Pilier sud du Simelihorn
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Pilier sud du Simelihorn

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Michel Pétermann, guide, Montreux

dit aussi Männiggrund En montagne, plus qu' ailleurs, j' aime à croire à cette maxime espagnole: « Tant qu' on se bat, on est vainqueur ».

- Voilà l' pilier!

Il est bien là, élancé, orgueilleux, plein de défi. Sans être de haute montagne, son escalade ne passe pas pour une entreprise facile.

Mon compagnon, cette fois-ci, est encore Maurice Brand, avec qui j' ai déjà fait plusieurs ascensions originales dans tous les terrains, y compris de modestes premières dont il fut le promoteur et le conseiller.

Dix minutes après avoir aperçu le pilier, nous garons notre VW, la suite de la route, encore carrossable, étant interdite à la circulation.

Il est bientôt onze heures. L' arrière baigne d' une fraîcheur paisible et pure tout ce merveilleux pays du Simmental.

Nous cassons la croûte sans appétit, tout en vérifiant notre matériel, et nous partons. Nous marchons sans effort. Nous bavardons. Puis Maurice s' arrête et, minutieusement documenté comme toujours, il sort de sa poche un croquis esquissé par notre ami François que je dois retrouver ce soir. D' emblée, nous remarquons la cheminée mentionnée sur le papier. Au début, nous progressons sans corde.

Bien que son escalade ne soit pas comparable à certains grands itinéraires alpins, notre pilier tant désiré nous domine tout de même de ses deux cent trente mètres, et nous nous rappelons que les jours sont déjà courts en cette saison.

Ici, l' air est doux sous un ciel d' un bleu sans défaut.

Un premier, puis un second pitons nous indiquent que la progression se poursuit vers la droite.

1 Voir la description technique dans le Bulletin des Alpes de janvier 1970 ( p. 13 ) Réd.

Cette fois, les cordes sont indispensables. Nouvelle halte. Sans un mot ou presque, l' encordage se fait machinalement.

Tout est calme. Le premier mousqueton claque. L' engagement se fait dans une traversée en utilisant de petits « tablards » d' un rocher excellent qui mène dans une profonde cheminée, escaladée par la gauche sans trop de difficultés. Nous savons qu' un peu plus haut il y aura de sérieux problèmes à résoudre. Immobile, je scrute le rocherqui s' élève à la verticale devant moi. J' ex ses faiblesses et j' opte pour le franchissement d' un V pénible. Celui-ci passé, je cherche des yeux Maurice pour voir quoi? une cordelette à la hauteur de mes genoux! J' en informe mon compagnon qui ne s' en étonne pas ( faut le connaître.

D' après le topo de notre ami, un passage cote V+ nous attend juste après une traversée ascendante vers la gauche. Je remarque que, malgré son apparence modeste, la dalle se défend malicieusement. Dix centimètres par dix centimètres, l' ascension se poursuit, et c' est avec une certaine insouciance que je vois mon dernier piton s' éloi derrière moi. Je dis bien insouciance, car le rocher est d' une qualité telle qu' il ne me vient même pas à l' idée qu' une chute à cet endroit me ferait faire un pendule en dehors des normes de la jouissance. Maintenant, seulement, le souci me gagne, car subitement la dalle se redresse. Les rêveries et les joies de l' escalade ne sont pas gratuites. Ça se corse; le dernier clou est à sept ou huit mètres; au-dessous, un surplomb; au-dessus, un passage de V + d' au moins quatre mètres. Toujours pas de piton en vue, impossible de planter. C' est compact et complet. Quels farceurs, ces Suisses allemands! La dalle n' est pas tout à fait verticale, mais, je vous l' assure, d' une inclinaison suffisante pour que vous réalisiez les impressions que l'on peut éprouver dans ma position: les deux pieds en adhérence avec deux doigts de la main gauche dans des prises excellentes pour des membres de nouveau-nés. La main droite dans la poche ne me serait pas d' un secours beaucoup plus médiocre. Je spécule sur mes pieds pour soulager mes deux doigts. J' en reviens très vite lorsque mes semelles redescendent dans la direction d' où je viens. Je cherche là où je souhaiterais trouver la prise, mais...

