Tant qu'il y aura des rêves…
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Tant qu'il y aura des rêves…

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Peter Donatsch, Mastrils GR

« Sinon, tu poursuis tes rêves toute ta vie et tu n' arrives jamais à les réaliser. » Markus Zgraggen, lors de sa traversée des Alpes.

Le départ: Markus Zgraggen, Roger Knecht et Stefan Rothenfluh devant le Piz Palü, premier but de leur entreprise ambitieuse.

Un projet de vol inhabituel Les exploits réalisés par les pilotes de parapente sont toujours plus extraordinaires: l' Allemand Uli Wiesmeier, parti de Fiesch, s' est posé à Coire; son compatriote Dominik Müller a réussi un vol d' Oberstorf jusqu' au Tyrol du Sud, alors qu' en automne de la même année, le Suisse Bruno Imhof a traversé les Alpes de Fiesch à Meiringen.

Mais Stefan Rothenfluh, Markus Zgraggen et Roger Knecht ont un autre but en tête au moment où ils quittent leur tente, ce matin du 21 juillet 1991, dans la région de la Diavolezza, pour monter vers le Piz Palü par les séracs de Cambrena. Ils n' ont pas des parapentes très performants, qui seraient lourds à porter et ralentiraient leur marche, et le harnais auquel ils se sont encordés sert aussi bien à l' alpinisme qu' au vol.

Les trois jeunes gens font déjà figure de « fossiles » dans le milieu du parapente. Six ans après que la vague de ce sport a déferlé sur la Suisse, à une époque où plus aucun pilote ne monte une montagne à pied parce qu' on peut le faire en volant, ils vont escalader 21 sommets en trois semaines et réussir 19 vols. Stefan, Markus et Roger me pardonneront ce mot de « fossiles », qui n' a pas un sens péjoratif, au contraire. Il émane d' un admirateur qui est lui-même pilote de parapente mais à qui le temps - et peut-être le courage - ont manqué jusqu' ici pour faire passer ses idées dans la réalité. Comme Markus l' a dit pour justifier son entreprise: « Sinon, tu poursuis tes rêves toute ta vie et tu n' arrives jamais à les réaliser. » Des sentiments contradictoires « Vous en avez de la chance! » lance un alpiniste aux trois pilotes en train de déplier leur aile au sommet principal du Piz Palü. Pourtant, une telle entreprise ne peut se résumer par ces simples mots. Juste avant le départ, les pilotes doivent à chaque fois se débattre avec deux sentiments contradictoires: « Comme ce serait simple et commode de redescendre dans la vallée par la trace bien marquée dans la neige ramollie, sans courir de risque », fait la première voix, tandis que l' autre laisse miroiter la perspective d' un vol presque irréel parmi les lambeaux de nuages qui passent devant le Piz Palü...

Mais au moment de prendre la décision de voler, au sommet d' un quatre-mille, on ne peut pas se laisser diriger par des sentiments. L' affaire est sérieuse: altitude élevée, endroit exposé, vent souvent violent; autant de motifs d' angoisse pour le pilote. Dans des moments pareils, la seule chose qui compte est une expérience solide, acquise au cours de très nombreux vols, liée à la prudence, au savoir-faire technique et à une tactique Photos. Peter Donatsch éprouvée. On ne peut pas se bercer de l' es que tout va bien se passer. Il en va de même en ce matin de juillet au Piz Palü. Les trois pilotes n' ont ni le temps, ni l' envie de faire une longue pause. Certes, la couverture nuageuse sur les vallées et les montagnes de faible altitude, au sud, semble immobile et inoffensive; mais ici, au sommet, le vent du nord-ouest souffle toujours plus fort. On ne peut pas étaler sa voile dans les règles de l' art et à peine le pilote est-il attaché que la toile de nylon s' enroule en un paquet informe. Le pouls s' accélère, la tension intérieure augmente. Nom d' une pipe, le temps presse! Markus est prêt. Il tire les suspentes et la voile de nylon jaune vif éclate dans le bleu du ciel. Mais elle ne se gonfle pas comme elle devrait, elle est de travers, le côté gauche presque au sol, le droit flottant telle une voile qui faseye. Le pilote a déjà couru un bon bout, il est près de la paroi nord et de son abîme. Il lui serait difficile de s' arrêter sur le névé durci. Alors le parapente se met enfin en position dans le vent latéral, les caissons s' emplissent d' air, la toile retrouve sa forme d' aile, soulève sa précieuse charge humaine... et le rêve se transforme en réalité. Qu' y a-t-il de plus beau dans la vie?

