L'escalade en Provence
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L'escalade en Provence

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Avec 7 illustrations ( n08 135—141 ).

Par Robert Tanner.

Beaucoup d' alpinistes français ignorent la Provence en tant que « terrain » d' escalade; à plus forte raison les grimpeurs suisses. Je vais essayer, dans cet article, et surtout pour ceux qui auront un jour l' occasion de se rendre aux environs de Marseille, de porter à leur connaissance, un peu brièvement certes, mais avec le maximum de précision possible dans un court exposé, les inépuisables possibilités de « joies alpines » qu' elle réserve.

Les barres calcaires de la Provence constituent les derniers contreforts sud de la chaîne des Alpes, auxquelles elles se rattachent géologiquement. Elles se groupent en quatre régions principales.

Sur la côte même, de Marseille à Cassis, le massif de Marseilleveyre, les calanques de Sormiou, de Morgiou et de Suggitton, le massif du Puget, avec la Grande Candelle, la crique et les falaises du Devenson, les calanques de l' Ouïe, d' En, de Port-Pin et ce Port-Miou. A l' est d' Aix la chaîne de Sainte-Victoire. A l' est d' Aubagne la chaîne de la Sainte-Baume et le Pic de Bartagne. Enfin, entre Marseille et la Sainte-Victoire, la chaîne de l' Etoile, avec le Pilon du Roi.

Les calanques sont d' anciens lits de petits fleuves côtiers gagnés maintenant par la mer, parfois jusqu' à une profondeur de plus d' un kilomètre. Elles sont bordées de falaises abruptes, au relief très tourmenté, et un peu comparables à de petits fjords norvégiens. Celles d' accès facile sont assez connues des touristes, ainsi que la région de la Sainte-Baume. Le reste de la Provence « rocheuse » est très peu fréquenté, même des habitants de la Provence, dont beaucoup ignorent — cela est fréquent — les beautés de leur pays même.

De cela, bien entendu, les grimpeurs ne se plaignent pas. L' aspect sauvage et rude du cadre de leur varappe et son atmosphère d' isolement sont l' un des principaux facteurs du plaisir qu' ils trouvent dans « leur » sport, et ce n' est pas sans inquiétude qu' ils envisagent la possibilité de réalisation de certains projets, assez récents, d' exploitation touristique de la Provence.

Les marches d' approche sont relativement courtes, les parois peu élevées, et souvent — nous verrons plus loin la nature particulière de l' escalade en Provence —, après plusieurs heures d' ascension, les grimpeurs ne sont qu' à quelques dizaines de mètres du départ. Le danger touristique est donc pour eux beaucoup plus sérieux qu' en haute montagne. Celle-ci est assez vaste pour que les alpinistes retrouvent toujours dans leurs courses l' isole qu' ils désirent, malgré les téléphériques et les chemins de fer à crémaillère, qui leur sont au total plus utiles que nuisibles.

L' expression que j' ai employée plus haut: « joies alpines », est sans doute inexacte. L' alpinisme implique de hauts sommets, des itinéraires longs, la neige, la glace, un cadre immense.

Le cadre de l' escalade en Provence est souvent grandiose, mais ce n' est pas par la grandeur des montagnes ou l' éloignement des horizons; c' est par la raideur des parois, leurs angles et leur relief hardi. Cadre modeste de dimensions, mais parfois aussi impressionnant que la montagne: on peut éprouver, en Provence, dans certaines murailles ou arêtes, à cinquante mètres du sol, une sensation de petitesse et d' isolement semblable à celles que procurent les hautes faces alpines.

La glace et la neige sont presque inexistantes ( je n' ai connaissance que d' un accident mortel provoqué par le gel ). Il n' y a que peu ou pas de danger objectif. Lorsque le grimpeur risque sa vie, c' est presque toujours sciemment.

Les itinéraires ne dépassent pas trois cents mètres de dénivellation, et le plus haut sommet d' escalade, le Pic de Bartagne, n' a guère plus de mille mètres d' altitude.

De grandes oppositions avec la « montagne » donc; malgré cela, les temps d' ascension sont souvent comparables: nombre de voies « à pitons » sont irréalisables sans bivouac, à moins de les reprendre à plusieurs fois.

L' escalade en Provence est un peu au dolomitisme ce que celui-ci est à l' alpinisme: les grimpeurs, pour compenser l' absence des difficultés et des dangers qui font la caractéristique du véritable alpinisme, se sont attaqués à des parois très raides et très lisses. Ils tirent leur plaisir surtout des effets de vide et des difficultés purement techniques; le plaisir de l' effort est analogue, quoique de nature différente, spécifiquement plus « athlétique », et aussi plus varié, et l' impression de danger, bien que celui-ci soit en réalité généralement moindre qu' en montagne, est plus forte, surtout dans les voies difficiles.

Le cadre, tout différent, surtout dans les calanques, où s' unissent et s' opposent la mer et les murailles rocheuses, ajoute à l' escalade un charme particulier à la région...

