Trois explorations dans les Andes de Patagonie
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Trois explorations dans les Andes de Patagonie

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Par Serge Herzen

Première ascension du Cerro Lopez ( Torre Norte ), du Cerro Grande et du Cerro Escondido Avec 2 illustrations ( 76, 77 ) ( Section de Jaman ) L' idée des Andes évoque automatiquement celle de très hautes montagnes, de sommets atteignant 5000, 6000 et même 7000 mètres. Mon récit d' aujourd, cantonné près des dernières vertèbres de cette formidable épine dorsale américaine, n' entraînera le lecteur qu' à de très modestes altitudes, 2000 à 2500 mètres.

L' alpiniste qui habite Buenos-Ayres se trouve fort emprunté lorsqu' il s' agit de pratiquer son sport favori. Autour de lui, dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres, c' est la plaine immense et impitoyable, la pampa, sans un rocher, sans un accident de terrain. La vraie montagne, la Cordillère des Andes, se trouve à 1200 kilomètres, et pour trouver des paysages riants semblables à ceux de Suisse il faut aller jusqu' aux Andes de Patagonie, à 1800 kilomètres de la capitale: 45 heures de traini Après deux saisons consacrées aux ascensions classiques de la région de Bariloche, le Lopez, le Catedral et le magnifique Tronador aux trois pointes luisantes de glace, je trouvai un beau jour Alex Hemmi, le géant blond, un guide suisse récemment installé là-bas, qui m' attendait avec un sourire de bon augure. Il avait en tête un plan d' attaque à la Torre Norte du Cerro Lopez, encore inviolée, et il insistait pour m' associer à l' entreprise qui devait, à son avis, réserver aux varappeurs des joies sans mélange.

Cerro Lopez, Torre Node Le soir du 12 février 1943, assis devant le refuge Lopez blotti contre la montagne en face du majestueux Lac Nahuel Huapi, nous regardons attentivement la paroi de la tour. Quelques années auparavant, en 1939, J. Frédéric Fino et son guide, Otto Meiling, tentèrent l' escalade de cette paroi, mais ils finirent par la contourner à sa base pour continuer l' ascension dans la face nord, au-dessus de la Colonie suisse du Nahuel Huapi. Tout là-haut, posé sur l' arête qui sépare ces deux faces, un petit gendarme de pierre attire notre attention. C' est à une centaine de mètres de là que se termina la tentative de 1939; c' est là aussi que devrait aboutir l' escalade directe de la paroi qui nous fait face. La muraille est rayée du haut en bas par deux longues cheminées verticales aboutissant l' une à gauche et l' autre à droite du gendarme.

Pour ma part, j' ai toujours eu un faible pour les cheminées, qui me paraissent un moyen confortable et relativement sûr de gagner de la hauteur. Mais je m' incline devant l' audace des « paroissiers » ou grimpeurs de parois, qui s' élancent en plein ciel dans des entreprises où chaque mètre peut leur réserver des surprises. Dans notre discussion, Alex s' avère un « paroissier » invétéré; il reste froid à ma proposition d' emprunter la cheminée de gauche — celle qui conduit le plus haut — et insiste en faveur d' un itinéraire direct Die Alpen - 1948 - Les Alpes22 entre les deux entailles. Nous adoptons ce plan en principe, quitte à obliquer vers l' une ou l' autre cheminée au cas où quelque obstacle imprévu nous barrerait la route. Une fois le gendarme atteint, il faudra naturellement suivre l' arête, d' abord assez inclinée, puis horizontale, et terminer l' ascension par l' assaut de la tour proprement dite.

Le lendemain, à 7 heures et demie du matin, nous quittons le refuge en espadrilles et commençons par traverser laborieusement les épais taillis qui nous séparent de la paroi. Par une vire étroite encombrée de végétation nous arrivons enfin au pied de celle-ci, exactement au-dessous du gendarme repéré hier soir, qui nous domine à présent d' environ trois cents mètres.

