Petite Dent de Mordes, deux itinéraires sur la face de St-Maurice
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Petite Dent de Mordes, deux itinéraires sur la face de St-Maurice

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Deux itinéraires sur la face de Saint-Maurice

Par Edmond Pidoux

Deux itinéraires sur la face de Saint-Maurice II. Par le couloir oriental Mis en goût par ces expériences dans la face de Saint-Maurice de la Dent, j' ai caressé pendant trois ans le projet de la tenter par le couloir de droite, un chemin certainement nouveau cette fois. Le débouché de l' itinéraire m' était connu. Le départ, je l' avais observé lors d' une ascension de la face. Du pied du « caniveau », en suivant la vire d' éboulis, j' étais parvenu à l' aplomb du couloir et j' avais constaté que, pas plus que son voisin de l' ouest, il n' atteignait le pied de la paroi. Mais une corniche étroite et raide, coupée de paliers, y montait comme un escalier à poulet.

De mon point d' observation, il était difficile de juger de la praticabilité du passage sans y aller voir de plus près. C' est ce qu' il m' a été donné de faire à la fin de l' été 1946.

Le matin du 15 septembre nous trouve, mon ami Pierre Vittoz et moi, sur l' agréable sentier qui conduit de Riondaz aux Dents de Mordes. Nous projetons de gagner le pied du passage le plus directement possible, sans emprunter la Grand' Vire et la « cheminée tordue ». Il s' agira donc de se débrouiller dans le labyrinthe qui soutient la paroi.

Chemin faisant, je ne cesse d' observer les métamorphoses d' une ravine qui paraît devoir conduire au point que nous visons. A mesure que nous approchons, les premiers escarpements se haussent tandis que l' arrière s' enfonce. Un panneau glisse devant l' autre. Les arêtes deviennent de hautes aiguilles, les « nants », étagent leurs surplombs et quand nous atteignons, sur la Grand' Vire, la bifurcation des chemins de la Grande et de la Petite Dent, notre montagne a repris l' aspect désordonné et impénétrable que nous lui connaissons. Mais je sais à présent où est la porte d' entrée, quarante mètres à notre gauche, sur le chemin du Roc Champion.

Or, tandis que j' observe à distance les premiers rochers, j' aperçois tout à coup, peinte à peu de hauteur, une croix rouge qui nous fait face. Assez surpris, je ne sais comment interpréter sa présence. Peut-être marque-t-elle une entrée détournée mais commode de la voie dite du « Nant Vert », par un couloir parallèle qui en évite les premiers ressauts.

Nous avons facilement raison de ce passage et nous pénétrons dans une vaste niche cernée de parois. A droite bée au-dessus de nos têtes l' échan de « notre » ravine. Dépassant son aplomb, puis revenant en arrière par une vire ascendante, nous y accédons sans trop de peine. D' emblée, le caractère de l' ascension se révèle: nous allons constamment passer d' une niche d' éboulis à une autre par des ressauts souvent surplombants. Parfois nous aurons le choix entre deux couloirs jumelés, mais notre souci sera de regagner au plus tôt celui que nous avons distingué en montant.

1 Voir photo dans le numéro de juin, vis-à-vis de la page 208.

PETITE DENT DE MORCLES Un vilain surplomb, au-dessus de la seconde niche, me force précisément à emprunter un couloir plus à droite. J' ai d' ailleurs quelque peine à y prendre pied en tournant un angle dont la gibbosité me repousse, puis en escaladant un mur effrité. Le chemin devient ensuite plus commode, mais il ne fait pas notre affaire. A chaque palier nous tentons de revenir au couloir initial en traversant la côte qui nous en sépare. Régulièrement aussi, nous sommes ramenés à notre dévaloir, dont nous surmontons avec dépit une nouvelle marche. Pourtant, nous parviendrons à la fin, grâce à une vire très déversée, à gagner la côte et à nous y rétablir.

Hélas! c' est pour trouver l' autre versant toujours à pic. Faut-il une fois encore rentrer dans la large voie qui nous égare? Plutôt tenter de remonter la côte et de forcer la tour verticale qu' elle ne tarde pas à former.

Une vaine tentative me révèle la traîtrise de sa face surplombante et délitée.Vittoz m' encourage alors à tourner par la gauche les premiers mètres trop raides. Je m' y hasarde sans grande conviction, et voici qu' au bout d' une traversée exposée, je trouve — sans mérite — la solution du problème. Le flanc de la tour cache une vire minuscule, aérienne mais très sûre, qui nous ramène en quelques instants au couloir et par lui, cinquante mètres plus haut, à la vire de départ qui ceinture la paroi.

Vittoz, qui se trouve pour la première fois dans ces parages, ne cache pas son enthousiasme. Nous venons de faire une superbe ascension qui nous a coûté — j' ai peine à le croire — un temps aussi long que ma première grimpée de la face, trois ans plus tôt.

La paroi qui s' offre à nous maintenant promet mieux encore, et nous avons hâte de commencer la « vraie » ascension. Hâte surtout d' aller toucher, sur une vire étroite qui monte en escalier à poules, un surplomb très marqué qui pourrait bien être la clé de notre voie.

Parvenu sans grand' peine à sa base, dans un alvéole spacieux qui sera un commode point de départ, j' ai tout le loisir d' en faire l' examen. Tandis que Vittoz photographie, j' oscille d' une solution à l' autre. La ligne naturelle d' ascension paraît d' abord être, au delà du surplomb, une étroite vire à demi couverte par une grosse dalle. Mais à y regarder mieux, il semble difficile de s' y établir et délicat d' y ramper, repoussé vers le vide par le fâcheux avant-toit. Aucune prise visible, sinon, au départ, un bloc qui menace de me rester dans les mains.

