L'Homme et la montagne ou 125 ans d'histoire du CAS
Unterstütze den SAC Jetzt spenden

L'Homme et la montagne ou 125 ans d'histoire du CAS

Hinweis: Dieser Artikel ist nur in einer Sprache verfügbar. In der Vergangenheit wurden die Jahresbücher nicht übersetzt.

homme et la montagne ou 125 ans d' histoire du CAS

Georges Grosjean, Kirchlindach

Version écrite de l' allocution prononcée à Saint-Gall, le 30 octobre 1988, à l' occasion de la fête centrale du CAS

A la conquête du soleil. Course à ski au Bös Fulen En intitulant notre propos L' homme et la montagne ou 125 ans d' histoire du CAS, nous ne prétendons pas que l' homme ne s' est pas mesuré auparavant avec la montagne, mais nous affirmons que la relation de l' homme avec le monde alpin a été en quelque sorte institutionnalisée par l' acte de fondation du CAS. C' est ainsi qu' est née une organisation chargée de maintenir et de développer cette relation tout en conservant pour la postérité les résultats et succès obtenus. Notre intention n' est pas de relater l' histoire événemen-tielle de l' alpinisme en Suisse, mais de dégager plutôt les différentes raisons qui ont motivé les alpinistes au cours de ces 125 années.

Quelque diverse qu' ait été en tout temps la motivation pour la montagne, il s' est toujours trouvé des points d' intersection où se croisaient les différentes lignes adoptées par les coureurs de sommets. Et c' est précisément à ces points de rencontre qu' il faut situer le CAS.

Dans l' analyse des mobiles qui ont animé l' esprit des alpinistes, nous partirons du principe que chaque période de l' histoire doit être examinée selon les critères propres à son époque, quand bien même prévaut de nos jours dans les médias ( voire chez les historiens ) l' idée de mesurer le passé aux modèles actuels. Ce faisant, on s' érige en tribunal qui, jugeant et condamnant, risque fort de voir sa sentence cassée par les juges de demain.

Au plan de la motivation, deux raisons principales expliquent la pratique de l' alpinisme: c' est un moyen permettant la réalisation d' un objectif précis ou simplement une fin en soi.

L' alpinisme: un moyen de réaliser un autre objectif L' alpinisme pratiqué comme « moyen » remonte sans doute aux origines de l' humanité. L' homme du paléolithique, qui de sa caverne poursuivait le gibier jusque sur les glaciers, doit avoir déjà escaladé des parois rocheuses. Au Moyen Age, des colonnes de pèlerins et de mulets franchissaient même en hiver des cols englacés, et les chasseurs de chamois, comme les chercheurs de cristaux, avaient une grande expérience de la montagne. Ils disposaient même d' un certain équipement, bien avant qu' ils ne fussent engagés comme guides ou porteurs par les hommes de science ou les alpinistes.

A l' époque de la fondation du CAS, l' alpi pur était inconcevable: on l' aurait considéré tout au plus comme un passe-temps pour les oisifs. Aussi, dans un siècle où se manifestait avec force la volonté de découvrir et de connaître le monde, a-t-on trouvé la justification de l' alpinisme dans l' exploration topographique et scientifique des Alpes, région devenue d' ailleurs un sujet intéressant pour les peintres. Une motivation gratuite, tels le besoin d' activité ou encore la recherche de beaux paysages, a certainement dû jouer aussi un rôle.

On a dit du CAS que, au cours des premières décennies de son existence, il était réservé à une élite. Cette affirmation mérite d' être examinée de plus près.

Il est évident que la pratique de l' alpinisme n' était pas à la portée de toutes les bourses, surtout en raison des frais occasionnés par l' engagement des guides: on ne pouvait concevoir cette activité comme un sport populaire, telle la gymnastique par exemple. Mais le CAS n' a jamais été une société élitaire. N' est élitiste qu' une association qui le veut bien. Elle ne l' est pas, si pour des raisons extérieures, elle ne peut accepter qu' un nombre limité d' adhérents. L' Alpine Club, lui, se voulait élitaire. Aussi exigeait-il, comme condition d' admission, un certificat d' aptitude de haut niveau.

