Soglio
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Soglio

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Avec 1 illustration ( 121Par R. Eggimann

Si l'on voulait remanier la Suisse inconnue de Victor Tissot il n' en resterait pas grand' chose, tout au plus une édition diminuée, où le val Bregaglia formerait à lui seul un des plus beaux chapitres. Un coin perdu tellement nature et naturel qu' on hésite à en parler, de peur de voir notre enthousiasme devenir contagieux et amener d' autres admirateurs, bénévoles et désintéressés, dans cette vallée merveilleuse; mais qui iront à leur tour parler de leur découverte à des amis brasseurs d' affaires: alors cette vallée encore ignorée entrera dans la gloire, elle deviendra à la mode et ne s' en remettra jamais. Contentons-nous d' en parler à nos amis intimes pendant qu' il en est temps, comme on parlait jadis — il y a 30 ou 40 ans — de Saas-Fée, de Verbier ou de Grächen, à voix basse et à mots couverts, pour ne pas alerter et ameuter le grand public qui aurait vite fait de galvauder, en les criant sur les toits, la beauté primitive et encore intacte, le charme original et exempt d' artifices de ce coin de pays privilégié des dieux. Le val Bregaglia n' a pas de chemin de fer; les autocars traversent les villages sans même s' arrêter: ils vont d' un trait de St-Moritz à Chiavenna en passant par la Maloja. Si on vous donne le temps et la permission de descendre du car au sommet du col — ce qui n' est pas sûr parce qu' il faut tenir l' horaire — vous verrez en enfilade toute cette magnifique vallée, creusée en forme de V majuscule, un V de racine carrée, tellement les montagnes sont hautes et escarpées des deux côtés: une rivière tout au fond, faite surtout de gros cailloux blancs et luisants, des sommets très raides à gauche, rochers gris, argentés, rappelant les Dolomites et certaines aiguilles de Chamonix ( ce sont les célèbres Alpes du Bergell ), de l' autre côté des pentes abruptes couvertes de grandes forêts et de tout petits pâturages accrochés au flanc des monts comme des mouchoirs de poche vert pâle sur un corsage de velours vert foncé, des villages aux noms sonores — Casaccia, Vicosoprano, Borgonovo — groupés autour de campaniles élancés et gracieux.

Soglio n' est pas au bord de la grande route, mais en retrait, à 1100 mètres d' altitude, au-dessus des châtaigniers, en face de la chaîne gris-argent d' Al et de Sciora, du Badile, du Cengalo et de la Cima di Castello, tous saisissants de hardiesse et de raideur élégante et semblables à de gigantesques haches lacustres de silex gris-foncé.

Soglio est un village haut perché. Un sentier grimpe de Castasegna tout en bas et s' insinue dans la plus belle forêt de châtaigniers de la Suisse; une seule route carrossable mène de Promontogno, plus à l' est, à Soglio tout en haut. Elle est juste assez large pour permettre à deux petits chars de foin indigènes de se « croiser » sans s' ébouriffer; les automobiles mastodontes s' y trouvent à l' étroit, se sentent gênées dans les entournures et surtout dans les tournants... Et c' est très bien ainsi, puisque ce sont les automobiles mastodontes qui transportent avec elles — comme les chiens véhiculent leurs puces — tous les goûts citadins et les aspirations modernes dont la montagne n' a que faire.

J' en ai vu deux l' été dernier s' affronter sur la route étroite, comme deux chats sur le sentier de l' amour et de la guerre: l' automobile « supérieure » refusant de céder le pas, disons le passage, à son inférieure. Le Zurichois avait beau tempêter et répéter sa formule: « Nach dem Gesetz müssen Sie unbedingt... », le Genevois, plus calme, en a fait à sa tête et a patiemment attendu que le Zurichois voulût bien reculer.

