Une heureuse vieillesse
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Une heureuse vieillesse

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f Violette Voelke, Leysin

Depuis dix ans que mon mari a pris sa retraite à Feydey-sur-Leysin, notre plus vif plaisir c' est de faire des randonnées à pied.

Vous me direz: « Comment, vous qui avez sous les yeux du matin au soir cette couronne de montagnes: les Dents du Midi s' élevant fièrement entre le Glacier du Trient et la Pointe de Bellevue comme pour protéger la petite ville de Monthey blottie à leurs pieds; puis la chaîne des Dents de Morcles avec la Dent Favre, le Petit et le Grand Muveran; en face de vous le Chamossaire qui fait le gros dos sous le ciel bleu; puis encore le Sex Rouge, l' Oldenhorn et le Wildhorn; tout au fond la Gummfluh entre le Pic Chaussy et le Mont d' Or... ce panorama incomparable ne vous suffit-il pas, qu' avez encore besoin à votre âge de vous éreinter à courir à droite et à gauche? » Certes, contempler une vue grandiose de son balcon, c' est déjà beaucoup à notre époque et les malades qui sont à Leysin apprécient hautement ce bienfait, mais aller dans une direction ou dans l' autre, marcher à l' air vif qui fouette le sang et gonfle les poumons, remplir ses yeux et son cœur de la beauté environnante en écoutant les mille bruits de la nature, s' arrêter quand on veut pour regarder une fleur ou un insecte, s' asseoir sur un tronc d' arbre ou un vieux mur pour pique-niquer, n' est pas le plus grand des privilèges? D' ailleurs, cette montagne que vous avez tous les jours sous vos yeux, vous ne la reconnaîtrez plus dès que vous l' aurez contournée, un monde inconnu s' ouvrira devant vous, et vous marcherez de surprise en surprise.

Eh bien! donc, le mercredi après-midi et le samedi, pour peu que le temps le permette, nous partons, tantôt à l' aventure, tantôt vers un but longuement étudié.

Peu de préparatifs. Nous ne voulons pas porter notre maison sur le dos comme les escargots, et le sac de montagne n' est jamais bien lourd: des fruits secs et une beurrée; un cervelas, une boîte de fromage, une pomme, un peu de chocolat et un thermos de thé si la course doit durer toute la journée. A la dernière minute, on y enfile peut-être encore les deux petits parapluies, car on ne perd pas son temps à compter les nuages, la nature est tout aussi belle sous le ciel gris que sous le soleil.

Où allons-nous?

Au premier printemps, il y a encore des mètres de neige devant chez nous et de gros glaçons qui pendent au toit, mais la plaine commence à verdir et nous ne tenons plus en place. Ilfaut descendre à Aigle! Savez-vous que pour cette simple descente nous disposons de quatre ou cinq itinéraires différents avec leurs variantes? Mais le plus simple, c' est de suivre un bout la voie ferrée, de dégringoler « le chemin des écoliers » et de prendre le raccourci Leysin-Village-Ponty-Fontanney-Aigle. La première partie du trajet est un peu ingrate, car la pente est raide et assez rocailleuse, mais dès qu' on a traversé le ruisseau de Ponty, c' est un enchantement. Les premières hépatiques et les primevères nous arrachent des cris de joie.Voici au milieu, des vignes Fontanney dont les maisons blanches boivent le soleil, voici Aigle-la-jolie qui s' avance toujours plus loin dans la plaine du Rhône avec, à l' arrière, son imposant château et sa vieille église. Et les crocus et les perce-neige, et la dent-de-lion prometteuse de savoureuses salades, et les forsythias et « notre magnolia » tout éclairé de ses bougies mauves!

La promenade Verchiez-Ollon est ravissante. Là-haut, perché sur la colline, Antagnes avec ses châtaigniers nous fait signe. Nous ne pouvons pas résister à cet appel et nous y grimpons entre les murs gris où les lézards se chauffent au soleil... Là-bas, sur la grand-route, stationne la longue file des voitures: quelle pitié!

Naturellement, nous remonterons à Leysin par le confortable petit train qui est si bon marché depuis que les CFF ont eu l' idée touchante de permettre aux « moins jeunes » de voyager à demi-prix. Qu' ils en soient remerciés du fond du cœur!

Mais la descente la plus farfelue, c' est celle-ci: en auto postale jusqu' au Sépey où le petit train des Diablerets nous attend et nous mène à la halte de Plambuit. De là, on remonte la forêt et l'on se trouve à Panex, posé sur la pente au milieu des prés fleuris de nivéoles ou des arbres fruitiers en fleurs qui forment un vrai bouquet de mariée. On descend par la Glaive, une colline à surprises, sillonnée de petits sentiers qui se perdent tous, les uns après les autres, ce qui fait qu' on ne sait jamais bien où l'on va arriver, peut-être dans les vignes, peut-être dans un châble peut-être sur une paroi de rochers. On se croirait dans le Midi au milieu du houx, des pins et de la bruyère.