Une seconde voie, plus à droite, conduit au-dessus de la dalle en forçant le surplomb dans sa plus grande hauteur. Il y faudrait une courte échelle, et, à supposer que la plaque se révèle praticable, la partie serait gagnée.Voilà bien des « si ». De ces deux chemins, lequel choisir? Celui, évidemment, où un piton voudra tenir.

Après dix minutes de recherches, j' abandonne l' espoir de trouver une fente propice. D' autre part, renoncer à tout assurage paraît risqué. N' y aurait-il pas une troisième voie?

A deux mètres au-dessous de moi règne une étroite corniche, aussi raide que lisse, mais, semble-t-il, praticable. Elle monte assez haut pour dépasser le surplomb. Il faudrait, de son extrémité supérieure, revenir en arrière pour franchir un mur et une dalle qui la séparent de la vire principale. La dalle paraît riche en inégalités que le soleil met en relief. Il vaut la peine d' y aller voir.

Vittoz m' a rejoint. Il assure ma descente à la vire, puis ma délicate ascension. Eh oui! c' est raide, c' est étroit, c' est lisse comme une planche rabotée. Parvenu au sommet plus exigu encore, je me convaincs de la sottise de mon choix. Le mur compact me domine. Démuni de prises, sans une fente propre à recevoir un piton, il me repousse dangereusement vers le vide. Il ne me reste qu' à redescendre, ce que je ne puis faire sans corde. Un piton veut bien s' en au sommet de ma planche. Assuré à un mousqueton, je puis alors me retourner jusqu' à m' asseoir d' une fesse sur le toboggan. Ma retraite ainsi assurée, je veux cependant tâter le mur une fois encore.

Prenant appui sur la corde raidie, je parviens à me mettre debout. C' est étonnant comme on s' habitue aux endroits les plus abominables. Ma main gauche a trouvé, à la hauteur de ma tète, la seule prise de tout le passage: une petite écaille verticale qui m' empêche de culbuter en arrière. Je puis ainsi me maintenir appliqué contre le mur et, grâce à la corde, m' allonger vers la droite jusqu' à embrasser du regard la dalle tout entière. Irrégulière, elle l' est, mais sans qu' un seul de ses angles constitue une prise. Pas un trou, pas une fente digne de ce nom. Et puis, je ne dispose que d' une main.

Avant de renoncer, et plus encore pour assurer ma retraite, j' essayerai quand même de planter un piton, tout près de ma main gauche, sous une sorte de tuile qui paraît solidement collée.

Le premier piton, que d' une seule main j' extrais, coince et frappe délicatement, jaillit comme un ressort dès que je risque un coup plus violent et tinte dans le pierrier. Le second, manié avec plus de douceur encore, se plante un peu, répond, supporte enfin les coups les plus rageurs. Il en faut bien une cinquantaine pour qu' il tienne de manière encourageante. C' est qu' il devra supporter tout mon poids, tandis que la traction de la corde s' exercera précisément dans le sens de sa longueur, comme pour l' arracher.

Enfin soutenu d' un point qui me domine, je puis, sans abandonner la prise de ma main gauche, m' allonger de trente centimètres vers la droite, jusqu' à toucher de la main le milieu de la dalle. Ce serait fort bien, si je pouvais y planter un troisième piton. Il me faudra des essais nombreux et fatigants; j' y parviendrai à l' instant de perdre courage. Encore l' unique fente ne reçoit-elle que deux centimètres de métal, malgré mes coups furieux. De plus, le piton, loin d' être vertical, a la plus absurde des positions. Il tiendra si je ne l' utilise qu' à fleur de rocher, en évitant de faire levier. Je puis enfin crier à Vittoz de détendre la corde. A son ouf! de soulagement répond bientôt le mien. D' un dernier et brusque effort, j' ai pu pivoter et me rétablir, et me voici vautré, en toute sécurité, sur la vire supérieure.

C' était bien là la clé de l' ascension, et la suite devait être sans histoire. Dès que Vittoz m' eut rejoint, en ramassant les pitons, je quittai sur l' échelle de ses épaules le nid d' aigle, fort semblable au premier, où nous étions réunis. Vingt mètres dans de splendides cheminées très redressées, et nous entrions dans le couloir proprement dit. Sans grand' peine, nous pûmes y monter jusque i ,v/:'j --.. sous la paroi surplombante qui le domine bientôt. Il s' infléchit alors à gauche et grimpe, sous forme d' une énorme vire, sur le dos du pli violacé qui forme la tête du Z. Très amusante, l' escalade de cette douve fantastique, d' abord large d' une trentaine de mètres, puis rétrécie progressivement jusqu' à n' être plus qu' une infime corniche. Soixante ou quatre-vingts mètres d' une alerte grimpée nous permirent de gagner ce point, où l'on a reconnu le chemin de l'«angle » à deux minutes du sommet.

C' est par l' angle que nous descendîmes, après un long séjour sur les dalles brûlantes du faîte. Nous laissâmes un solide piton à boucle à la terrasse carrée qui précède la première cheminée. Planté dans la paroi de droite, il est assez dégagé pour que la corde y coulisse parfaitement. Un court rappel suffirait. Nous préférâmes nous offrir le plaisir d' une descente en pleine paroi jusqu' au sommet du tunnel, situé trente mètres plus bas, exactement.

Quelle sera notre conclusion? Si elle ne s' impose pas à la lecture de notre récit, la faute n' en est pas à la belle paroi qui a si parfaitement comblé notre attente. Qu' on renonce alors à nous lire, mais non pas à y aller voir. Le conseil nous vaudra plus d' un merci.

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