Souvenirs de ski en Algérie
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Souvenirs de ski en Algérie

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Avec 2 illustrations ( 33, 34 ) et 1 croquisPar Plerre Carrard

( Section des Diablerets ) II. Le Djurdjura De la gorge profonde de l' Oued Isser où le Tell prend fin, la chaîne du Djurdjura court d' ouest en est sur 150 km. environ jusqu' à la forêt de Ya-kouren, puis s' infléchit vers le nord-est.

Pour les skieurs, seule compte la zone centrale, comprise grossièrement entre les 110e et 180e km ., sensiblement plus élevée et possédant une douzaine de sommets de 2000 à 2300 m. Les principaux points d' accès sont les suivants:

1° Boghni, au pied du versant nord, à 120 km. d' Alger, et la combe des Aït-Ali ( ait = fils en kabyle ) avec possibilité de couchage au refuge forestier.

2° Bordj-Bouïra, à 125 km. d' Alger, au pied du versant sud; une piste de montagne, ouverte en 1930 à la circulation des automobiles, permet d' at à 35 km. plus loin l' auberge de Tikjda, à 1400 m ., dans une belle forêt de cèdres, au pied des jolis sommets rocheux de l' Akouker et de l' Heizer.

3° Maillot ( 170 km .), blotti sur les derniers contreforts méridionaux, est le point de départ d' une route de montagne dans les flancs du Lalla-Kredidja qui conduit à Tizi N' Kouilal ( Tizi = col en kabyle ) relié à Tikjda par la « piste des crêtes » assez acrobatique du point de vue de l' automobiliste, mais offrant des aperçus magnifiques sur la chaîne et les régions voisines. En hiver, on peut en général monter en voiture jusqu' à M' Zarir, à 15 km. de Maillot.

4° Deux à trois lieues plus à l' est, le col routier de Tirourda permet de franchir la crête vers 1600 m. Quand la neige est abondante, on ne peut, toutefois, rouler au delà de Michelet, belvédère incomparable sur un chaînon secondaire en direction du nord.

Cet itinéraire connut dès l' abord la faveur des touristes, surtout, semble-t-il, à cause de son confortable hôtel transatlantique; il est, à mon avis, beaucoup trop long et fut d' ailleurs supplanté par celui de Tikjda.

Les Aït-Ali et M' Zarir possèdent deux des trois usines hydroélectriques d' Algérie, bien modestes, il est vrai. C' est aussi par là que nous préférions passer, mes compagnons et moi, pour atteindre le plus rapidement possible les champs de ski les plus vastes, les plus élevés et les moins fréquentés du Djurdjura; en fait, nous y fûmes presque toujours seuls.

Boghni et Tikjda Dans la construction, corps de métier auquel nous appartenions tous, la semaine anglaise ne se pratiquait guère. Les départs pour le week-end étant tardifs, la dernière moitié du parcours se faisait en pleine nuit, par une route fatigante pour celui qui tenait le volant. Nous faisions notre entrée à l' auberge de Boghni, oasis de tiédeur et de lumière, à l' heure où les dîneurs pliaient leurs serviettes. Le patron, souriant, nous accueillait invariablement avec sa phrase rituelle: « Je n' ai que des grives à vous offrir! » Et non moins invariablement, nous nous donnions un air aussi détaché que possible pour en commander un nombre imposant, arguant de nos appétits aiguisés par la longueur de la route. Au café noir, notre hôte sympathique envoyait chercher la clef du refuge des Aït-Ali chez le forestier et nous quittions le village déjà endormi. Une mauvaise piste de 6 à 7 km ., défoncée par des camions, nous menait à l' usine hydroélectrique, où nous garions la voiture, au fond d' un val encaissé. La montée commençait alors par les 853 marches d' un escalier raide et ardu, en bordure de la conduite forcée. Encore une demi- Chaîne du Djurdjura heure, et il était déjà dimanche, le plus souvent, quand nous arrivions au gîte, à 1100 m. d' altitude.

