon. Voici ce qu' il me dit:

« Je te croyais assez sage et assez âgé pour ne plus faire de bêtises ( vous voyez que mon ami a des illusions et qu' il semble ignorer le proverbe .Alter schützt vor Torheit nichtla vieillesse ne nous garantit pas de la folie ). D' autre part, j' ai toujours pensé, à lire vos récits de course, que la section neuchâteloise allait un peu fort. Vous faites trop souvent des courses qui ne devraient pas figurer au programme d' une section. La réussite de ces courses dépend toujours d' une .certaine chance' qui peut faire défaut une fois... » « A ce taux-là », ai-je répondu à mon ami le moraliste, « on n' entreprendrait jamais rien. Toute expédition comporte des risques, mais il faut la tenter tout de même et ,courir sa chance '.

Vous me direz: « Mais, ce n' est pas intéressant d' exposer sa vie en s' amu. » Et vous aurez tort, car la vraie façon de vivre, c' est de vivre « dangereusement ». C' est d' ailleurs ce que nous faisons tous actuellement, pendant ces années de guerre, même sans pratiquer l' alpinisme et en restant sagement à la maison, et vous verrez que si nous sortons sains et saufs de l' aven nous regretterons probablement le temps où, sans trop savoir ce qui nous attendait, nous vivions dangereusement.

« As to danger », dit Bernard Shaw dans une de ses comédies, « it is deli-cious, but death is not: We court danger, but the real delight is in escaping »; ce qui veut dire:

« Quant au danger il est délicieux, mais la mort ne l' est pas. Nous recherchons le danger, nous lui faisons la cour, mais le vrai délice, le vrai bonheur c' est d' y échapper. »

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