Je préférerais me trouver au pied du dièdre supérieur, et la situation, sans être alarmante, est tout de même très sérieuse. Après maintes combinaisons, une parcelle d' intelligence ( si j' ose dire ) m' invite à utiliser une cordelette qui accompagne toujours un de mes étriers. C' est ainsi qu' en suspendant mon outil sur le rebord minuscule d' un petit « gratton », je gagne un mètre et demi. Ouf!

Ce passage franchi, le problème n' est pas encore résolu, les prises sont toujours aussi rares et mes mollets commencent à comprendre le code. Je me conseille presque à haute voix, cherchant des yeux une aspérité plus grande que celle que j' ai à ma disposition. Après quelques instants, résigné et vaincu, j' utilise le terrain disponible. Enfin, je peux planter un « américain » qui chante.

A ce moment, Maurice, que je ne vois plus depuis l' attaque de la cheminée, est impatient de savoir si ça marche. Ma réponse est positive. Par la même occasion, il apprend que, bientôt et sans difficultés, le relais, que je devine cinq à six mètres plus haut, devrait être confortable. Trois mètres encore dans un rocher qui me surprend par une difficulté cachée et sournoise, et je trouve un clou en bon état. Il me permet de redescendre à l' aide de la corde pour récupérer le piton précédent, que je pourrai éventuellement utiliser au relais.

Un arbre mort, autour duquel il serait imprudent de faire relais, indique R 2. ( Nous comptons l' attaque comme Ri. ) Pour éviter d' être « cloué » au relais au moment où les go kg ( plus les surcharges ) de Maurice viendraient à choisir, pour une cause inconnue, une variante imprévue, je place soigneusement un nœud « prusik » sur une des cordes.

- C' est bona vient du bas ).

- Tout bon.

Maurice est parti. Régulièrement, la corde coulisse. Ce qui me rassure, c' est qu' il monte rapi- dement, car il nous reste encore huit longueurs à parcourir, dont certaines sont considérées comme très sérieuses, pour ne pas dire plus sévères encore que la première.

Déjà, sans fatigue et tout souriant, mon compagnon est là.

Nous consultons le topo qui dit: Partir vers la droite à env. 450 ascendant et rejoindre R 3 ( arbre ?). Ce point d' interrogation nous intrigue, d' autant plus que nous nous trouvons déjà vers un arbre et que la suite de R 3 correspond exactement à ce que nous pouvons voir de notre perchoir. Nous nous demandons si nous n' avons pas sauté un relais, car, pour renforcer notre conviction, nous remarquons encore deux pitons vers la gauche.

C' est ainsi qu' en interprétant mal le topo et en refusant d' obéir à Maurice, une précieuse demi-heure s' évapore.

Tout en digérant le silence ironique de mon compagnon, je pars immédiatement dans le sens opposé et dans un rocher aux prises immenses, mais souvent mal imbriquées sur vingt-cinq mètres. Voici le piton qui doit assurer le pas de V qui mène à R 3. Bizarrement perché, l' ar, le vrai, est bien là.

Maurice est parti. C' est avec un réel plaisir que je le vois de temps à autre jouer avec calme et aisance dans cette longueur.

La troisième étape est évidente et sans histoires, ce qui n' enlève rien au charme, parfois cruel, de vouloir vaincre la difficulté.

La longueur suivante, nous le savons, est considérée comme la plus soutenue et la plus exposée. Je récupère mon étrier pour progresser en escalade libre dans une vire d' une architecture peu conforme à ce que mes semelles ( en forme de museau de dogue ) espéraient trouver. Aussi suis-je dans l' obligation de franchir le passage de sept à huit mètres en V d' une façon peu élégante, avec la nécessité de planter un merveilleux « américain » que je ne reverrai jamais. Eh oui!... Maurice a oublié son marteau. Ça c' est une de ses façons de vous étonner.