Au point du jour, nous gravissions un raidillon, puis chaussions nos skis sur un chemin bien fait, presqu' horizontal, et, environ 2 km. plus loin, nous nous engagions dans une combe large et accidentée. En son milieu une cuvette abritée, au confluent de deux torrents, invitait à la halte et au casse-croûte. Les chênes avaient cédé la place aux cèdres d' où, après notre départ, descendaient souvent des singes, pour visiter notre emplacement de pique-nique à la recherche des restes. Plus haut, la combe se redresse et aboutit à un col dans une arête secondaire. A droite, une pente raide, presque toujours recouverte d' une « tôle » particulièrement dure, mène à un petit plateau, bien nivelé, entre 1900 et 2000 m ., presque circulaire et bordé vers l' ouest d' entonnoirs et de monticules gypseux nettement caractérisés. Au nord-ouest, une belle échappée sur les collines côtières et la mer permet, par temps clair, de distinguer l' agglomération d' Alger, distante d' une centaine de kilomètres. Le reste du cirque offre de bonnes pentes, notamment au nord-est où un sommet de 2100 m. tente le skieur. Quelques montées et descentes peu importantes, en direction de l' est, conduisent au bord de la cuvette du lac de Goulmine ( 1600 m .) où l'on peut descendre par deux vallons différents, également intéressants. Du refuge au lac, il faut compter une bonne demi-journée.

Au retour, du rebord du petit plateau circulaire à la lisière de la forêt, la combe permet de faire de jolis slaloms sur 600 à 700 m. de dénivellation.

La première fois que je pris contact avec les Aït-Ali, j' y arrivais d' en haut, solitaire, à la nuit tombée, et je m' égarai dans une pente coupée de rochers. Je huchai en direction du refuge que je savais habité, et le forestier envoya un indigène à ma rencontre. Il usait, pour s' éclairer, de petites torches d' herbes sèches, dont il portait une provision sous le bras. Elles jetaient dans le sous-bois une lumière blanche et très vive; la brise fraîche, loin de les éteindre, les attisait au contraire. Pour une demi-heure, la provision avait la grosseur d' une belle botte d' asperges.

Les skis ôtés, la descente n' a pas grand charme, malgré les 853 marches. Sur la crête qui borne la vue, un village kabyle serre ses toits, contre le ciel, comme les écailles d' un reptile. De l' usine à Boghni la piste traverse un jardin d' Allah, où s' engraissent les grives, où châtoie toute la gamme des verts, du jeune blé aux oliviers. Boghni, de jour, ne vaut pas une description. A mi-route du retour, par contre, un colon a eu l' idée de clôturer son jardin d' une haie touffue de rosiers; nous y fîmes à maintes reprises d' amples moissons de leurs fleurs.

A Pâques 1934 ou 1935, nous fîmes à trois la traversée en diagonale de la chaîne, des Aït-Ali à Tikjda, aller et retour. Le premier jour, comme nous montions de Goulmine vers Tizi N' Cenad, le ciel devint aussi sombre que les rochers délavés par la pluie. Jupiter déchaînait avec insistance sa colère sonore sur les petits sommets aigus qui bornaient notre horizon au nord-est. Couronnés d' éclairs à tous instants, ceux-ci évoquaient impérieusement l' image de chandeliers intermittents.

Tout le retour se fit dans une tempête de neige et un brouillard opaque; avec une traversée de Bétemps à Britannia, en pleine bourrasque, ce sont mes plus beaux souvenirs de navigation à l' aveugle. Comme nous émergions de la cuvette de Goulmine, six sangliers détalèrent devant nous; nous en étions si rapprochés que nous aurions pu aisément les attaquer à coups de boules de neiges, si, tout de même, ils ne nous avaient vus les premiers.

Tamgout de Lalla Kredidja Le Tamgout de Lalla Kredidja, le plus haut sommet du Djurdjura, dépasse 2300 m. d' altitude et ne le cède que d' une vingtaine de mètres du point culminant de l' Algérie, situé dans le Djebel Aurès. Il rappelle grossièrement une pyramide quadrangulaire, et son arête nord, après s' être abaissée à 1800 m. à Tizi n' Kouilal, le relie à la chaîne principale. Tamgout est une désignation kabyle pour sommet; Lalla Kredidja fut une héroïne locale, l' âme d' une insurrection, vers 1870, sauf erreur. Sur la cime, un abri minuscule en pierres sèches, couvert de dalles grossières, attire de rares pèlerins qui, là aussi, ont laissé quelques tessons de poteries primitives.

Pour le voyageur parcourant la vallée largement ouverte au sud de la pyramide, à moins de 200 m. d' altitude, celle-ci s' avance en promontoire, puissant arc-boutant de la chaîne principale; et ce spectacle ne manque pas de grandeur. Quand l' hiver met à Lalla Kredidja son majestueux et blanc

Au pied de la face sud-est, elle-même abrupte et rocheuse, une combe raide et encaissée, partant d' une selle de l' arête est, environ 150 m. en contrebas du sommet, descend en direction sud-sud-est. L' ombre des montagnes qui la bordent y favorise l' enneigement. Par crainte des avalanches, je n' y suis jamais allé avant avril, une fois même en mai, et j' ai toujours pu y descendre 700 à 1100 m. en slaloms; la fin, pour le dernier chiffre, s' étant faite sur de vieilles avalanches. La longueur des marches d' approche y raréfie les skieurs à l' extrême. Des deux voies d' accès les plus recommandables, celle qui remonte le fond de la combe est la plus courte et la plus ennuyeuse. La traversée du sommet, gravi par sa face sud-ouest, réunit le maximum d' avantages, notamment des aperçus magnifiques sur le Djurdjura et sur les terres plus basses qui sont au sud. Toutefois, le verglas peut rendre fort malaisée la descente des 150 m. jusqu' à la selle dont j' ai parlé.

