Paroi sud de la Pointe à l'Echelle (Gastlosen)
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Paroi sud de la Pointe à l'Echelle (Gastlosen)

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Avec 1 illustration ( 168Par Louis Henchoz

Debout! Le soleil guigne dans notre étable par la lucarne rectangulaire du toit. Nous sortons. La face rocheuse aux teintes chaudes de la Pointe à l' Echelle, brille sous l' immense bleu-gris du ciel. Une fois de plus, nous l' admirons, tout en déjeunant tranquillement dans l' air encore chaud de la journée piécédente. Mais aujourd'hui, nous allons l' approcher et la palper. Irons-nous jusqu' au haut? L' incertitude nous fait boucler nos sacs avec une certaine hâte. Nous passons sous la paroi sud du Vanil de la Gobettaz, où nous sommes montés autrefois, et le souvenir de notre succès fait disparaître définitivement toute hésitation. Seul, l' attrait de l' inconnu nous attire. Nous suivons su- quelques soixante mètres la voie habituelle par laquelle on atteint la Pointe, arrivons au pied de la première cheminée où commence la grimpée qui est l' objet de notre espoir. Trois modestes sapins ont poussé là, comme exprès, pò ir nous permettre de faire une halte confortable, de boire un coup et d' étudier la montée.

Ernes; part et grimpe une petite cheminée herbeuse, jusqu' à un point où elle forme un coude, passe en pleine face rocheuse et se transforme en vire. A cet endroit précis, le roc s' avance en bosse. Il est là, au-dessus de cette fissure déversante, tout exprès semble-t-il, pour empêcher le varappeur d' obtenir, :nême par les pires contorsions, l' équilibre nécessaire au passage... Rocher! n' oublie pas, tout de même que pour vaincre ton entêtement, nous avons sur toi l' avantage du mouvement et de l' action! Un piton muni 1 Voir Les Alpes, mars 1945: Ascension de la paroi S de la Jumelle.

d' une cordelette aura raison de toi. La vire continue, l' herbe, parure de nos Préalpes, montre le chemin. Qu' elle est utile à qui sait la comprendre I Parfois, assez solide pour qu' on s' y agrippe, elle permet de passer avec rapidité; lorsqu' elle n' est pas d' humeur à rendre service, elle s' en va de bonne grâce, mais se venge au dernier moment en envoyant une pluie de terre dans les yeux de qui la déracine. Donc, tantôt pendu à l' herbe, tantôt se servant des prises qu' elle cache, Ernest atteint l' encorbellement où mène la vire. Nous montons à notre tour.

Un rocher lisse nous sépare d' une terrasse qu' on devine environ dix mètres plus haut. Un anneau de corde passé dans un trou de la roche permet d' assurer; une courte-échelle nous amène à la seule fente où il est possible de planter une fiche dans ce mur; nous y passons un étrier. Cette manœuvre nous rapproche lentement du replat, mais du point où nous sommes, il est impossible de progresser; pour y réussir, nous devrions forer un trou dans la roche. Que faire? Nous redescendons, mais décidons que l' intérêt de l' ascension permet cette entorse au franc jeu.

Une semaine plus tard, nous étions munis du burin nécessaire; Ernest perce le trou en vingt minutes, grâce à son habileté professionnelle; il y place une fiche, sur laquelle il se rétablit, empoigne d' une main un caillou branlant et de l' autre quelques brins d' herbe qui lui permettent de faire un rétablissement semblable à celui qu' on ferait d' une échelle trop courte pour atteindre le chéneau d' un toit. Il grimpe avec une légèreté d' écureuil et ne s' arrête qu' au replat.

De là, une dalle bombée nous sépare d' un passage assez facile qui monte sur une face de faible inclinaison. Je traverse la dalle, me tenant à tout ce qui n' est pas miroir et me trouve dans une niche confortable. Je me sentirais seul au monde si je n' entendais pas siffler les marmottes au pied de la paroi. Ernest rejoint.

Un passage dans la face amène mon compagnon sur une vire plus facile qui conduit sous un surplomb, presque un auvent, fendu par une fissure verticale. Ailleurs, ce ne sont que parois.

