Réminiscences sahariennes
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Réminiscences sahariennes

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Avec 5 illustrations.Par Augustin Lombard.

Me voici en congé militaire pour quelques jours. Dehors, l' hiver s' installe. La grisaille invite à rester chez soi, et pour me réadapter à la vie civile je mets de l' ordre dans des papiers. Un calepin de notes, bourré de croquis, couvert de lignes un peu effacées, me tombe entre les mains. Je le parcours, distraitement d' abord, puis plus attentivement. Son contenu me fascine; les mots évoquent la grande chaleur d' Afrique et font rêver. Un beau voyage revit dans mon esprit. En voici des souvenirs.

Vers le sud.

Ghardaïa, 9 octobre 1932. Au revoir, amis! Poursuivez votre voyage d' études dans cette Algérie si variée; nous, nous partons pour de plus vastes horizons.

Robert Perret et moi achevons nos préparatifs, achetons des provisions pour trois semaines de route et les chargeons sur la camionnette qui, ce soir, part pour El Golea. N' oublions pas les outres enduites de goudron, avec de l' eau pour l' étape.

El Golea, 13 octobre. D' une nuit, nous sommes parvenus ici. Nous avions les os rompus lorsqu' au petit matin la vieille patache nous a déposés devant le poste. Dix fois Pépé, notre Moko préposé à la conduite, s' est endormi au volant, sortant de la piste, oubliant l' éclairage, grippant les freins et se confiant à Allah pour le reste.

L' hôtel étant fermé, nous sommes les hôtes du poste militaire pour quelques jours. L' asile est enchanteur, avec ses ombrages et sa piscine. Le temps passe rapidement à savourer les mille ressources de l' oasis: la vieille citadelle qui domine la palmeraie, les jardins de rosés d' Abaza, sans oublier l' inépuisable bibliothèque du poste.

In Salah, 23 octobre. II a fallu deux étapes pour parvenir ici. D' abord, un premier bond amène à Fort Miribel. La piste traverse longtemps un détroit caillouteux entre les masses de dunes de l' Erg occidental et du Grand Erg oriental. Elle gagne brusquement un plateau rocheux. L' horizon est limité par les grandes vagues immobiles de sable rose. On roule sur un sol régulier et plan. Dès Fort Miribel, le style change et l'on traverse des heures durant le « désert de la peur », le Tademaït. C' est une étendue désertique et plane, couverte de cailloux noirs, d' une désolation absolue où toute trace de vie semble être exclue. La chaleur y est extrême pendant le jour, seuls les mirages en rompent la monotonie. Ils empêchent de voir l' horizon dès les premières heures du matin jusqu' au couchant.

On roule à grande allure, suivant une piste séculaire. Notre vieille Renault souffre de... vapeurs chroniques et tous les 30 kilomètres se met à bouillir. Il faut attendre et remettre un peu d' eau de réserve avant de reprendre la piste. Ce petit jeu de patience oblige à s' arrêter et à regarder autour de soi, un peu plus souvent pourtant que ne le réclame le pittoresque des lieux.

Die Alpen — 1940 — Les Alpes.31 Brusquement, le plateau cesse à Aïn El Hadjaj et la piste plonge en quelques lacets bien sentis dans l' étendue des plaines du Tidikelt. La piste reprend alors, rectiligne, vers le sud, parallèle à celles des chameaux. Par-ci, par-là, un squelette rappelle la soif, la terrible soif qui terrasse les êtres vivants au cours de leurs randonnées.

Le séj our à In Salah est moins riant qu' à El Golea. Il règne en ce moment un vent brûlant qui entraîne du sable et pousse devant lui des nuées de sauterelles.

La palmeraie est menacée par les sables et les dunes recouvrent une partie de la ville indigène. Les Européens vivent à l' opposé de cette zone dans un bordj construit en pisé rouge à l' allure très pittoresque.

La vie y est sévère, sous un ciel perpétuellement en feu; l' eau que l'on boit est magnésienne et le climat débilite rapidement les habitants.

Nous désirons quitter au plus vite ces lieux, mais une panne sérieuse retient notre auto au garage, et il faut patienter quelques jours encore avant de pouvoir repartir.