Cet hiver-là, le Nouvel-An tombait sur un samedi, en plein « Ramadan ». Comme je quittais mon perchoir, sur les coteaux d' Alger, peu avant 3 heures du matin, des rumeurs de fête montaient de la ville indigène, aux façades sans fenêtres éclairées de lueurs rougeâtres. Dans les rues principales, les Européens égayés rentraient en ordre dispersé du réveillon, par une nuit étoilée et douce. Aussi, arrimant nos skis sur la voiture, devant la grande poste, faisions-nous figure d' originaux. Nous nous installâmes confortablement, bien pourvus de café noir et de tabac, pour plus de 170 km. d' une route excellente, mais sinueuse et accidentée. Au petit jour, nous traversions Maillot, et, après une quinzaine de kilomètres, nous garions la Chrysler à M' Zarir, dans un hangar datant de la construction de l' usine hydroélectrique.

Un bon chemin revient en arrière en s' élevant assez rapidement et très régulièrement; le temps radieux et la neige profonde nous mettent bientôt en sueur. Vers 9 heures, nous atteignons Tala Rana ( 1200 m .), jolie maison forestière à la lisière inférieure des cèdres. Le garde, d' origine alsacienne, sa femme et ses deux fillettes, nous accueillent à bras ouverts, car nous sommes pour eux de vieilles connaissances.

Après avoir mangé et allégé nos sacs, nous traversons une belle forêt de cèdres, des pâturages à moutons et faisons la halte de midi sur l' épaule de l' arête sud, belvédère idéal par cette journée sans vent. Plus bas, des singes vont d' un bouquet d' arbres à l' autre; leurs silhouettes courtaudes, leur démarche chaloupée, ont quelque chose de grotesque. A distance, notre présence ne les gêne nullement; mais, malgré nos nombreuses tentatives, nos ruses de Sioux et l' avantage de la vitesse que nous donnaient nos skis, nous ne pûmes jamais les approcher à moins d' une centaine de mètres.

En dessus de notre belvédère, une pente triangulaire, la pointe en haut, se révèle un bon terrain à télémarks, plein d' imprévu et suffisamment raide pour compenser l' alourdissement de la neige. Tandis que nous nous en donnons à cœur joie, une nappe de nuages venue de l' ouest voile notre ciel et, progressivement, éteint le soleil. Quand nous rejoignons Tala Rana, le crépuscule maussade ne présage rien de bon.

La soirée, chez le forestier, ne manque ni d' entrain ni de gaîté. Ses fillettes, élevées avec grand soin dans leur solitude, manifestent déjà des caractères bien marqués. Leur mère les couche de bonne heure, puis notre hôte exhibe un jeu de cartes et quelques bouteilles du vin de sa vigne, présentement ensevelie sous la neige. Il en est fier à juste titre: comme il ne pousse pas loin la pressée, il obtient un rosé d' un bouquet très fin, titrant un respectable degré d' alcool. Quand, après de joyeuses parties de belotte, nous gagnons notre couche, des rafales secouent la toiture.

A l' aube tardive, il neige à flacons serrés; la couche nouvelle a près d' un demi-mètre d' épaisseur et de gros glaçons pendent à la fontaine. Après quelques hésitations, nous nous mettons en route, et tout va bien jusqu' à l' épaule. Mais là, nous sommes pris dans un vrai blizzard. Parvenus au haut de notre pente triangulaire de la veille, nous nous rapprochons de la crête; de ci, de là émergent quelques blocs de rocher. Un cèdre isolé surgit de la mouvante grisaille: il a, sous le vent, une carène de glace, pointant vers l' est, de 50 à 60 cm ., burinée horizontalement par le souffle de la tempête. Rien de comparable au givre fragile de chez nous: nos cannes rebondissent quand nous en frappons cet édifice translucide. A mesure que nous montons, la neige se mue en grésil et nous mord cruellement les pommettes. Une traversée sur la gauche nous permet d' atteindre, dans le versant sud-ouest, une combe raide et peu marquée que nous savons rejoindre l' arête à peu de distance du sommet. Nous gagnons 400 m. d' altitude dans cet abri précaire, tandis que la visibilité devient de plus en plus mauvaise. En haut, tout le sol fuit avec le vent, et nos genoux émergent de justesse de cette blanche marée. La crête, que je me rappelais étroite, me semble alors anormalement large: de toute évidence, des corniches en formation, sans aucune consistance, surplombent la face sud-est, elle-même très raide et coupée de parois rocheuses. Quant à distinguer le sol ferme des corniches, il n' y faut pas songer: aussi la décision de battre en retraite s' impose.