L' ESCALADE EN PROVENCE.

Quelques détails techniques intéresseront sans doute les grimpeurs désirant connaître avec plus de précision le genre de difficultés que l'on rencontre en Provence. La classification de Welzenbach, en six degrés, a été adoptée. Il serait bien entendu oiseux de comparer les difficultés d' une course de montagne avec celles d' une voie en Provence, ces difficultés étant de nature toute différente. Tout au plus est-il possible de comparer certains passages. Notons ici que l' escalade en Provence a pris ces dernières années, et malgré la guerre, un essor tel que d' anciennes voies considérées comme des plus difficiles sont devenues presque courantes et que la classification a dû subir une modification réduisan: de deux degrés environ la désignation ancienne des difficultés. Les voies d' ascension sont très nombreuses et très variées: voies d' école, faciles et court es, voies contenant des passages d' esca libre limite, ou de longs passages de traction directe, nécessitant le bivouac ou plusieurs tentatives successives, et toute la série intermédiaire. L' escalade artificielle est beaucoup plus courante qu' aux Dolomites, et les meilleurs grimpeurs en ont un tel entraînement qu' ils considèrent comme difficiles uniquement les passages où la majorité des pitons sont très peu solides. Le bivouac est peu pratiqaé, étant donne qu' il est souvent plus simple, vu la facilité d' accès des zones d' escalade, de redescendre en quelques rappels, en laissant les pitons posés p une ou plusieurs « expéditions » postérieures; la partie de la voie ainsi éqiipée peut se refaire en trois à cinq fois moins de temps.

C' est ainsi, par exemple, que la première ascension du « Grand Pilier » du Pic de Bartagne a été réalisée, par une cordée de deux, en huit tentatives de dix heures chacune en moyenne ( les sept descentes comprises ). Cet itinéraire, long de 165 mètres seulement, a nécessité la pose de 130 pitons, avec un maximum d' économie. Pour être faite, à deux, en une seule fois, la voie exigerait probablement deux bivouacs et trois jours d' ascensione ). La première ascension de la « Voie Directe », dans la même paroi, a été réalisée dans des conditions analogues de temps. Moins difficile, elle a été refaite, deux ans plus tard, en 31 heures, par une cordée de quatre ( 180 mètres, 80 pitons ), dont 17 heures le premier jour ( la cordée ayant terminé de nuit une étape relativement facile de la voie, précédant précisément le seul emplacement de bivouac assez bon ). Ces itinéraires contiennent d' importants passages d' escalade libre ou « mi-libre », mais surtout de l' escalade artificielle. D' autres sont entièrement libres. D' autres encore, telle la Paroi Jaune de Saint-Michel ( Marseilleveyre ), courte muraille entièrement surplombante, nécessitent la pose de plus d' un piton par mètre. Les difficultés d' escalade libre les plus courantes proviennent de la rareté et de la petitesse des prises. Les parois sont parfois lisses au point de ne présenter que peu ou pas de relais naturels; le relais sur planchette et pitons remédie alors à cet inconvénient.

Lorsque, dans les courses difficiles, l' emploi de la double corde est insuffisant ( passages à « pitonnage » complexe ou fragile ), le grimpeur utilise une troisième corde, ainsi que cela se pratique parfois aux Dolomites ( la quadruple corde a été employée aussi, dans quelques passages exceptionnels ). La troisième corde offre une sécurité de plus pour les passages exposés de traction directe ou permet un meilleur coulissage. Le « leader » la « démousquetonne » chaque fois qu' il a franchi le passage où il a dû s' en servir, de façon à être toujours lié directement au second de cordée qui a ainsi la possibilité de lui faire passer rapidement, en cours d' étape, le matériel dont il peut avoir besoin, surtout lorsqu' il s' agit de longues étapes artificielles ( quelques-unes nécessitent une trentaine de pitons ). Elle est plus fine que les cordes normales afin que le grimpeur de tête ne soit pas embarrassé de son poids. La troisième corde offre aussi l' avantage de permettre, dans les rappels, lorsque cela est nécessaire, d' assurer le premier qui descend sur la longueur d' encordement.

Les pitons employés dans les passages artificiels difficiles sont extrêmement variés de forme, de longueur et d' épaisseur. Les pitons à glace sont très utiles, dans certaines fissures d' aragonite surtout. A l' autre extrémité de la gamme, les pitons minuscules, de deux centimètres de longueur de lame, et qui ne peuvent parfois pas être plantés de moitié seulement.