Après avoir débattu de ce problème au cours de son Assemblée de fondation, le CAS avait décidé que l' association ne serait pas réservée à un petit nombre d' alpinistes, mais qu' elle devait au contraire accueillir tout ami de la montagne qui approuvait l' activité du nouveau club. Cette attitude ouverte et généreuse a largement contribué au développement de l' effectif des membres. Aucun changement de cap ne fut nécessaire par la suite: les statuts centraux désignent encore aujourd'hui le CAS comme une association d' amis de la montagne.

Cependant, malgré le nombre élevé de ses membres et les plaintes exprimées à propos des cabanes surpeuplées, le CAS ne saurait être une association de masse: il n' organise pas des réunions de masse du genre « 1000 femmes au sommet du Mont Blanc ». Le CAS se conçoit comme un organisme au service de tous ceux qui s' intéressent à la montagne, que ce soit à titre individuel, dans le petit cercle des amis ou à la section, par goût de l' effort sportif ou par amour de la randonnée contemplative, de l' art ou de la science. Tous sont unis par l' amour commun de la montagne.

Il convient de souligner également que des efforts ont été entrepris très tôt pour rendre l' alpinisme accessible à un plus large public. C' est ainsi qu' on peut lire les témoignages aussi authentiques qu' émouvants que Paul Montandon ( 1858-1948 ), un des pionniers de l' alpinisme sans guide, nous a livrés dans les 17 volumes de ses carnets de courses soigneusement tenus. Il y décrit notamment sa première et téméraire ascension de l' Eiger des 17/18 août 1878, commencée à pied d' Interla, alors qu' il n' avait pas vingt ans et que l' âge de ses trois compagnons variait entre 16 et 23 ans. Même si Paul Montandon et son frère Charles ont vécu plus tard dans une certaine aisance, tous deux ont gardé, leur vie durant, le souvenir de leur modeste origine.

Il est clair que l' alpinisme sans guide a joué un rôle social important pour ceux qui le pratiquaient, mais il a en même temps privé les guides de montagne d' un salaire d' appoint à une époque où, parallèlement au développement de l' alpinisme, la crise économique mondiale provoquait l' effondrement de l' éco alpestre. On en connaît les conséquences: l' exode de la population montagnarde vers les pays d' outre où sont morts nombre d' émigrants.

Grandeur et limites d' un « système de milice » sur le plan scientifique La grande bourgeoisie, prétendue élitaire, avait aussi ses bons côtés, notamment sur le plan social. Soutien du jeune Etat fédéral et des cantons, elle a rempli, sur son initiative et avec ses propres moyens, un grand nombre de missions, confiées depuis lors à l' Etat, telles l' exploration et la mise en valeur des Alpes. Il ne faut pas oublier que, à l' époque, les traitements des professeurs d' université et les bourses des étudiants étaient fort modestes et qu' aucun crédit n' était prévu pour l' achat du matériel et des appareils nécessaires. C' est seulement par l' observation, exercée au cours de longs et souvent pénibles voyages dans les Alpes, et avec les rapports de leurs collègues, que les professeurs préparaient la matière des cours de géographie, géologie, climatologie, glaciologie, botanique et zoologie. Le Club alpin leur a fourni l' infra de ses cabanes, la possibilité de publier le résultat de leurs recherches dans l' An du CAS ainsi que l' autorité nécessaire pour soumettre leurs propositions aux pouvoirs publics.

Le « système de milice » sur les plans militaire, politique et scientifique est un phénomène que l'on envie à la Suisse. Aujourd'hui encore, des milliers d' heures de travail sont accomplies bénévolement par des sociétés scientifiques et par le CAS.