La descente n' est guère commode: rien ne subsiste de nos traces de montée, et seuls les blocs de rocher que nous croyons reconnaître nous fournissent quelques repères fort douteux. Même parvenus à la lisière des cèdres, il faut l' apparition de la banquette, encore visible, d' un chemin, pour nous permettre de fixer notre position.

A Tala Rana, l' inquiétude n' est sans doute pas tout à fait étrangère à l' accueil particulièrement chaleureux de nos hôtes. Nous y savourons longuement la tiédeur et le confort dans l' attente, toujours déçue, d' une éclaircie. Puis il faut rejoindre la voiture à M' Zarir.

Sans trop de peine, nous la mettons en marche à la descente. Au moment de prendre congé du gardien kabyle, Allah, sans doute, m' inspire de lui emprunter deux pelles. Tout va bien d' abord, tant que la route contourne un promontoire; mais dès qu' elle s' enfonce dans une combe, cela se gâte et nous sommes bientôt bloqués par la neige lourde refoulée jusqu' à hauteur du capot. Nous avons beau faire marche arrière pour foncer, rien n' y fait: nous ne gagnons pas deux mètres à chaque charge. II ne nous reste qu' à ouvrir la route à la pelle. Dès que nous avons déblayé une trentaine de mètres, nous montons sur le pare-choc arrière pour augmenter l' adhérence, et la vaillante petite Chrysler charge de nouveau, comme un taureau. Ce jeu durera près de six heures. Tandis qu' au fond d' une combe, suant et soufflant, nous pelions avec rage, la lune nous nargue pendant les quelques instants d' une éclaircie fugace, baignant de sa froide clarté un splendide paysage de rêve, ouaté de neige fraîche. Enfin, à mi-route, nous pouvons de nouveau rouler normalement... pas longtemps! Subitement, les phares s' éteignent, le moteur se tait: les charges successives ont mouillé le delco et nous nous dépannons à la lueur vacillante d' un briquet.

Un peu après minuit, nous arrivons, affamés, à Maillot; l' hôtelier, compréhensif, nous sert une omelette succulente, à l' échelle de nos appétits. Puis nous nous étendons tout habillés: diane à 3 heures et demie, et retour précipité, sous une pluie battante, aiguillonnés que nous sommes par la crainte que la route ne soit coupée. Ce n' est qu' en roulant dans les faubourgs d' Alger, à l' heure de l' ouverture des bureaux, que nous sommes vraiment rassurés.

Derrière nous, trains et autocars n' arrivèrent qu' avec des retards variant entre dix et trente heures, tandis qu' une vingtaine de voitures à Michelet et une trentaine à Chréa restaient prises dans les neiges pour trois ou quatre semaines.

Les trajets en automobile, à travers des contrées bien différenciées, aux villages rares et très espacés, tiraient leur charme de leur longueur même.

Suivant que l' automne avait été plus ou moins sec, la terre se montrait nue, ocre, rouge-brique, brune ou noire, ou verdoyait de jeunes céréales. A part les eucalyptus monumentaux et décoratifs qui bordent de rares tronçons de route, les autres arbres, chênes-lièges ou oliviers, sont de petite taille, et leur feuillage tire sur le gris. Quant à la brousse envahissante, elle rappelle assez exactement le pelage d' un chameau, à la mue de printemps.

Parfois une tribu de misérables « ouled caillasse » prépare du ballast, les hommes cassant la pierre, et les moukères, aux visages ravagés, partageant avec les bourricots la tâche de la transporter et de la répartir.

Postés en bordure de la route, des indigènes offrent au touriste tout ce qu' ils pensent devoir lui plaire: fleurs, oranges, asperges sauvages, œufs, poulets, voire des perdrix. Le marchandage est de règle et se fait en sabir, pittoresque mélange d' argot et de mots arabes; le prix payé reste toujours très modique.

Et puis, quand, mal réveillé, on se mettait au volant pour ces longs parcours de routes souvent difficiles, stimulé par l' ambition de réaliser une moyenne élevée, on éprouvait un plaisir assez particulier, que d' aucuns pourront condamner, mais auquel je n' ai jamais su rester insensible.

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