Nous passons le temps en visitant les souks, rendez-vous des Arabes Chambaa et des Touaregs du sud. Le marché a perdu de son importance d' antan. C' était alors une place d' échange d' esclaves, un lieu de rassemblement de nombreuses caravanes chargées de marchandises et un point d' eau très apprécié.

L' armée commandait ce point crucial de la vie du Sahara. Aujourd'hui, tout meurt lentement dans une paix complète.

Le 26 octobre enfin, à 6 heures du matin, le « service du sud » nous entraîne vers les hauts plateaux touaregs où nous trouverons enfin des nuits fraîches et de l' air vivifiant.

La traversée des dunes n' est pas chose aisée; l' itinéraire change sous l' im des vents et il faut toute l' adresse de Nicolas, notre chauffeur breton, pour se tirer d' affaire.

Blessé à l' œil par un éclat de métal, il abandonne le volant peu après, complètement aveuglé par l' éclat du jour et souffrant du sable qui vole dans l' air, auquel s' ajoutent les émanations du moteur.

Je le remplace et vais mener notre pesante guimbarde jusqu' à Tamanrasset, sur 600 km. de sables et de vallées montagneuses. Je me souviens surtout de la soif qui obsède, obligeant à boire jusqu' à un litre d' eau à l' heure.

A 200 km. d' In Salah, la piste s' incurve vers l' ouest et longe la falaise intra-tassilienne jusqu' à Arak, encore à 100 km. de là.

Nous y parvenons tard dans la nuit, au clair de lune. On nous accueille à bras ouverts, car nous apportons une pièce de rechange à la voiture du courrier du Nord. Ses occupants sont immobilisés depuis plusieurs jours et se morfondent clans ce fortin, au fond d' une vallée sauvage et encaissée.

Le lendemain à l' aube nous voici en piste, remontant les gorges d' Arak. Elles rappellent les cluses du Jura, mais il faut remplacer ici les routes asphaltées par une voie étroite, apparentée à une chaussée romaine faite de dalles juxtaposées. L' auto tangue et vacille, attaquant les côtes, fonçant plein gaz en première vitesse pour franchir le sable mou de l' oued.

Vers le haut, une rampe trop rapide oblige tout le monde à descendre, à décharger le contenu et à pousser.

Plus haut, la bride de la magnéto casse et cette précieuse pièce pend, lamentablement retenue par les fils de contact des bougies.

Il faut réparer sur place et la caler à nouveau. L' opération ne manque pas de saveur contre le moteur surchauffé et sous le soleil qui vous cuit le dos.

Vers midi, les derniers obstacles sont franchis et nous roulons sur le reg des plateaux touaregs, en direction d' In.

Le lendemain dans la matinée, nous touchons enfin au terme de la randonnée automobile: Tamanrasset.

Dans les montagnes du Hoggar.

Tamanrasset: un hameau de cases indigènes et un groupe de maisons européennes dont un hôtel de quelques pièces. Le tout est bas sur terre, égrené le long des sables de l' oued Tamanrasset. Le fort domine l' aggloméra avec ses annexes et non loin de là on voit le monument du Général Laperrine et du Père de Foucauld.

Rarement monument fut plus à sa place que ce sobre édifice, rappelant non seulement les deux grands hommes, mais l' armée d' Afrique.

Il symbolise l' œuvre immense, militaire et coloniale, de construction d' un empire, les opérations de la conquête dont tous ces jours nous avons parcouru le théâtre: Tit, In-Ameguel, In-Eker. Ce sont autant de combats et de luttes acharnées pour parvenir à pacifier et à unifier le Sahara.

Ici encore, nous devons à l' autorité militaire toutes les facilités qui nous permettent de constituer rapidement notre caravane.

Akhamouk Ier, roi des Touaregs-Hoggar, est à quelques kilomètres de là, avec sa tribu et ses tentes. Le capitaine-chef d' annexé nous ménage une entrevue dans laquelle nous obtiendrons guide, interprète, chameaux et ânes pour notre itinéraire dans les montagnes.

Les chameaux serviront de bêtes de somme pour les provisons et de montures pour le guide et l' interprète. Pour nous, nous préférons le modeste bourrique, animal pacifique et pratique dont on descend et remonte aisément, suivant les besoins de la cause: failles à mesurer, plante ou roche à collectionner ou encore photos à prendre.