Nous nous encordons; Alex m' adresse un sourire hirsute et confiant et se met à grimper comme un chat. La muraille est déjà raide, mais il s' élève rapidement car les prises sont bonnes et suffisamment nombreuses. Je le suis prudemment, sac au dos, et nous parcourons ainsi deux longueurs de corde. Plus haut les pitons deviennent nécessaires, car la roche est très friable, et comme par hasard la stratification s' obstine à nous être défavorable. Alex assène de vigoureux coups de marteau sur ses pauvres victimes métalliques qui n' en mènent pas large et traduisent leurs souffrances par une série de sons de plus en plus aigus; ensuite j' entends le « clac » familier du mousqueton, et la corde s' élève allègrement. A mon passage je collectionne les mousquetons et j' essaie de récupérer les pitons, mais bien souvent ceux-ci se refusent à sortir de leur alvéole et je suis obligé de les abandonner, tout tordus et meurtris.

Nous voici à quelque deux cents mètres au-dessus du point de départ, et nous n' avons trouvé aucun endroit propice au repos. Bien au contraire, les choses s' enveniment à un tel point qu' après s' être élevé d' une nouvelle longueur de corde Alex se voit obligé de planter un piton supplémentaire pour se maintenir en équilibre et pour qu' à mon tour je puisse attendre et l' assurer tandis qu' il attaque le morceau suivant.

L' extrême pointe d' un pied posée sur un caillou branlant, et serrant fortement d' une main un piton qu' Alex n' a pu enfoncer que d' un ou deux centimètres, j' attends mélancoliquement que la corde soit tendue pour pouvoir enfin continuer. Mais cette fois la lutte est sérieuse: durant de longues minutes j' ai vu les espadrilles d' Alex se balancer au-dessus de ma tête, et avant qu' elles aient disparu j' ai entendu par trois fois le chant du piton qui s' enfonce. Un cri soudain: « Attention! »; une pierre de dimensions redoutables vient de se détacher sous les pieds de mon compagnon et tombe droit sur moi. Dans l' impossibilité de l' éviter, car je ne peux pas me coller davantage à la muraille, tout ce qu' il m' est permis de faire est de me protéger le crâne avec l' avant, sans oublier de serrer fortement la corde en prévision d' une chute possible d' Alex. Par une chance inouïe, le bloc détaché heurte dans sa route un éperon de la paroi, juste au-dessus de ma tête, et éclate en mille fragments qui s' éparpillent dans toutes les directions sans me toucher. Rien ne s' est passé; mon compagnon a tenu bon et, tranquillisé par mes joyeuses exclamations de survivant, il poursuit l' escalade. La corde monte lentement, s' arrête, se remet à monter...; bientôt je vais pouvoir suivre; mais non, la voici complètement immobile, et une boucle de deux mètres pend encore au-dessous de moi. Je n' entends plus la voix d' Alex et je ne sais pas s' il est arrivé à un endroit sûr ou s' il est encore en train de lutter contre quelque obstacle particulièrement récalcitrant. Me risquer à monter dans ces conditions serait pure folie, car la moindre glissade nous entraînerait tous les deux, et de toute façon la corde flottante s' accrocherait à coup sûr quelque part et m' immobiliserait dans une situation critique. Mes appels et mes questions restent sans réponse. Il ne me reste qu' à attendre encore un moment. Pour éviter les crampes, j' effectue de petits mouvements prudents et modérés très modérés, car j' ai la conviction que ni la pierre qui soutient le bout de mon pied, ni le piton que je tiens en main ne pourraient séparément supporter mon poids. Un quart d' heure s' écoule, et la corde reste immobile. Je me dis alors que si cette corde zigzague entre quatre mousquetons successifs, elle doit s' être coincée quelque part, et mon compagnon croit que je suis assuré. Il faut donc la dégager. Avec d' infinies précautions je monte d' un pas et, m' allongeant à l' extrême, je fais sauter le premier mousqueton; la corde s' élève de quelques centimètres, c' est la preuve qu' Alex est en train de tirer là-haut. En la secouant patiemment et en lançant en l' air des boucles qui se déplacent comme des serpents, j' arrive enfin à ce qu' elle se tende, ce qui me permet de quitter mon pigeonnier avec un soupir de soulagement. Alex, juché sur une pile d' assiettes, m' accueille avec un sourire énigmatique. ( Plus tard, au refuge, il m' avouera qu' il avait passé là-haut un des pires moments de sa carrière: convaincu que la corde était tendue et que c' était moi qui étais incapable de surmonter la difficulté du passage, il s' était demandé comment nous allions nous tirer d' affaire, suspendus comme nous l' étions entre ciel et terre... ) D' où nous sommes, nous pouvons voir l' intérieur de la cheminée de droite, dont la partie supérieure semble impraticable. La cheminée de gauche n' a pas l' air très accueillante non plus, de telle sorte qu' il nous faut continuer droit vers le haut. Il fait une chaleur étouffante et nous sommes heureux de rencontrer une petite caverne qui, à défaut de commodité — car le plancher « déménage » et penche vers l' extérieur — nous offre au moins un peu d' ombre.

