Une visite au Sikkim
Unterstütze den SAC Jetzt spenden

Une visite au Sikkim

Hinweis: Dieser Artikel ist nur in einer Sprache verfügbar. In der Vergangenheit wurden die Jahresbücher nicht übersetzt.

Par T.H. Braham

Avec 2 illustrations ( 101, 102 ) Calcutta En alpinisme, plus encore que dans tout autre sport, l' appétit vient en mangeant, et cela est surtout vrai dans l' Himalaya. Le principal résultat de mes deux premiers voyages dans le Sikkim avait été de me faire soupçonner des sites plus grandioses à explorer, des beautés plus magnifiques à découvrir, et c' est ainsi qu' en octobre 1946 je partais pour ma troisième visite à cette région.

Les plans avaient été établis plusieurs semaines à l' avance d' entente avec J.H. Reming et W.M. Phillips, mes compagnons pour cette randonnée. Nous avions dressé des listes de matériel d' équipement et de provisions, rempli des caisses calculées à 25 kg., donc faciles à manier par les porteurs; les autorisations nécessaires avaient été demandées aux autorités de l' Etat du Sikkim, et nous avions amorcé des pourparlers avec les « sherpas » à Darjeeling. Enfin et surtout nous avions passé de longues heures à étudier la carte de la région 1.

Toutefois, dans l' Himalaya, il est sage de ne pas s' en tenir à des projets trop précis. Les programmes dressés des semaines à l' avance sont rarement exécutés dans leur détail, et le voyageur est souvent obligé de se laisser guider par les circonstances et les conditions de la route. Un fait certain, c' est qu' il ne pourra consacrer que très peu de temps à l' escalade des sommités 2, mais ceci ne l' empêchera nullement de jouir de son expédition. L' Himalaya, heureusement, est encore en grande partie inexploré, et même dans le district relativement bien connu du Sikkim, il reste encore tant à découvrir que les modifications imprévues du programme peuvent ajouter beaucoup et utilement à nos connaissances de la région.

En 1946, encouragés par le bref récit de H.W. Tilman, nous espérions gravir le Chumakhang 3, 6212 m. Nous voulions en outre reconnaître un itinéraire possible au Chombu, 6347 m ., où C.R. Cooke et D.H. McPherson avaient fait en 1944 une première tentative 4, ce que nous ignorions à ce moment. Toutefois les choses tournèrent de telle façon que ces plans durent être abandonnés en faveur d' autres buts tout aussi intéressants.

Nous eûmes la chance de nous assurer les services de Sirdar Pasang Dawa, qui m' avait accompagné au Sikkim en 1945. Ce sherpa a d' excellents certificats, je pouvais donc me fier à lui pour le choix des porteurs et des coolies. Il engagea trois autres sherpas et 13 coolies; ces derniers furent licenciés 1 Survey of India, feuilles 78 A/NE et 770/SE.

2 Ceci est confirmé par une remarque de Tilman: « Si vous tenez à faire beaucoup d' escalade, l' Himalaya est le dernier endroit où il faut aller. » Alpine Journal 280, p. 305.

3 Au retour de l' expédition 1938 à l' Everest, Tilman rentra aux Indes par le Naku La. Il fit à cette occasion la première ascension du Chumakhang, qu' il appelle Lachsi, et franchit le Zemu Gap, au pied du Kanchenjunga. Himalayan Journal, XI, 147.

4 Himalayan Journal, XIII, 102.

après avoir transporté toutes nos charges à Thangu, 3835 m ., dont nous voulions faire notre camp de base.

Le 8 octobre nous sommes à Gangtok où nous rencontrons nos coolies, et le lendemain matin nous prenons le chemin de Thangu. Trajet sans histoire, sauf une brève traversée rocheuse en amont de Chuntgang où s' était produit en 1945 un formidable glissement de terrain. Le 13, nous arrivons au bungalow de Thangu. Le jour suivant est jour de repos; nous en profitons pour trier nos provisions et notre matériel. Les coolies ayant reçu leur salaire prennent le chemin du retour et nous restons seuls avec Pasang et les trois autres sherpas.