La triple corde, la planchette-relais, et les pitons surnommés « postiches » sont violemment critiqués par la majorité des grimpeurs de l' ancienne école: ils ne connaissent évidemment pas le plaisir que l'on a à vaincre, à force de patience, au prix d' efforts musculaires intenses combinés à d' astucieuses combinaisons d' équilibre, et cela sous le risque constant d' une chute, le passage qui, à priori, ne « pitonne » pas. A quoi bon discuter de cette question de l' escalade moderne — et même, de quel droit —, si on ne l' a pas pratiquée, dire que ce n' est plus de l' escalade, mais du « cirque en privé » ou autre chose de ce genre? Question de définition encore, autant que de goût ou d' aptitude: ne s' agit pas toujours de s' élever par l' effort, en se rendant maître des difficultés naturelles que présente le rocher. Je crois même qu' il n' est pas excessif de prétendre que les savoureux effets de vide que permettent de goûter les escalades artificielles suffiraient à en justifier la pratique.

Les éléments qui créent cet attrait si complexe de l' escalade sont nombreux, certes: beauté du cadre, beauté et logique d' un itinéraire naturel, c'est-à-dire tracé par la nature même dans une muraille ou sur une arête. ( Or, un itinéraire naturel peut nécessiter la technique artificielle. Le tout est de savoir juger si l' intérêt de la voie est proportionné aux difficultés artificielles qu' il faudra résoudre. ) Le plaisir de l' effort, par le jeu équilibré de tous les muscles, celui du vide et souvent même celui de la sensation d' insécurité sont toujours les plus importants de ces éléments, et ils se retrouvent parfaitement dans l' escalade artificielle. L' excès est possible, et il existe, lorsqu' un « philistin » force à coup de pitons un passage normalement faisable en escalade libre; mais le vrai grimpeur aime toujours la « varappe » naturelle, il la pratique en même temps que l' autre, et même, généralement, la préfère.

Pour terminer, quelques mots sur les étapes du développement de l' esca en Provence.

L' ESCALADE EN PROVENCE.

Les voies pratiquées avant 1936 sont à peu près toutes classées maintenant dans le 4e degré inférieur ou en dessous. C' est en cette année que Barrin franchit, avec Duchier et Lacaze, la face nord du Rocher des Goudes ( Marseilleveyre ), paroi en grande partie surplombante, mais à relief assez prononcé pour permettre une voie l' escalade libre. Peu de temps après, Magol, suivi de Duchier, introduit la traction directe, et ces deux grimpeurs réalisent la première voie artificielle importante: la face ouest du même sommet. En 1938 un problème assez ancien est résolu, la face ouest du Pic de Bartagne: un passage-clef artificiel, franchi à simple corde et dans des conditions d' exposition extrêmes ( matériel et technique encore rudimentaires ). Cette voie ne marque pas un pas considérable dans la technique, mais elle est une réussite importante du fait que la paroi, la plus haute en un seul jet, et des plus convoitées, avait repoussé de nombreuses tentatives antérieures. En 1939 l' escalade à pitons se développe: arête nord-ouest, face nord directe du Rocher des Goudes. En 1940 Livanos-Samuel et Livanos-Mouarand refont ces deux dernières voies dans des temps beaucoup plus courts, grâce au perfectionnement de la technique, et Livanos-Samuel ouvrent une voie encore plus dure: la Directe de St-Michel ( Marseilleveyre ). C' est aussi l' époque de la Voie Directe du Pic de Bartagne, qui transports sur une échelle de longueur triple les plus grandes difficultés pratiquées jusqu' à ce moment.

Les voies artificielles sont maintenant nombreuses: diverses « premières » de Tramier, Streicher, Rebuffat, etc., et surtout de Livanos et Albert qui n' arrêtent pas d' ouvrir de nouvelles voies.

En 1941 une voie marque une étape dans la technique: la Paroi Jaune de Saint-Michel. La face est toute surplombante, les pitons solides sont très rares et les deux grimpeurs se doublent à chaque relais, effectué pour la première fois sur planchette. Livanos et Albert font peu après deux autres voies de difficulté analogue. La même année voit la réalisation du Toit du Trou du Chat ( Marseilleveyre ), par Tramier, et celle du Grand Pilier du Pic de Bartagne, voie non seulement à passages-limites, mais très soutenue de difficulté et de beaucoup la plus longue de Provence: les cent pitons sont dépassés largement et pour la première fois.

En connaissant les difficultés techniques des voies les plus dures, on serait assez porté à croire qu' il n' y a plus rien, qui soit à la fois beau et nouveau, à faire en Provence. Il semble bien, en effet, que les voies les plus belles sont faites, mais quelques nouveaux problèmes commencent à se poser pour une période future, mais peut-être proche, de l' escalade en Provence: la Grande Paroi du Cancéou ( calanques ) et même la Paroi Concave, à l' ouest du Devenson. Cette dernière muraille, une portion de sphère creuse se terminant en toit, semble encore maintenant quelque peu utopique, mais sa réalisation paraît déjà moins invraisemblable que ne le semblait par exemple celle de la face nord du Rocher des Goudes en 1934 ou celle du Grand Pilier de Bartagne en 1940.

Mais cela dépasse presque le sujet de cet exposé. Il en sera sans doute question plus tard.

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