Mme Favre gagne alors le renfoncement au-dessous de nous, et nous décidons de déjeuner. Grâce à la corde, l' occupante de la niche reçoit aussi une ration, imposée. Un piton est planté auquel nous suspendons le sac. Tandis que mon ami s' installe sur une plaque de rocher avare de prises, je pose mes pieds dans un... genévrier et ouvre le sac. Une maladresse et notre dîner irait faire la joie des chocards qui planent à notre hauteur. Notre présence en un lieu qui lui est familier trouble un petit oiseau aux couleurs vives; une touffe d' herbe cache son nid. Il serait sans souci s' il savait la gymnastique que nous devrions faire pour l' atteindre. A nos pieds, des éboulis qui, sans doute, ajoutaient jadis à la hauteur de la Pointe à l' Echelle. Parmi eux, des points se meuvent de ci, de là: des chèvres qui cabriolent. Sans elles, les lieux sembleraient inhabités. Nos Préalpes, cependant, sont toujours animées; les marmottes sont au fond de leur trou, les vaches à l' étable. Un cochon, poursuivi par un armailli, nous rappelle que l' homme est le maître des lieux pour tout l' été. Nous ne percevons pas les cris et PAROI SUD DE LA POINTE A L' ÉCHELLE ( GASTLOSEN ) grognements qui accompagnent ce genre de sport aussi vieux que les plus anciens chalets; il a ceci de paradoxal qu' il se pratique le plus souvent à contre-cos tir par l' une et l' autre des parties. Le bouèbe, apparu au coin du chalet, ccupe la retraite au porc qui doit rentrer dans l' ombre du boîton. Au delà d' un enchevêtrement harmonieux de rochers, de forêts sombres, de prés vîrts ou bruns, piqués de chalets aux toits brillants, s' étend étincelante mais morte la chaîne des Alpes.

Le sirplomb nous domine toujours, inexorable. Que faire pour passer? Impossible de trouver même des prises pour l' approcher; nous devons tailler des marches à coups de marteau pour procurer quelque appui à nos orteils; au fur et a mesure que je me dresse, je dois me courber en arrière; la position devient cocasse. J' arrive à planter un piton muni d' un filin dans la fissure et m' en fers pour planter d' autres fiches qui m' aident à monter selon la même méthode; elles tiennent mal, la fente est trop large; à mesure que j' appuie, Ales cèdent. Aucune d' elles ne ressort, quoique l' effet de la traction se fasse sentir de bas en haut, comme si l'on se pendait à un clou planté dans le plafond. Le surplomb est vaincu sans incident. Une coupure verticale s' étend sur une trentaine de mètres et va se perdre dans un amoncellement de cailloux indiquant la proximité du sommet Un nouveau petit surplomb est là, devant moi.

Je redescends et Ernest me remplace; une montée délicate et pénible l' amène quelques mètres plus haut, puis sous les pierres. Là, il faut absolument passer par la droite pour ne pas se faire mitrailler; installé sous l' auvent, j' assure mon compagnon, invisible pour moi. La corde file lentement, s' arrête; un temps assez long s' écoule, j' entends des coups de marteau. Il plante un piton d' assurage, je sais qu' il est arrivé. Une voix: « Tu peux monter. » Mme' r rejoint. Je mets le sac au dos et me réjouis de me donner du mouve vent; cela va me changer de me tenir tantôt sur un pied, tantôt sur l' autre. Mais le sac me gêne, je dois me faire tirer, et mes bras sont hors d' usage lorsque je rejoins Ernest. Au tour de sa femme.

Nous repartons pour le sommet qui se trouve au-dessus de nous. Durant quelques minutes, nous regardons le paysage qui nous est familier, seulement, aujourd'hui, nous n' avons plus le temps de rêvasser; nous redescendons sur le col où se dressait jadis l' échelle dont la pointe que nous venons de gravir tire son nom. Légèrement plus bas que l' échancrure, nous en voyons un fragment pourri, dernier vestige en ces lieux d' une heureuse époque de l' alpinisme, celle des cimes vierges. Aujourd'hui, hélas, pour faire du nouveau, nous devons nous contenter d' ascensions décorées du grand mot de « techniques ». Pourtant, quoiqu' on en dise, les progrès réalisés depuis ne sont pas tous orientés dans le sens d' une technique plus raffinée; ils proviennent aussi, pour la moyenne des alpinistes, d' une plus grande habileté dans l' art de grimpe et surtout d' une plus exacte évaluation de la difficulté. jourd' hui, par exemple, nous pouvons gravir la Pointe à l' Echelle, par le chemin utilisé la première fois, sans corde, ni aucun autre moyen artificiel.

Une vire gazonnée nous ramène vers les sapins d' où nous sommes partis; nous enfilons nos souliers que nous retrouvons là et gagnons le haut du pâtu- rage. En nous approchant tranquillement de l' étable, nous goûtons la reposante sensation de pouvoir marcher en mettant même les mains aux poches, signe infaillible par lequel, disent les mauvaises langues, on reconnaît les Vaudois jusqu' à l' autre extrémité du monde.

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