Personne n' ignore que tout « système de milice » a ses limites, et chacun reconnaît le besoin de recourir désormais au professionnalisme. De plus en plus s' impose, en effet, l' image du chercheur moderne qui exploite dans son laboratoire les photos de haute montagne envoyées par satellite, sonde l' univers à l' aide d' antennes ou atterrit avec un hélicoptère sur un sommet ou sur un glacier, décharge et installe un grand nombre d' instru, puis revient à son centre de recherche où l' ordinateur traite déjà les données transmises par les stations de mesures.

C' est là le côté spectaculaire de la recherche mis en évidence par les médias. Mais il existe encore parallèlement toute une acti- vite scientifique exercée chaque jour de l' an sans grands moyens techniques là où ils seraient pourtant le plus nécessaires. La recherche se fait encore sur le terrain, souvent dans des conditions difficiles, à titre honorifique. Elle reste cependant une tâche magnifique qui ne saurait se passer de l' apport de jeunes scientifiques, connaisseurs enthousiastes de la haute montagne.

Si le CAS venait à se désintéresser de la science, il renierait son précieux héritage et perdrait beaucoup de son caractère et de sa raison d' être. Il y a encore plus d' une lacune que le CAS - outre la très louable aide publicitaire qu' il apporte à la science - pourrait combler par son action et ses idées. En vue d' éten la mission du CAS, les statuts centraux ont pris aussi en considération ( depuis 1955 ) les études et explorations à l' étranger, un paragraphe qui n' a pas connu la cote de popularité. Il me semble que, par rapport à la génération des fondateurs du CAS, nous faisons plutôt preuve d' autosatisfaction. C' est ainsi que, à une époque où s' annoncent des modifications de climat dans le monde entier, les hautes montagnes de l' Amérique du Sud et de En montant à la Pointe Dufour l' Asie centrale offrent autant d' intérêt pour nous que les Alpes. Les sommets lointains ne devraient pas seulement constituer des buts de vacances ou d' exploits alpins, car ils nous livrent aussi des informations qui peuvent être alarmantes.

L' alpinisme pur: une fin en soi L' alpinisme pur s' explique par sa double origine: d' une part, il est un défi dans la recherche de l' exploit physique et il satisfait, d' autre part, l' intérêt contemplatif, artistique ou psychologique de l' être humain. Ces deux motivations ne sont pas forcément contradictoires; elles peuvent même fort bien animer l' esprit d' une seule et même personne.

Le désir de réaliser des performances existe chez la plupart des hommes, précisément en montagne où la question de la survie a toute son importance. Bien avant le début « officiel » de la conquête des cimes, les bergers, les chasseurs de chamois et les cristalliers ont certainement mesuré leurs forces et leur résistance en escaladant cols et sommets. Le lancer de la pierre, la lutte libre ou à la culotte étaient une compétition typique des montagnards. La course aux lignes de partage des eaux était parfois un moyen juridique pour déterminer des frontières contestées. A tout cela s' ajoute encore une certaine disposition à prendre des risques. Andreas Fischer, un des grands grimpeurs de l' alpinisme classique, a écrit les vers suivants en exergue à son ouvrage sur ses courses dans les Alpes et au Caucase:

« Pourquoi se demander si c' est folie ou non?

Puisqu' une seul réponse suffit: La vie, c' est aussi vouloir défier le danger Et chercher à accomplir des exploits. » Issu d' une pauvre famille de paysans de montagne, Andreas Fischer naquit à Zaun ( près de Meiringen ) en 1865, soit deux ans après la fondation du CAS. Son père est mort au Caucase en exerçant son métier de guide. Tout d' abord guide de montagne, lui aussi, Andreas devint, à force de volonté, enseignant primaire, puis secondaire et enfin maître de gymnase après avoir soutenu une thèse de doctorat fort remarquée sur Goethe et Napoléon. Il devait succomber également en montagne, en 1912 à l' Aletschhorn, au cours d' une nuit de tempête. Des alpinistes de renom, comme Paul Montandon, ont aussi fait preuve d' audace, mais ils désapprouvaient toute prise de risque inutile. Aujourd'hui encore, le CAS exige que la sécurité l' emporte sur toute autre chose.