Alex est maintenant aux prises avec les dernières difficultés. Nous nous trouvons à quarante ou cinquante mètres sous le sommet du gendarme, mais la muraille devient surplombante et nous ne pouvons plus continuer en ligne droite. Il vaut mieux traverser vers la gauche une série de plaques lisses qui nous conduiront à une dépression de l' arête. Le passage est très délicat: quarante mètres presque sans prises et sans aucun point d' appui pour la corde. Mais nous arrivons au bout de nos premières peines: nous voici au pied même du gendarme sur lequel nous nous hissons joyeusement pour jouir d' un repos bien mérité. Nous trouvons là-haut une carte de visite qui nous rappelle l' ascension de Fino et Meiling, arrivés ici par l' autre face, celle qui regarde le Nahuel Huapi.

Quelques minutes d' escalade amusante nous amènent au début de la partie horizontale de l' arête; c' est le point extrême atteint par la caravane de 1939. Nous continuons avec précaution vers la Torre Norte, qui se dresse à présent devant nous. Les difficultés ne sont pas bien grandes, mais il faut faire très attention car l' arête est tranchante comme une lame de rasoir, la roche est friable, et deux précipices de plusieurs centaines de mètres nous attendent. Nous sommes parfois tentés de courir en équilibre comme des danseurs de corde, mais la crainte des rafales de vent nous y fait renoncer.

Nous voici à présent au pied de la grande tour. Il nous reste à escalader ce beau bloc de trente à quarante mètres de hauteur, fait de deux étages aux parois surplombantes. Une fissure nous conduit au bord de la plateforme qui domine le premier étage. Le passage le plus difficile se trouve au-dessus de cette plateforme: une cheminée courte mais ouverte comme un livre, lisse et légèrement surplombante. Alex essaie de planter un piton qui refuse d' entrer de plus de quelques millimètres, juste de quoi ne pas tomber par son propre poids! Mon compagnon râle, jure, s' étouffe et soudain laisse échapper une exclamation: « Je suis sauvé! »; il vient de découvrir une prise providentielle qui lui permet de surmonter l' obstacle.

Quelques instants plus tard nous nous trouvons réunis au sommet. Il est 2 heures de l' après; nous sommes assez contents de notre grimpée, mais une soif terrible nous brûle la gorge, car il y a longtemps que notre provision de thé est épuisée, et l' atmosphère est très lourde; c' est l' inconvénient des ascensions à basse altitude.

Pour compléter l' exploration nous décidons de descendre du côté opposé à celui de la montée, c'est-à-dire par la face ouest. Les quinze premiers mètres sous le sommet, quoique très inclinés, peuvent être descendus sans moyens artificiels, mais plus bas la paroi est lisse et verticale. Nous plantons un dernier piton et je me glisse le long de la corde de caravane transformée en corde de rappel, mais celle-ci est trop courte et se termine en pleine muraille. Par bonheur je découvre une protubérance qui servira de relais, et la cordelette nous viendra fort à point pour terminer la descente.

Par un couloir facile et ensuite par les plaques, les pierriers et les taillis, nous regagnons au trot le refuge, où la fatigue ne tarde pas à se volatiliser sous l' effet conjugué de la bière fraîche, d' un copieux repas et de la conversation des joyeux touristes qui ont suivi à la jumelle notre escalade et nous considèrent à présent comme des échappés du purgatoire.a suivre )

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