Le chameau, nous le réservons pour les longues étapes monotones... mais avons-nous jamais rencontré d' étape monotone au Hoggar?

Nous brûlons d' impatience de partir. Les sommets de la Coudia — partie surélevée du massif du Hoggar — se détachent à l' horizon et nous attirent impérieusement.

Le 29 octobre au matin tout est prêt et nous prenons la piste en direction du nord.

Il fait très chaud. Un soleil blanc nous tape durement sur les épaules. Très vite nous avançons en pleine solitude, sur de vastes plateaux brutalement coupés d' oueds desséchés.

Le lendemain, nous abreuvons une dernière fois nos bêtes à l' aguelmane d' Outoul. C' est une cuvette naturelle dans le granite. L' eau s' y renouvelle toujours.

Le 31 octobre, nous passons un col à 1675 m ., entre une magnifique table basaltique, Tanoumrout, et le sommet de l' Ikarhaggan.

Au-delà du col, redescente dans une vallée large et peu profonde, après laquelle reprend un grand plateau de basalte que nous remontons pendant des heures. Nous croisons deux Targuis solitaires auxquels nous achetons un cabri. Ces hommes chantaient à tue-tête et nous les entendîmes de fort loin. Leur mélodie est claire, alerte et célèbre des faits divers. Le Targui chante ses femmes, son bétail et le temps qu' il fait. Il met tout en vers et en musique. Il rappelle en cela le berger arabe qui chante ce qu' il voit autour de lui. Le chant est repris de loin en loin par ses voisins et ainsi se propagent les nouvelles et les faits à travers de vastes régions.

Le 1er novembre, nous avançons beaucoup et passons dans l' après un col d' où l'on voit le Tahat, point culminant de la Coudia et de tout le Sahara algérien. Nous nous avançons encore jusqu' au pied du massif, et tard le soir montons le camp aux dernières lueurs du jour.

Le crépuscule est très bref à cette latitude. En un quart d' heure, l' obscu s' abat sur toutes choses, laissant peu de temps pour choisir un emplacement convenable où décharger les bêtes et monter le camp.

Nous dressons rarement la tente et préférons l' utiliser comme couverture pendant la nuit. Cela permet de profiter de ces belles nuits sahariennes où l' air est frais et les étoiles scintillent directement sur nos têtes.

La température baisse beaucoup, car l' atmosphère est sèche et nos camps sont au-dessus de 2000 mètres.

Plusieurs fois, à l' aube, le thermomètre ne marquera que quelques degrés au-dessus de zéro.

Rien de plus stimulant que ces heures fraîches. Elles réparent les méfaits d' un séjour prolongé dans les plaines du Tidikelt.

L' ascension du Tahat n' offre aucune difficulté. Il faut compter deux heures trois quarts pour atteindre le sommet; une première partie du trajet consiste en pentes monotones jusqu' à l' épaule. De là, de faciles grimpées dans de grands blocs permettent de rejoindre le point culminant à 3010 mètres.

Le temps est calme, immuablement beau et très chaud pendant le jour. Une légère poussière, très éclairée par le soleil, voile l' atmosphère et empêche de voir jusqu' à l' horizon. Toutefois, la vue panoramique du Tahat est remarquable.

Au nord, le regard plonge dans le pays du granit, à l' aspect désolé. C' est par là qu' est arrivé Butler et sa caravane. Au levant, la table presque horizontale de l' Asekrem barre l' horizon. Seules dépassent les aiguilles des Tezou-laïg les pointes du cirque de Touroumont. Au sud, parmi les innombrables crêtes et les dômes volcaniques, nous reconnaissons les pistes par lesquelles nous sommes arrivés ici, venant de Tamanrasset.

Au sud-ouest, la fière pyramide du pic Ilamane nous attire. Personne n' y est encore monté. Il reste donc à faire une des plus belles sommités de la terre, une des plus fières. Ce sera la victoire des Zurichois Hauser et Bosshard, suivis de la caravane Coche-Frison-Roche peu après. C' est le prototype des anciennes cheminées volcaniques du Hoggar, piton de matériaux volcaniques, décapé depuis par l' érosion et dont il reste un sommet acéré émergeant d' une auréole d' éboulis.