D' Aigle il n' y a que l' embarras du choix pour « rayonner ». Aigle-Illarsaz à travers la plaine du Rhône avec ses peupliers et ses champs de mais. On monte dans le chemin de fer Saint-Maurice— Saint-Gingolph, rempli d' écoliers. On prend peut-être le bateau jusqu' à Villeneuve ou bien, du Bouveret, on traverse le Rhône et l'on va par les Grangettes ou par Noville ( oh! les savoureuses mûres dont nous nous sommes régalés cet automnele long du lac où clapotent les vagues, au milieu des roseaux, où s' agite toute une vie cachée dans un frémissement d' ailes. Que ce pays plat aux lignes unies est reposant! Quel contraste avec Leysin!

Il faudrait encore parler de Saint-Maurice-Vérossaz et du retour par la Grotte aux Fées ou les Giettes-Monthey. Cette année, nous avons découvert le magnifique sentier, balisé à la perfection, qui mène de Champex-sur-Dorénaz à Branson, en traversant le cône d' éboulement au-dessus du coude du Rhône. Un coup d' œil unique au monde s' offre au regard ébloui, d' abord sur Vernayaz—Salvan et ensuite, à mesure que l'on avance, on découvre tout le Valais, attirant et merveilleux. Mais je me borne ici à mentionner nos courses préférées dans un cercle restreint et je ne veux pas oublier le tour splendide de Plambuit—les Ecovets-Villars—le Chamossaire, retour par la Forclaz et le Sépey.

Voici la belle saison et, dès ce moment, nous ne descendons plus guère en plaine jusqu' au temps des vendanges, alors que les collines commencent à revêtir leur toison rousse et dorée.

D' abord Leysin - la Comballaz par le Fer et la Badause, à travers les prés tout roses de primevères farineuses. Plus loin, par les Mosses, Pra Cornet qui ne semble qu' un vulgaire pain de sucre et qui cache un paysage de conte de fées. La Grande Crevasse et Prafandaz parfumés de muguets, la Palette d' Isenau rutilante de rhododendrons, la Pierre du Moëllé et le Mont d' Or, Solacyre et la Riondaz.

Enfin la dernière neige a fondu sur les sommets et voici le joyau de la région, le Massif de la Tour d' Ai qui est notre royaume avec ses petits lacs si changeants selon l' heure du jour ou le temps qu' il fait, parfois noirs et mystérieux, parfois éclatants de lumière et grouillants de vie. Sur ces hauteurs la flore est d' une richesse inouïe: bois-gentil, anémones, gentianes de toutes sortes, orchis vanillés, fougères et chardons. Il y a quelques années, il n' était pas rare d' y rencontrer une famille de chamois, des marmottes, des martres, mais ils sont devenus rares depuis que leur domaine est violé par les nombreux touristes. Seuls les « chocards » à la voie éraillée y régnent en maîtres.

Gravirons-nous la Tour d' Ai si pittoresque, préférerons-nous celle de Mayen avec la cabane du berger et les moutons qui accourent à l' heure du sel, la mignonne Famelon qui se donne des airs de grand sommet et, surtout, oh! surtout ferons-nous la traversée de Truex après avoir côtoyé le lac Segray? Des pierres et des pierres, partout des pierres qui forment à un certain moment une véritable avenue, dans les fentes de laquelle une végétation têtue s' obstine à se frayer un chemin! Je ne trouve pas de mots pour décrire l' ampleur du paysage qui s' étend à nos pieds, depuis le Jura qu' aux Alpes, du Léman jusqu' au Plateau. Y a-t-il un pays plus beau que le nôtre, et ne faudrait-il pas en remercier le Créateur à deux genoux?

Et partout ces villages qui sont de vrais villages de chez nous, ces petits restaurants de montagne qui ne cherchent pas à singer les grands hôtels, où l'on rencontre des gens tout simples qui savourent leur fendant ou sirotent leur jus de raisin sans grandes phrases.

Et qui dira le charme de ces sentiers accrochés à la pente, qui s' amusent à faire un tas de détours pour faire durer le plaisir, comme pour dire: « N' allez pas si vite, barbares que vous êtes! Ne sentez-vous pas le parfum des framboises, l' arôme des champignons, ne voyez-vous pas les myrtilles et les airelles dont les petites joues rebondies luisent à travers les feuilles? » Certes, malgré le magnifique effort du Tourisme pédestre auquel je dédie ici une pensée de vive reconnaissance, les sentiers disparaissent sous la végétation, faute d' entretien. On élargit partout les chemins pour en ouvrir l' accès aux voitures. Pauvres piétons méprisés que nous sommes, chassés des grandes routes par la folle circulation, poursuivis et pourchassés, cernés de toutes parts, bientôt nous ne saurons plus où aller et notre espèce va disparaître...

Mais ne craignez rien: le piéton a la vie dure.

Une nouvelle génération se lève: pendant les vacances, l' un ou l' autre de nos enfants vient à Leysin avec sa famille. Tous adorent la marche. Je reste à la maison avec les plus jeunes, et c' est le grand-père qui a la joie ineffable d' initier ses petits-enfants à la beauté éternelle de la montagne.

Leysin, le 24 novembre 1969.

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