D' une manière générale, les Suisses se sont tenus à l' écart des compétitions, empreintes de prestige national et lourdes en pertes humaines, qui ont marqué en son temps certaines premières ascensions au Cervin, puis à la paroi nord de l' Eiger. Il est aussi intéressant de noter que l' alpinisme lié à un exploit ne figure plus depuis longtemps dans les statuts centraux. Il n' y est plus question que de randonnées en montagne. Même si l' intense activité des grimpeurs anglais dans les Alpes suisses a été l' une des raisons qui ont poussé les alpinistes suisses à fonder leur propre Club alpin, et même si des voix patriotiques se sont fait parfois entendre, on ne peut guère reprocher au CAS d' avoir succombé à la vague de Draperies de neige au Wetterhorn chauvinisme national qui a déferlé sur le monde et a si funestement influencé la politique internationale jusqu' à la Deuxième Guerre mondiale.

L' encouragement à la pratique de l' alpi comme un but en soi n' est mentionné par nos statuts centraux que depuis 1970. Encore faut-il comprendre que ce développement concerne généralement la formation des alpinistes, aujourd'hui indispensable pour toute activité en haute montagne. Cependant plus d' un changement s' est produit dans l' al de performance. L' exploration complète des Alpes ainsi que le développement constant de la technique d' escalade ont amené les grimpeurs à chercher des terrains vierges et de nouvelles aventures sur de lointains continents ou dans les parois surplombantes de leur propre pays. À ce point de vue, les formes récentes et particulières de la grimpe, dont on ne saurait contester l' aspect légitime, apparaissent comme une suite logique de l' évolution. Comme la science, l' alpi est en train de passer d' une macro- à une microstructure, un mouvement dont on ne peut encore mesurer les conséquences.

Il convient, à ce propos, de faire la remarque suivante: comme les expéditions lointaines coûtent proportionnellement tout aussi cher que l' alpinisme d' autrefois, et comme l' escalade libre n' est réservée qu' à un petit nombre de grimpeurs bien entraînés, pourvus Lever du soleil, en montant au Bishorn d' une grande force physique et d' une résistance psychique peu commune, on voit poindre de nouveau le danger de l' élitisme. Il est vrai que, dans le sport comme dans toute activité sociale, on a besoin d' une élite, mais il se passe actuellement quelque chose qui affecte tout particulièrement le sport: vu l' importance extraordinaire que la société accorde de nos jours aux loisirs, on voit se développer un égo-centrisme et une autosuffisance qui détachent l' homme de toute responsabilité publique. Il y a quelques semaines, Ernst Strupler, fondateur et directeur durant de longues années de l' Institut des sports et des sciences sportives de l' Université de Berne, a expressément attiré l' attention sur cette question au cours de sa leçon d' adieu et à l' occasion de la remise des diplômes à une dernière volée de maîtres et de maîtresses de sport.

Plutôt que la recherche d' une performance, l' alpiniste peut aussi désirer vivre une expérience à la montagne. Bien qu' exprimé par des philosophes ou des artistes, ce sentiment ne dépend pas d' un niveau culturel donné, car il est de nature essentiellement esthétique. Le chasseur de chamois, qui, sur le chemin du retour, se reposait un instant sur un promontoire rocheux, a certainement dû être saisi déjà par la puissance et la beauté de la haute montagne, alors que la lumière du soir empour-prait les parois et les sommets et que l' ombre bleue montait de la profondeur des vallées à l' assaut des grandes étendues glaciaires.