Jusqu' ici, à l' exception de un ou deux pas, nous avons progressé totalement en libre. Mais maintenant nous devons admettre que nous ne faisons pas exception à la loi de la pesanteur, ce qui nous oblige à utiliser les moyens artificiels. Un piton qui inspire davantage confiance que le prochain coin de bois confirme ces impressions. Le coin est dans ma main. Pour le replanter, Maurice me « fractionne » et récupère, surpris, le premier clou sur lequel j' avais fixé ma pédale et qui a filé vers lui par le chemin de la corde. Je serais incapable de vous dire comment mon compagnon, qui porte le sac et qui ne possède pas de marteau, a démarré dans un passage où la corde pouvait tout au plus le déséquilibrer. Ça c' est son autre façon de vous étonner.

Une traversée horizontale de quelques mètres vers la gauche, d' une beauté toute particulière par son exposition, la qualité du pitonnage ainsi que du rocher, conduit à un pas délicat. Un « gratton » de l' ampleur de deux myrtilles ne veut rien savoir. A deux ou trois reprises, mon pied glisse et je dois revenir sur mon étrier. C' est alors que, par un système d' automouflage, je m' étends à l' horizontale en me « fractionnant » sur la dernière marche de mon étrier. Ainsi la troisième pédale est placée sans l' aide de l' ironique « gratton ». Voulant revenir dans ma position initiale pour récupérer le premier de mes étriers qui se trouve encore suspendu au piton précédent, je constate avec une vive inquiétude que ma corde est appuyée sur le cli-quet de mon mousqueton et que celui-ci est ouvert. Je me rends vite compte que si je continue à me moufler ou si je me relâche, elle va sortir au moment précis où je me trouverai en pleine traction et juste à bonne distance pour ne pouvoir qu' envier l' un ou l' autre de mes étriers. je n' ose plus bouger. S' il faut que je vole là, il y a peu de chances que le sommet soit sous nos pieds ce soir. Ce qui doit arriver arrive. Je bascule le dos au vide et ne trouve que dans une énergie insoupçonnée le seul moyen de me pro- pulser vers mon étrier le plus avancé, que je cueille, tel un naufragé sa bouée.

Seuls les battements de mon cœur et ma respiration troublent un silence religieux. Mais Maurice, avec ses instincts de renard, sait que quelque chose n' a pas joué. Il ronchonne.

Bien que les quelques égratignures provoquées par un limage soigné des doigts ne me fassent pas trop souffrir, le sang qui coule rend les mousquetons visqueux. Tout cela me fait songer au VI+ qui nous attend plus haut, et dans lequel je préférerais m' engager les mains sèches.

Après un crochet qui nous ramène trois à quatre mètres plus haut que le départ de l'«artif », j' examine le fameux passage qui, dit-on, ne peut se passer qu' en libre. J' ai vite compris; je ne me trouve pas du tout, après ces émotions, dans l' état psychologique qu' exige un pas de ce genre, car, pour passer, il faudrait oser y aller. D' emblée je cherche à « clouter », un petit, un tout petit, un rien, juste ce qu' il faut pour remplacer ce qui manque. Le deuxième piton suit le chemin du premier, accompagné du feuillet qui devait le recevoir.

Maurice, qui ne doit pas se trouver très loin de leur trajectoire, me rappelle d' une voix feutrée qu' il est bientôt 4 heures. Il me recommande de redescendre au cas où mes chaussures ne feraient pas l' affaire ( il est parfois d' une courtoisie.

Mon silence lui répond. Je contrôle mes nœuds, mon « prusik », essuie mes mains ensanglantées et, d' une voix qui sort de la gorge d' un gladiateur, fais savoir à mon « assureur » que j' attaque. Ce n' est pas cette fois que ça passera, mais la suivante. Je suis vraiment tendu à l' ex, ce qui me fait trouver ce passage particulièrement sévère.

- C' est enlevé, Maurice, mais, tu sais, ce n' est pas donné!

- Ah bon!... T' as vu l' heure? T' es au relais?