Vol depuis le Mont Blanc: le temps est suspendu et la liberté semble illimitée La brume matinale dans les vallées du Sud des Alpes forme un tableau enchanteur, tandis que sommets et alpinistes émergent au-dessus des nuages.

Une traversée des Alpes suisses Un reporter de la télévision suisse, qui réalisait une interview des trois pilotes, leur a demandé si leur projet avait un rapport avec les 700 ans de la Confédération. Cette question les a plongés dans l' embarras. Est-ce que les alpinistes escaladent les montagnes pour un pays ou pour une cause donnée?... Leur réponse a donc été diplomatique: « Nous n' avons pas eu le temps de réfléchir à cette question. » Quiconque a vécu une aventure semblable le comprendra sans peine.

Nous retrouvons les trois amis dans la montée au Finsteraarhorn. Leurs mouvements s' enchaînent mieux maintenant, car de nombreux vols réussis leur ont donné un nouvel élan: le Piz Languard, le Piz Kesch, le Piz Mitgel, le Piz Curvér, le Rheinwaldhorn, le Piz Medel, le Pazolastock et surtout le Finsteraar Rothorn, dont le sommet est si hostile au parapente. Il ne leur a pas été trop difficile d' assumer leur échec au Galenstock où un temps hivernal, avec chute de neige et froid glacial, a facilité leur décision d' aban.

Déjà, ils ont atteint la croix plantée au point culminant des Alpes bernoises et sont quasiment à la mi-temps de leur périple. Ils ont derrière eux la traversée des Alpes grisonnes et uranaises. Devant eux se dresse encore l' Aletschhorn avec ses 4195 mètres, dernière étape avant leur but suprême, le Mont Blanc.

Encore une fois, c' est le stress, la crampe à l' estomac: vont-ils échouer à cause de ce dernier vol? A l' écoute de leur message radio, la perplexité des trois amis est presque tangible. Leur déception aussi. « Le vent est vraiment trop fort, on n' ose pas décoller ». On entend des craquements dans le haut-parleur, puis c' est le silence. L' équipe d' as à Courmayeur n' a rien d' autre à faire qu' à attendre impatiemment, en espérant recevoir des nouvelles plus réjouissantes. C' est dur aussi, on aimerait être soi-même au sommet, donner des conseils, aider, faire quelque chose. « Ils ne vont quand même pas faire une idiotie à la dernière étape », dit quelqu'un. Espérons que non! C' est dans une telle situation qu' on re- Départ du Hugisattel, un bon terrain pour décoller, malgré son décor alpin connaît les vrais « pros »: ils ne font pas que suivre aveuglément leur idée durant trois semaines en comptant sur la chance, mais ils observent les conditions aérologiques et météorologiques avec lucidité et attention, enregistrent les caractéristiques du terrain de décollage, puis retravaillent toutes les données et les informations nécessaires. En anglais, il existe un mot qui décrit très bien la qualité que l' homme devrait avoir dans des situations pareilles, lorsque ses nerfs menacent de lâcher et la peur de le submerger: c' est le mot « cool ».

Le Mont Blanc a 4807 mètres, donc cela ne changera pas grand-chose si les trois pilotes descendent de deux cents mètres, très cools, et dans de bonnes conditions aérologiques pour ce vol qui sera provisoirement le dernier.

Le reste n' est que souvenir. Je ne vois pas de meilleure conclusion que cette phrase parue dans le magazine Gleitschirm: « Si vous voulez connaître les sentiments qu' éprou les trois pilotes à ce moment-là, fixez-vous un but, à vous-même et à votre aile; al-lez-y, et alors vous goûterez à toutes les joies qui sont bannies de nos routes encombrées. » Traduit de l' allemand par Annelise Rigo

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