Pourvu qu' il ne vienne pas à l' idée de la société de développement du val Bregaglia — pour le moment elle n' existe heureusement pas — de faire élargir la route comme celle de Grava Selvas non loin de là! Ce serait la brèche dans la digue et Soglio subirait alors le sort de Saas-Fée, de Grächen et de Verbier. Pourvu surtout que Soglio reste Soglio et que le seul hôtel de l' en — et encore c' est à peine un hôtel, c' est plutôt une maison de maîtres, magnifiquement meublée à l' antique, où les « paying guests » sont traités avec une amitié affectueuse qui suggère la maison et la famille plutôt que l' hôtel — pourvu que l' hôtel de Soglio ne se modernise pas, ne se mette pas « à la page » en installant dans les chambres anciennes des lavabos à eau courante, robinet bleu pour l' eau froide, robinet rouge pour la chaude!... même quand il n' y en a pas. Un tenancier de Casaccia me disait d' un ton dolent: « Les automobilistes exigent ce qu' ils appellent le confort moderne. Ils veulent trouver dans nos Alpes des hôtels aussi luxueux que ceux de Zurich, de Lausanne ou de Genève. Ils ont tort et s' ils me forcent la main c' est à contre-cœur que je ferai mettre l' eau courante dans mon hôtel de montagne », et il ajoutait malicieusement: « ça ferait le même effet que des bijoux aux mains d' une lessiveuse. » En plus de sa rustique simplicité Soglio a tout pour être heureux et rendre heureux: il est abrité des vents du nord par les flancs boisés du Piz Duan ( 3131 m .) et il se chauffe au soleil tout le long de l' année tandis que Vicosoprano au fond de la vallée en est sevré et frissonne dans l' ombre froide pen- dant trois mois. Le charme de Soglio ne vous prend pas tout de suite, il opère par retardement comme celui d' une femme d' élite: il vous déroute au début de la liaison, mais peu à peu il s' affirme, il s' impose et finit par vous conquérir irrémédiablement. L' uniformité grise de son campanile et de tous ses toits, couverts de dalles de la même couleur que le granit des Aiguilles de Sciora qui les dominent, donne à Soglio cette harmonieuse unité de tons et de teintes qu' on ne trouve que dans les œuvres d' art des grands maîtres ou dans les villes admirables, comme Berne vu de la terrasse du Rosengarten, Fribourg dans ses rues basses et Neuchâtel au pied de son château. Cette unité, cette harmonie, Soglio les doit encore à un mélange heureux de douceur latine et de rudesse helvétique, d' aridité valaisanne et de luxuriance méridionale. Les pentes roussies, pelées voisinent avec la verdure somptueuse des prés et des bois et l' ondulante forêt de châtaigniers au-dessous du village fait ressortir la grisaille désertique des Aiguilles de Sciora tachées des plaques blanches de leurs névés et de leurs glaciers. Ce mélange étonnant de force et de douceur vous surprend avant de vous prendre: c' est la pointe d' antipathie qui est le commencement de l' amour passion. Songez-y! Des noyers et des châtaigniers à 1100 m.! Les jardins de Soglio nourrissent des arbres qu' on s' étonne de trouver si haut: des Wellingtonias, des pommiers, des néfliers ( les pauvres! ils auront bientôt passé de mode ). Sur le chemin de Stampa vous pourrez tomber en arrêt — sans les cueillir s. v. p. devant les lys rouges sauvages des ravins grisons. Vous verrez filer sous vos pas des lézards verts à tête bleue — il ne manque que les cigales et les lucioles du Midi.

Pas de train dans cette vallée, peu d' hôtels et seulement deux cabanes du Club Alpin: une toute petite dans le vallon d' Albigna et une autre refuge dans le val Bondasca, qui fut détruit par une incendie il y a trois ans et qu' on a reconstruit « plus beau qu' avant ». Il n' y a pas de traces rouges, bleues ou jaunes pour guider les touristes: ils se perdent et c' est très drôle parce qu' ils recommencent en tâchant de faire mieux. Les sentiers ont l' humeur vagabonde: ils se perdent, eux aussi, dans les pâturages, adossés au flanc de la montagne pour se retrouver un peu plus haut. C' est le pays de la fantaisie et de la liberté. Pas d' interdictions non plus: vous avez le droit de circuler partout, sans courir le risque, comme dans les régions exploitées de notre pays où tout est mis à prix ( aux Avants, un franc le bouquet de narcisses ) et où l' herbe est un fétiche, d' être expulsé à l' aide de faulx, de rateaux et de tridents. C' est qu' en été les habitants de Soglio vont ailleurs: ils mènent leur bétail à Grava Selvas et seules les femmes, avec les enfants, restent au village pendant la belle saison. Cela vous laisse une liberté d' action, une capacité de baguenaudage qui rappellent celles qu' on trouve gratis dans les parcs de Londres et des environs et dont Adam bénéficia en Paradis, avant l' arrivée d' Eve...

Two Paradises it were in one To live in Paradise alone.

Traduction libre: Ce serait deux Paradis en un de pouvoir vivre en Paradis tout seul.

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