- Non pas encore: il reste huit à dix mètres. Y a assez de corde?

- Oui, vas-y!

Vu la friction des cordes, la progression devient très pénible. Deux ou trois pitons en place permettent heureusement de se reposer sur les étriers. Après bien des halètements dus aux cordes pratiquement bloquées maintenant, R 5 est atteint.

Ici, encore plus qu' ailleurs, l' assurage au « prusik » est indispensable.

Tout fonctionne. Maurice, heureux, j' en suis sûr, pourra enfin quitter son nid, pendant que le calme s' installe à nouveau en moi.

- Tu peux partir.

- Bon! Mais écoute: je ne vais pas jouer à l' école d' escalade, je monte par tous les moyens, parce que, tu sais, je n' veux pas bivouaquer « ici dedans » cette nuit. ( Ce qu' il ne m' avait pas dit, c' est que sa femme l' attendait au pied du pilier ).

Tous les moyens sont bons: cordes, poignées Hiebeler, étriers, pendule, etc... C' est tout juste si j' ai le temps d' avaler les cordes. Parfois, mes épaules prennent des formes inquiétantes de circonflexe, mais Maurice, confiant, sait qu' elles tiendront.

Vingt minutes plus tard, mon compagnon est là, visiblement content.

Je discute...

- T' amuse pas maintenant, faut sortir. Le style, on s' en balance.

Je reprends immédiatement la progression, en quête d' une cheminée qui, vu l' heure déjà avancée, paraît plutôt sinistre. Je plante. A peine le clou en place, je me rends compte qu' il n' est pas nécessaire, car, un mètre plus haut, le travail a déjà été accompli par un de nos prédécesseurs pour franchir un V qui devait le déposer à R 6, terrasse merveilleuse, perchée en face des géants bernois qui se dorent encore en pleine lumière.

Discrètement, mon cœur se met en fête.

Mon ami enlève brillamment le passage. Décidément, l' approche de la nuit lui donne des ailes.

Une courte descente nous dépose au pied d' un dièdre facile auquel fait suite une autre cheminée.

Du bas, des voix nous font remarquer que, à part la prochaine cheminée, dans laquelle il faut encore compter avec du V, les grandes difficultés sont terminées, mais que, malgré tout, une bonne heure nous sépare encore du sommet '.

Le passage difficile est à portée de main. Une cordelette laissée en place m' autorise un assurage plutôt psychologique qu' efficace. Je grimpe en force, faisant abstraction des « qu' en dira Maurice? » qui supporte mal le bruit peu sympathique, j' en conviens, des semelles qui griffent, et de certains mots que l'on ne prononce, heureusement, que dans certaines circonstances.

C' est enlevé, sans grand style, mais avec efficacité.

R 7 est là, avec la nuit qui s' installe petit à petit dans la vallée. Maintenant, nous savons que les grandes difficultés sont terminées. Qu' il fait doux! Qu' il sent bon, ce parfum des Préalpes!

1 C' est plus tard que nous avons appris que ces conseillers étaient de fervents grimpeurs jurassiens qui avaient déjà vécu notre aventure.

Quand, le visage éclairé, Maurice me rejoin t, je lui demande d' inscrire notre passage dans le livre, ce qu' il fait très volontiers, mais non sans perdre son sourire.

Pendant ce temps, je progresse rapidement sur le fil de Parke. Maurice, prudent de nature, me rappelle à l' ordre lorsqu' il remarque les cordes qui partent à la dérive. Les pitons se font de plus en plus rares et l' ambiance, malgré l' approche de la nuit, moins sévère.

Les dernières longueurs s' effectuent sans histoire, mais avec beaucoup de poésie. Une escalade, exposée sans être trop difficile, mais toujours sérieuse, nous conduit au point d' où nous pouvons enfin admirer et apprécier un coucher de soleil qui chauffe nos yeux dans la paix d' un soir où l' un comme l' autre a besoin de son compagnon. Nous nous sommes battus et nous avons gagné.

Encore un souvenir qui ne s' éteindra qu' avec nous.

La nuit est là.

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