En affirmant que « le goût des points de vue et des lointains vient du penchant qu' ont la plupart des hommes à ne se plaire qu' où ils ne sont pas » Jean-Jacques Rousseau soulignait le côté psychologique de l' expérience vécue en montagne. L' enfant qui grandit dans la sécurité d' une belle vallée, où il ne manque de rien, quittera un jour sa maison et grimpera sur les hauteurs pour voir ce qu' il y a de l' autre côté. Il découvrira d' autres montagnes, puis d' autres chaînes d' où la vue s' étend sur d' autres sommets, et finalement peut-être une plaine apparemment sans fin. Le désir de gagner les hauteurs devient une aspiration vers l' infini qui, au-delà de l' expérience, prend une dimension métaphysique. Nous n' avons aucune raison de sourire de ces peuples pour qui, il y a peu de temps, les montagnes étaient encore sacrées. Ils les respectaient parce qu' elles étaient le siège des dieux, et ils crai- gnaient d' en fouler le sommet. La perte de nos illusions et la destruction des symboles ne nous ont pas rendus plus heureux.

Le sentiment de la nature s' éveille au cours du XVIIIe siècle et, jusqu' au milieu du XXe siècle, on chantera les glaciers sublimes. La montagne, symbole de la pureté et du sacré, sera aussi le rempart de nos libertés. Les Alpes faisaient partie intégrante du patriotisme helvétique ( aujourd'hui, on dirait d' une manière plus affectée et gênée qu' elles étaient une partie de notre identité ).

Depuis lors, on a écarté cette notion de patriotisme à la suite de l' usage pervers qu' en avait fait le nazisme. En Suisse, la vague des efforts accomplis en vue de « surmonter le passé » n' a pas déferlé non plus sans laisser de traces. Dans ses statuts centraux de 1970, le CAS a supprimé l' objectif « renforcer l' amour de la patrie » qui figurait à l' article premier. Une bonne chose ne devient toutefois pas mauvaise parce que des abus sont commis. C' est l' abus qui est mauvais, non la chose en elle-même. On peut finalement commettre des abus en toute chose. Si, par crainte de ces abus, nous rejetons toutes nos valeurs, nous nous retrouverons nus et seuls dans un monde désert. C' est d' ailleurs ce que nous faisons déjà en partie. Une chose est certaine; nous pouvons faire de l' escalade aussi bien dans les Alpes qu' au Caucase ou dans les Andes, ou encore dans une salle de sport - et cela est aussi une valeur en soi, tout autant que le travail à la barre fixe ou le saut sur un trampolino dans une salle de gymnastique.

Du point de vue purement rationnel - et abstraction faite de tout romantisme sentimental -, le concept de l' Etat suisse ne peut être dissocié des Alpes. Un tour d' horizon géopolitique, que notre propos limité ne nous permet pas d' entreprendre ici, nous ferait constater combien le style au plan de la formation des Etats a évolué au cours des trois cents dernières années. Autrefois, on considérait les montagnes, les fleuves, les lacs et les mers intérieures comme des unités géographiques. C' est ainsi qu' Athènes créa une ligue en mer Egée, que Rome étendit son empire sur toute la Méditerranée et que la Suède assura son hégémonie au XVIIe siècle sur toute la Baltique. Les Alpes ont vu naître des Etats qui, à cheval sur l' arc alpin, en occupaient les deux versants: ainsi la Savoie sur les Alpes oc- cidentales, la Confédération sur les Alpes centrales et l' Autriche sur les Alpes orientales. Par la suite, ces structures ont disparu au profit d' un principe national fondé uniquement sur des communautés linguistiques. Les chaînes de montagnes, les rivières et les lacs sont devenus des lignes et des zones de démarcation. En 1860, la frontière entre la France et l' Italie fut tracée sur la crête des Alpes occidentales, tandis que, en 1919, celle qui séparait l' Autriche de l' Italie fut déterminée par la ligne du partage des eaux dans les Alpes orientales. On appelle cela des frontières naturelles, alors qu' il n' y a rien de moins « naturel » que lesdites frontières.