Jusqu' ici le temps a été très nuageux et pluvieux; la neige est descendue aux environs de 4300 m ., spectacle inusité en octobre. Le 15, le temps s' étant amélioré, nous partons après le déjeûner dans la direction d' un sommet au nord du Thangu, pour étudier la configuration du Chumakhang et choisir le meilleur itinéraire pour l' ascension du lendemain. En deux heures nous gravissons les 1000 mètres de dénivellation et, arrivés au sommet, nous avons la chance d' avoir la vue dégagée dans toutes les directions. Vu de près, le Chumakhang a l' air fort attrayant, mais nous constatons immédiatement que son versant sud est inabordable et que, pour faire l' ascension, il nous faudrait d' abord remonter la vallée latérale du Tasha Phu et tourner la montagne pour l' attaquer par le nord ou par son arête nord-ouest. Toutefois, au sud du sommet principal, et dominant le glacier de Chumakhang, se dressent deux satellites. Celui de l' est, 6055 m ., est le plus attrayant. Non seulement il est encore vierge, mais son versant sud paraît facilement accessible directement de la vallée principale. Nous décidons en conséquence d' y faire une tentative.

Le lendemain, toute la caravane, chargée de vivres pour cinq jours, quitte Thangu par un temps magnifique. Parvenus à 1 1/2 km. environ du front du glacier, nous bifurquons à gauche, et tôt dans l' après nous établissons notre camp parmi les moraines du glacier de Chumakhang, à 4800 m. environ. En montant, nous avons pu observer que l' arête est nous offrirait la meilleure voie d' ascension.

Le jour suivant s' annonça très beau. Mais avant même que le soleil levant eût teinté de rose le Kangchenjunga, nous vîmes des cirrus de mauvais augure se former autour de sa cime. Ce jour-là le temps se maintint au beau, bien que les nuées n' aient pas cessé de s' épaissir de plus en plus menaçantes, et ce n' est que le lendemain que nous pûmes constater que leur avertissement n' avait pas été vain. A 8 heures, nous levons le camp et, suivant la moraine, nous arrivons juste avant midi dans un golfe glaciaire bien abrité, à 5400 m ., exactement au pied des pentes de neige conduisant à notre cime. Comme il n' y a que 600 m. d' ici au sommet, nous décidons d' y dresser notre dernier camp et d' essayer d' atteindre le point culminant le lendemain. Au début de l' après, trois d' entre nous, accompagnés de Pasang, allons marquer la trace pour l' ascension du lendemain. Des pentes de neige faciles nous amènent, 400 m. plus haut, à une pente de glace très raide, recouverte de neige qu' il faut déblayer avant de pouvoir tailler des marches. Travail exténuant. Cette nappe de glace mesure environ 100 m.; au delà, l' arête sommitale, bien qu' ourlie de corniches, ne semble pas offrir de difficultés. Nous redescendons après avoir taillé la pente jusqu' à mi-hauteur, et en moins d' une demi-heure nous sommes de retour à nos tentes.

Juste avant le coucher du soleil, le ciel à l' horizon se colora d' une teinte jaune-vert qui ne présageait rien de bon, et au crépuscule de lourdes nuées déferlèrent sur nous. L' orage éclate bientôt; le bruit du vent et de la neige frappant les tentes nous tient éveillés toute la nuit. Je pense aux marches que nous avons eu tant de peine à tailler, et qui seront complètement effacées. Au matin, en effet, il y a 15 cm. de neige fraîche, et cela n' a pas l' air de vouloir cesser; la visiblité est réduite à une centaine de mètres. Sagement, comme il s' avéra par la suite, nous décidons de nous replier sur Thangu. Nous y passerons trois jours emprisonnés dans le bungalow, tandis que la neige s' amasse au dehors.

