Solidarité
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Solidarité

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Par Marc Juland.

Vous souvenez-vous, mon cher ami, de la conversation que nous eûmes un jour — il y a bien longtemps — dans un wagon des CFF, alors que le train nous emmenait tous deux vers les montagnes, vous à Zermatt où vous attendait votre guide, moi à Pontresina d' où j' avais décidé de partir, en solitaire, explorer ces monts que je ne connaissais pas, mais dont on m' avait vanté les splendeurs. Je vous disais le plaisir, la jouissance que l'on éprouve à se trouver seul, soit dans les sombres ravins, soit sur les crêtes dentelées ou sur les sommets éclatants. Dans vos discours, que je jugeais pleins de bon sens, mais que je ne pouvais m' empêcher de traiter in petto de quelque peu défaitistes, vous me disiez les dangers que je courais à m' aventurer ainsi seul — et, qui pis est, en terrain inconnu — et ceux que — s' il m' arrivait un accident — je risquais de faire courir aux braves gens dont serait formée la colonne de secours envoyée à ma recherche. A vrai dire, plus tard, quand j' eus pris de l' âge, je suivis votre exemple et ne partis jamais seul. Mais ce n' est pas pour vous raconter ma conversion, survenue à la suite de la perte d' un ami cher enlevé par la montagne, que je vous écris. C' est bien plutôt pour vous dire combien j' admire aujourd'hui avec vous cette solidarité qui est bien peut-être la plus remarquable des qualités que développe le Club alpin et dont nous avons eu tout récemment un exemple si saisissant lors de la disparition en montagne d' un de vos collègues genevois. Il m' est revenu en mémoire quelques expéditions semblables — sans parler des colonnes de secours organisées en quelque sorte officiellement et dont les participants sont des guides ou des porteurs professionnels de la montagne — mais aucune, à ma connaissance, n' a été de pareille envergure. Peut-être fut-ce parce que l'on était en hiver, peut-être à cause de la région, de cette région dangereuse de par le nombre des crêtes et des vallons entre des murs raides, propres au déclanchement des avalanches — m' a semblé dans mes pérégrinations estivales — peut-être aussi à cause de la personnalité du disparu, dont un de ses amis m' a dit le caractère franc, ouvert, le cœur bon, la douceur qui le faisaient aimer de tous ceux qui l' ap.

Quoi qu' il en soit, à la base de ces actions de secours entre gens du même club, à côté des sentiments d' ordre personnel, au-dessus même de ces sentiments, on distingue clairement la notion de solidarité, non pas de la solidarité dans son sens juridique ou dans son sens philosophique, mais dans ce que l'on pourrait appeler son sens simple et qui désigne cette sorte de responsabilité mutuelle que l'on se sent les uns envers les autres, celle qui correspond à la devise: un pour tous, tous pour un.

Cette solidarité, nul ne l' enseigne. Elle se développe en quelque sorte invisiblement et insensiblement en nous. Nous est-elle dévoilée par la vue de la pureté des spectacles qui s' offrent à nous du haut des sommets, dans le domaine même de la montagne et par le sentiment que ceux qui ont joui des mêmes spectacles sont en communion d' idées avec nous? Peut-être par le sentiment des dangers auxquels nous sommes exposés et, comme nous-mêmes, tous nos camarades montagnards, sentiment qui nous porte à la bienveillance les uns envers les autres? N' étant versé ni en psychologie ni en philosophie, je ne saurais le dire. Mais ce que je sais bien, c' est que l'on doit constater que ce sentiment si noble existe, sans doute aucun, dans le cœur de tout alpiniste, de tout clubiste. Que si certains ne sont pas capables de le mettre en pratique, c' est parce qu' ils ne se sentent pas les capacités, la force de résistance, les connaissances nécessaires sans lesquelles toute tentative de sauvetage serait vaine et vouée à un échec certain, à un nouveau désastre peut-être. Et c' est pourquoi, je m' imagine, ne peuvent être admis à participer à de telles expéditions que des montagnards éprouvés, des skieurs alpinistes à toute épreuve; et c' est pourquoi aussi des colonnes de recherches doivent être guidées dans leur route par des gens connaissant à fond la région à explorer.

J' ai vu un jour un de mes collègues de section, qui fut un alpiniste de premier rang, pleurer parce que ses forces ne lui permettaient plus de courir au secours d' un de ses amis en excursion dans la région de Saleinaz, et dont on était sans nouvelles depuis deux jours.

L' exemple de solidarité que nous venons d' avoir est une nouvelle preuve de cet idéal qui est à la base du C.A.S., idéal dans le beau et dans le bien. C' est la preuve aussi de l' amitié qui se développe entre clubistes, de la fidélité au principe de l' amour du prochain, pourrait-on dire, principe de désintéressement aussi puisque, aussi bien, ces colonnes sont composées d' hommes qui n' attendent de leur acte aucun profit matériel et que le seul sentiment du devoir accompli est leur récompense.

Telles sont, mon cher ami, les réflexions que m' ont suggérées, en repensant à notre entretien, les tristes événements de ces jours. Je n' ai pu m' empêcher de vous les communiquer. Peut-être jugerez-vous bon d' en faire part aux membres de la grande famille clubistique!

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