Seule encore aujourd'hui à être établie sur les deux versants des Alpes, la Suisse est le témoin et l' exemple d' un Etat plus ancien, non nationaliste, mais favorisant l' union des peuples. On ne saurait mettre sur le même plan le nationalisme européen de l' époque impéria-liste et la revendication d' une patrie suisse. C' est toujours pour réagir à des prétentions nationalistes venues du nord et du sud que fut proclamée hautement cette profession de foi d' un Etat suisse. Ce n' était d' ailleurs pas le fait de lutter pour sa propre patrie qui était abject dans le national-socialisme, mais le mépris qu' il affichait pour les autres.

Les événements militaires des années 1799 et 1800, au cours desquelles les armées française, autrichienne et russe jetèrent une population déjà très pauvre dans une profonde misère en portant la guerre dans les Alpes suisses, ainsi que la situation stratégique de notre pays, aussi bien pendant les guerres menées pour l' unification de l' Italie que durant les deux guerres mondiales, ont clairement montré l' importance pour l' Europe du territoire situé au centre des Alpes et le facteur de stabilité que représente sa neutralité armée. La création, selon l' ordonnance de 1911, de troupes de montagne spécialement formées et équipées, ainsi que l' instruction alpine et du ski, très répandue au service militaire pendant les deux guerres mondiales, ont joué un rôle important dans l' histoire de l' alpinisme suisse.

L' activité de l' armée en montagne a contribué dans une large mesure au développement de l' alpinisme civil. Je ne crois pas que le CAS doive rougir du fait que, durant les 125 années de son existence, il a toujours reconnu la conception de l' Etat suisse ainsi que sa défense militaire.

Au lieu de « l' amour de la patrie », les nouveaux statuts centraux de 1970 préconisent de « servir le pays » dans nos activités clubistiques. Voilà un très bel objectif, plus prosaïque sans doute, mais qui nous engage davantage. Il s' agit de protéger l' aspect originel et la beauté du monde alpin. C' est une mission mentionnée pour la première fois par les statuts centraux en 1907. Depuis lors, elle n' a fait que croître en importance et en étendue. On est arrivé, en effet, à un tel degré de saturation dans l' équipement et l' exploitation des Alpes suisses qu' il ne s' agit plus seulement de résoudre des problèmes matériels - si importants et coûteux soient-ilstelle l' évacuation des déchets de nos cabanes ) ou encore de déterminer des critères d' ordre esthétique; il s' agit plutôt de questions psychologiques portant sur la manière de reprendre le contact avec la nature, d' exprimer son respect pour la montagne, de retrouver les qualités nécessaires pour s' étonner et apprécier le silence.

Portalet: l' aube et ses jeux de couleurs Nous avons analysé les mobiles qui, à différents niveaux, ont animé l' esprit des alpinistes. Il convient maintenant d' avoir une vision d' ensemble. Espérons que nous pourrons toujours pratiquer l' alpinisme que nous désirons: en grimpeur enthousiaste de l' escalade libre, en homme de science, en artiste ou en contemplateur admiratif du paysage. Le monde alpin formera toujours un tout, et le CAS se doit d' accueillir dans un esprit de tolérance tous ceux qu' unit l' amour de la montagne.

En 1945, le jour de la fête nationale, alors que l' espoir renaissait avec la fin de la guerre, Heinz Pfister, un étudiant et alpiniste doué, a déroché au Salbitschijen. Il avait consigné ses impressions sur la montagne dans un petit ouvrage d' où nous extrayons le passage suivant, qui servira de conclusion à notre exposé:

« Je suis au pied du Cervin. Moi aussi, j' ai ma petite montagne que j' aime particulièrement. Elle s' élève quelque part en Suisse centrale, où on ne la remarque guère. Mais aujourd'hui se dresse devant moi la pyramide parfaite de la plus noble montagne des Alpes. Je sens l' ivresse qui me gagne en l' admirant de loin. Je vais me battre sur ses arêtes et ses faces, lentement, mais sûrement. Toi, la montagne, et moi, l' homme, nous nous comprenons. Et quand je serai sur ta cime, je n' aurai pas le sentiment de t' avoir vaincue. Non, car c' est toi qui m' auras appris et donné tant de choses. » Traduction de Pierre Vaney

Feedback