Le 22 octobre, sans beaucoup d' entrain, nous partons pour la cabane de l' Himalayan Club, située à 4500 m. tout en haut de la vallée du Ya-Chu. C' est une pénible corvée d' ouvrir la trace dans la neige profonde, et il ne nous faudra pas moins de dix heures pour atteindre le refuge. En 1945, par bonnes conditions, ç' avait été une agréable promenade de cinq heures. Bien que le ciel soit suffisamment rasséréné pour nous procurer une vue excellente sur le Chombu, il ne faut pas songer, avec une telle masse de neige, d' y faire une tentative sérieuse; ce serait perdre son temps. La preuve nous en est abondamment fournie le lendemain, au cours de l' ascension d' un modeste sommet situé au nord de la crête du Sebu La, où nous pataugeons jusqu' aux cuisses.

Aussi décidons-nous de remonter plus au nord, espérant trouver de meilleures conditions près de la frontière tibétaine. Nous quittons le refuge le 25 octobre en direction du nord, tournant les bases sud et ouest du Kangchenjunga, qui présente de ce côté des parois impressionnantes et probablement inaccessibles. Le soir, nous arrivons à Donkung, sur la piste du Kongra La, où nous trouvons un abri assez confortable dans la hutte d' un berger de yaks. Nous espérons encore vivement réussir quelque ascension, car si les conditions de neige sont défavorables, nous avons maintenant une série de beaux jours. Nous décidons de faire une tentative au pic nord du Chomo-yomo, 6200 m ., cette cime étant la plus rapprochée pour le temps limité qui nous reste.

Quittant Donkung le lendemain matin, nous suivons au nord la piste du Kongra La pendant 4 km ., puis tournons à l' ouest vers le glacier de Chomo-yomo. Le paysage est ici tout à fait tibétain, avec de vastes plateaux bordés de collines basses aux lignes arrondies. Vers midi, nous sommes à proximité du front du glacier, dominés immédiatement au sud par le pic principal du Chomoyomo, 6833 m ., avec le pic nord tout à fait à portée. En fait, il nous paraît si près, et la voie d' ascension si simple et si évidente, que nous estimons — à tort — malgré l' heure tardive, pouvoir facilement en atteindre le sommet qui nous domine de 1000 m. Laissant donc trois sherpas dresser le camp dans la vallée, nous partons à 12 h. 30 avec Pasang avec l' espoir d' arriver aujourd'hui encore au sommet. Nous avançons rapidement, d' abord sur la moraine de gauche, puis par de faciles pentes d' éboulis enneigés, jusque vers 5800 m. De là par des rochers, nous gagnons l' arête faîtière 300 m. plus haut presque horizontale. Au bout d' un moment je m' aperçois que mes orteils ont perdu toute sensibilité et commence à craindre d' avoir les pieds gelés. ( Je portais des souliers de l' armée qui avaient pompé l' eau et étaient complètement trempés. ) Il est maintenant passé 4 heures, je doute que nous puissions arriver au sommet avant la nuit; aussi redescendons-nous dans la vallée où les sherpas nous ont préparé un camp confortable.

Le temps se maintenant au beau, Fleming et Phillips, accompagnés de Sarkay, firent le lendemain une dernière tentative qui les amena à 100 m. du sommet; ils n' en étaient séparés que par un plateau de névé où ils auraient dû s' ouvrir un chemin en brassant la neige jusqu' à la ceinture, par un effort exténuant. Ils redescendirent le même soir jusqu' à Donkung, et le jour suivant toute la caravane était de nouveau réunie à Thangu. Le 29 octobre nous quittions définitivement ces lieux, et par la route suivie trois semaines auparavant nous étions de retour à Gangtok le 2 novembre.

Notre expédition peut donc se résumer en une série de tentatives avortées. Mais, à moins d' une chance extraordinaire, c' est souvent le cas dans l' Himalaya lorsqu' on ne dispose que d' un nombre limité de jours. Malgré cela, nous avons tous grandement joui de notre randonnée. Grâce à la légèreté et à la mobilité de notre équipe, nous sommes restés actifs en dépit du mauvais temps qui faisait de son mieux pour bouleverser tous nos projets. Certes, nous sommes déçus de n' avoir atteint aucune sommité; mais dans une brève expédition comme la nôtre, il vaut mieux ne pas s' obstiner à braver des conditions défavorables. D' autre part, nos plans improvisés nous ont permis de visiter une région extrêmement intéressante.

( Traduit par L. S. )

Feedback