Au-delà de l' Ilamane s' étendent les plaines touaregs dont on devine les solitudes vers l' ouest.

On reconnaît même les dômes montagneux des environs du Bordj d' Ineker, sur la piste d' Arak à Tamanrasset.

Sur tout ce paysage règne la mort par la soif. Aucune eau de surface. Depuis plusieurs jours, nous buvons l' eau du sol, récoltée dans un baquet au fond d' un trou provisoire que l'on ménage dans le sable des oueds. Elle sourd lentement, liquide semblable à du thé « tiré » que l'on fait bouillir avant de boire.

La' végétation est pauvre, consistant en plantes herbeuses sèches, par petites touffes, comme la lavande du Midi, ou comme des chardons de Camargue. Lorsque ces touffes sont abondantes, on parle alors d' un pâturage. Et les indigènes viennent de loin avec leurs troupeaux pour les alimenter.

De notre sommet, nous voyons des pistes assez nombreuses. La Coudia et tout le Hoggar sont les contrées du nomadisme; le climat et le sol excluent toute vie sédentaire. Tamanrasset est un essai de vie fixée, dû surtout aux besoins militaires et économiques.

Le programme serré de notre voyage nous oblige à regagner notre camp dans la journée et à poursuivre dès le lendemain notre route, vers l' est cette fois.

Nos animaux de somme sont fatigués par la série d' étapes que nous leur avons fait faire depuis le début. C' est avec un rythme bien lent que notre caravane remonte les méandres rocailleux d' un oued, puis arrive dans les pentes qui se relèvent brusquement au Col de Turturi, à l' ouest de l' Ase. L' itinéraire est pittoresque. Les falaises de l' oued Ibedassen sont abruptes et sont coupées dans une ancienne coulée basaltique. Le basalte repose sur des cendres et des dépôts alluvionnaires relativement frais.

Voici une évocation géologique qui nous ramène à l' époque où toute cette région était animée du volcanisme le plus actif. La terre tremblait, de grandes coulées recouvraient plateaux et vallées, pendant que montaient dans l' atmosphère des volutes de cendres et de fumée.

Tout, dans ce massif à l' aspect lunaire, rappelle cette origine des montagnes et du paysage.

Le Col de Turturi nous amène dans un vaste hémicycle au sud de l' Ase, bordé de toutes parts par des sommets acérés, bien que peu élevés. R. Perret et moi sommes impatients de monter à l' Asekrem dont la vue est peut-être parmi les plus « hoggariennes » que l'on puisse concevoir. Les pitons surgissent de toutes parts vers le sud, des Tezoulaïg au Taheleft, par l' Ouï et les pointes de Touroumont. On est environné de sommets aux parois abruptes, formées de roches tantôt lisses, tantôt cannelées, toujours polies et noires.

Enfin l' Asekrem lui-même est immortalisé par la personnalité du Père de Foucauld, par son œuvre et ses lettres. C' est au bord de ce plateau élevé qu' il construisit son ermitage, au cœur des montagnes, au centre même des peuplades que sa vocation l' appelait à évangéliser.

Une heure de marche nous amène devant ce modeste abri de boue sèche et de pierres. Battu par les intempéries, il résiste, ancré au sol dont il semble faire partie.

.'Trop vite, il faut quitter ces lieux. R. Perret regagne la caravane, alors que je vais varapper sur une petite crête bien découpée entre le Col de Turturi et l' Asekrem.

Quel plaisir de se battre à nouveau avec du bon rocher! Ces gendarmes ne sont guère méchants ni bien vertigineux.

Personne n' a l' air d' y avoir été, et c' est toujours un délicieux sentiment de liberté qui vous anime à l' idée de se promener hors des chemins battus! Hélas, au quatrième piton, une espadrille me trahit lâchement. Me voici sans semelle, obligé de revenir trop tôt sur mes pas.

Rentré au camp, il est déjà tard et nous nous remettons en mouvement pour arriver encore cette nuit à Touroumont. Des gorges étroites et rapides nous séparent de ce pâturage où nous parvenons dans une obscurité presque complète.

Ici, nous ferons connaissance des Touaregs dans leur décor. Quelques femmes avec leurs enfants gardent un immense troupeau de chèvres et de moutons. Les hommes sont actuellement à In Salah où ils vendent du beurre, du fromage et des chèvres pour acheter des dattes.

Ils appartiennent tous à la tribu des Dogaali. Les femmes sont vêtues de grandes draperies bleu-foncé, leur donnant une silhouette grave de statuettes antiques de Tanagra.

Elles sont sauvages et méfiantes; nous aurons de la peine à les photographier.

Il faut encore traverser des gorges pour sortir du grand cirque de Touroumont, puis assez rapidement nous sortons de la Coudia pour retrouver un pays de plaines et de plateaux. Un volcan éteint, l' Iragman, a répandu des scories et des ponces que nous foulons pendant un grand moment. Elles couvrent une vaste étendue.

Le 4 novembre au soir, notre tente se dresse à 2000 mètres d' altitude, dans l' oued Irafezan.

Au loin, très bas sur le plateau, on devine la silhouette de l' Akarakar dont nous allons nous rapprocher dès demain.

Le 5 novembre, au petit matin, nous levons notre camp et reprenons la piste. La région est extrêmement aride. La végétation n' existe pour ainsi dire pas. Le sol consiste en arènes granitiques et en roche affleurant partout la surface du terrain. Les plateaux se succèdent limités par des terrasses bien marquées.

A 9 heures nous parvenons au pied de l' Akarakar ou Montagne des Voleurs. C' est une formidable falaise, presque circulaire, qui semble, être couronnée d' un plateau régulier. C' est du moins à quoi nous nous attendons, et notre surprise sera grande dans quelques heures en découvrant au contraire un relief bien découpé. Une varappe amusante dans une série de cheminées verticales nous a amenés sur la bordure de la montagne et, de là, nous apercevons l' intérieur. On peut, en effet, parler d' un « intérieur », car en dedans de la crête périphérique il existe une large dépression circulaire, entourant elle-même un cône central. Ce dispositif est bien connu des vulcanologues qui le nomment « caldeira ».

C' est une sorte de gorge dans laquelle nous nous engageons, suivant de multiples détours, entre des parois à pic dans lesquelles on progresse lentement, une main contre chaque versant.

Le ciel apparaît tout petit par instants. A un moment donné, quelques arbrisseaux, des tamaris, nous barrent la route, seules traces de vie dans ce monde désert. Voilà des vestiges d' une époque où la pluie était plus fréquente qu' actuellement.

Il nous semble maintenant que nous allons pénétrer incessamment dans la grande salle des statues du palais d' Antinéa. Sera-ce au prochain détour?

Toutefois, nous revenons sur nos pas, regagnant la crête, heureux de revoir le grand jour. Le panorama semble illimité tant l' Akarakar est isolé de tout sommet rival. Loin à l' horizon, le chaos des cimes de la Coudia s' es dans la poussière de l' air, alors qu' autour de nous, à nos pieds, ce ne sont que plateaux desséchés et ravinés en tous sens.

Vers le sud on devine la chaîne du Tinhamour et les montagnes de Tamanrasset, vers lesquelles nous allons nous diriger à grandes étapes.

6 novembre. La nuit a été fraîche. Au départ il ne fait que 10°. Bêtes et gens sont heureux de se dégourdir et avancent rapidement.

Nous suivons le lit de l' oued Takecherouet et perdons progressivement de l' altitude. La végétation réapparaît ci et là. Ce sont des lauriers qui toujours marquent la présence d' eau sous la surface du sol.

Peu à peu, notre lit de rivière s' enfonce entre des parois rocheuses. Leur hauteur s' accentue assez vite et nous pénétrons bientôt dans des gorges. Leur beauté ira en croissant, à mesure que l'on se rapproche de la confluence de l' oued Tamanrasset.

Pour la première fois depuis bien des jours, nous revoyons de l' eau. Un seuil rocheux barre la vallée et retient de l' eau libre. Nos yeux revoient avec plaisir de la verdure, des roseaux et quelques buissons de lauriers rosés.

Les chameaux boivent lentement, tandis que les ânes pataugent un peu plus loin. Nous resterons plusieurs heures pour les désaltérer et, malgré la grosse chaleur du milieu du jour, notre guide nous presse de repartir, loin des nuées de mouches et de moustiques. Il faut remonter un col afin de gagner au plus court la plaine de Taraïne où nous campons le soir du 6 novembre.

Des indigènes entourent de nattes notre feu et la tente afin de les protéger d' un vent froid qui descend des montagnes.

Nous serons ainsi à l' abri de l' air et du sable surtout qui s' infiltre partout, jusque dans les aliments.

Le geste spontané de ces Touaregs est charmant et montre l' élégance de leurs sentiments. Combien de fois avons-nous déjà remarqué cela? A Tanemert, un Targui nous a donné un cabri; au camp, nous avons reçu des moutons. Toujours le geste est amical et si son auteur attend en retour un don — et il l' attend fermement — il serait déçu de recevoir de l' argent ou un effet à titre de retour. Non, ce qu' il attend, c' est un autre cadeau, donné également comme marque d' amitié. J' aime la subtilité de ces hommes et songe avec crainte à notre civilisation qui détruira certainement ces sentiments primitifs. Elle nivellera, elle anéantira toute cette culture, comme elle l' a déjà fait partout ailleurs, en Afrique, aux Indes néerlandaises, en Asie.

Nous avions été prévenus: « Prenez avec vous des cadeaux. Le sucre et le thé leur font plaisir. Si toutefois, vous voulez leur témoigner spécialement votre amitié, donnez-leur un flacon de parfum. » Et nous vîmes ces hommes voilés, à la peau bleuie de la teinture de leurs vêtements, ajouter aux mille parfums naturels qu' ils dégagent, celui de l' eau de Lubin. Ils avaient l' air enchanté.

Au point du jour suivant, nous partons allègrement en direction de la chaîne qui nous domine à l' est, le Tinhamour. Le sommet à 2227 m. fait partie de l' Adrar Ihagaren.

La marche d' approche est banale, puis il faut remonter des éboulis. Plus tard, la pente se redresse, permettant une ascension rapide qui se termine à la crête.

De là, vers le nord, la marche est aisée. Le rocher ( du granit ) offre les formes d' érosion subaérienne les plus belles, surtout l' érosion alvéolaire. Cela donne à ces sommets une apparence cariée très pittoresque.

Plus l'on s' élève, plus se dégage vers l' est le pays granitique que nous n' avions pas encore vu. Jusqu' à la limite du regard, vers Fort-Motilinsky, se succèdent indéfiniment les plaines ravinées et rôties. Le sol est rose ou brun-clair, absolument stérile. Il est difficile d' imaginer régions plus vides et inanimées. La chaleur et la lumière ont tout tué, jusqu' à la couleur. Il ne reste que des ruines.

Au sommet, nous prenons des photos et des croquis, avant de redescendre le long des contreforts du versant ouest.

Nous rejoindrons le camp dans l' après, et tard dans la soirée nous arrivons à Tamanrasset.

Ainsi nous avons bouclé le circuit de la Coudia. Nous rentrons chargés d' observations, de collections de roches et de photos. Notre moisson est vaste, car le temps nous a été continuellement favorable.

Trop tôt il faut quitter nos amis, les officiers du poste de Tamanrasset. Nous serrons des mains et reprenons la carriole automobile du service régulier qui va nous ramener vers le nord.

Les étapes, nous les connaissons: In-Eker, Arak, In Salah. Dans cette dernière oasis, la chance nous fait rencontrer quelques aviateurs, dont le lieutenant Bernard, le compagnon du dernier vol du général Laperrine.

Plus au nord, l' air a fraîchi et l' automne arrive. Le 4 décembre nous débarquons à Marseille où nous attend l' hiver.

Ainsi finissent mes notes... Dehors, la bise s' est levée. Le mirage revécu un instant est évanoui. Le Dr Wyss-Dunant, avec lequel j' ai évoqué bien des visions sahariennes, m' a parlé d' un Tamanrasset 1938, avec colonne d' essence, poste de météo. Il m' a décrit une route dans les gorges d' Arak, d' un aérodrome, non loin de là... Alors que sept ans auparavant... O quae mutatio rerum.

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