Vacances bernoises
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Vacances bernoises

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Par Ed. Pidoux Neiges à la ronde Trois jours après. Sommet du Finsteraarhorn.

Depuis une heure nous rêvons, les yeux sur ces montagnes toutes neuves pour nous, ou connues de la veille.

Là-bas rayonne le cimier blanc du Mönch, aujourd'hui sans panache! Devant nous, le Grünhorn dresse sa haute façade de pierre au fronton en ogive et nous toise en égal par-dessus la chaussée du glacier de Fiesch. Ses lignes sont si hardies qu' on a peine à le croire accessible à ski jusqu' à proximité du sommet. Rien ne laisse deviner, à son revers, l' escalier de séracs aux marches disloquées où nous avons ouvert, au lendemain du Mönch, une route pleine d' imprévu. Le matin était serein et clair. Pas même un soupir de vent en souvenir de la veille. Une neige étincelante où nous tracions les angles de notre piste avec le plaisir du géomètre imposant sa loi au désordre des choses.

Une rimaye lippue barrait l' accès du plateau sous l' arête. Elle cachait tout un système de passages — escaliers dérobés, balcons, passerelles — dont l' ingéniosité nous ravit. Trop faciles, les rochers du faîte, seuls, ne tinrent pas leurs promesses. Leurs airs glorieux, aujourd'hui retrouvés, ne nous en imposent plus... C' est dommage.

Le retour dans les séracs fut une affolante chasse à l' homme dans les ruelles d' un Montmartre de marbre où nos skis arrachaient des gerbes de poussière...

Notre regard, de là, passe plus à droite, et par les arêtes, ou par un Niagara de séracs, s' élève jusqu' au plateau supérieur du glacier de Fiesch, fleuronné de courtes pyramides. Nous y fûmes hier, partant de Concordia par la Grünhornlücke. Une journée de totale solitude, en conversation avec la neige seulement, et de fabuleux séracs, et des pentes blanches qui n' en finissaient pas.

Sur le plateau, la solitude était plus entière, s' il se peut, et plus intime. Autour de la blanche nappe, les sommets nains et bénins se soulevaient gracieusement, les uns d' une douceur plus féminine, les autres plus mâles de carrure.

Dans un col, entre les deux plus sévères, nous plantâmes nos skis et, la corde aux reins, nous courûmes en joyeux écoliers, de dalle en dalle, au sommet le plus élevé. Il était d' un rugueux granit rouge, bien sec et chaud, et l'on s' y sentait, en semelles de caoutchouc, aussi léger qu' à pieds nus sur une falaise bretonne. Le ciel était bleu comme l' océan. Sous nos pieds, les vallées glaciaires, avec leurs sinuosités et leurs plis d' ombre, semblaient un fond marin où l' œil plongeait en frissonnant.

... Si grande était notre joie que Pierre m' entraîna sur le second sommet. Il fallut ma sagesse pour renoncer au troisième Fiescherhorn.

Die Alpen - 1951 - Les Alpes10 La soirée et la nuit furent douces, dans la cabane du Finsteraarhorn chaude et habitée. Comme elle était loin déjà, notre longue faction dans la tempête!

Ce matin, trois heures nous ont suffi pour atteindre le fier sommet où nous rêvons. Moments intenses et brefs, skis à l' épaule et crampons aux pieds jusqu' à mi-chemin, puis sans bagage. Nous n' avons pas chaussé les lattes. La neige était de marbre. Mais nous avons gardé les bâtons jusqu' au Hugisattel et constaté qu' à pied ils nous aidaient au moins autant qu' à ski.

Si rapide qu' ait été notre marche, elle ne nous a pas empêchés de regarder de tous nos yeux le site grandiose où nous cheminions, sous les parois rouges, aux puissantes nervures, du Finsteraarhorn.

A la montée allégre succède une longue paresse au Hugisattel, dans un fauteuil de pierre tiède. Nos regards s' effarouchent à parcourir de haut en bas et de bas en haut la fabuleuse paroi est, une des plus hautes des Alpes... Et voici, tout au fond, les pentes molles de la Galmilücke et du Col d' Oberaar, le blanc tapis que nous avons foulé, il y a dix jours, au seuil des grands sommets bernois. Deux araignées menues — nos amis — sont en train justement d' y tendre un long fil et approchent du but. Mais partout il y a à regarder, partout des montagnes, des fleuves de glace, des cols échancrés comme du linge blanc et, au delà, des mondes qu' on imagine...

En peu de temps, nous fûmes au sommet, par des rochers trop faciles à notre gré, indignes d' une si belle montagne. La joie n' était donc que pour les yeux et les poumons, et la peau caressée de soleil.

El maintenant, il faut descendre... Mais la journée est encore dans sa jeunesse, et notre allégresse en harmonie. Revenus au Hugisattel, nous nous lançons dans la descente à folles enjambées. Prenant appui sur nos deux bâtons, nous jouons à faire des bonds de kangourous. En peu de minutes, nous perdons les cinq cents mètres qui nous séparent de nos skis.

... Ce fut ensuite une belle page d' écriture, d' écriture à la ronde comme on n' en fait plus, dans la neige amollie. Sans peine aucune, avec une belle main de notaire, nous y traçons des pleins et des déliés, des accolades et des parafes. Et voici déjà le haut du couloir, toboggan vertigineux qui file au glacier, tout droit sur trois cents mètres, en frôlant la cabane.

Ce fut le comble de l' ivresse, un vol balancé d' un bord à l' autre du canal. Il fallait crier de joie en se jetant face à la pente, à chaque virage, sûr d' être reçu par la neige attendrie comme le baigneur dans l' eau profonde. Et les skis terminaient la courbe impeccable, aussi fermes qu' un pouce dans la glaise.

... Le soir, à l' heure où le soleil frôlait seulement la neige, nous passâmes une dernière fois la Grünhornlücke pour gagner, à Concordia, notre gîte.

Deux stylites J' hésitais à suivre Vittoz dans son projet de faire, le lendemain, la Jungfrau. Des skieurs m' avaient représenté cette ascension hivernale comme assez risquée et trop longue au départ de Concordia. Je me demande aujourd'hui ce qui les faisait parler de la sorte: l' ignorance, la crainteNe jugeons pas... Nous vîmes, ce même soir, une caravane nombreuse de retour du Mönch. Ces skieurs — quelques-uns, à peine des alpinistes — avaient trouvé facile et courte son arête terminale. Une large piste courait dans le flanc de neige dure. Nous ne pouvions en croire nos oreilles.

Pourquoi, suggéra Pierre, la Jungfrau ne nous ferait-elle pas la même faveur?

Ce fut le cas. La dernière de nos courses devait être la plus fertile en bonnes surprises. Nous fûmes presque déçus.

Pour la troisième fois, nous quittons la cabane sans peaux sous les skis. Le fart de montée est parfait pour les premières pentes des longs glaciers oberlandais.

Le chemin est enchanteur. Il fait ce climat printanier qui nous a charmés plus d' une fois en haute montagne. Il semble qu' à bien prêter l' oreille on surprendrait des gazouillis d' oiseaux.

Laissant le Joch, nous tournons à gauche franchement au flanc du Rottalhorn pour entrer dans la niche glaciaire abritée à son revers, sous la paroi sud-est de la Jungfrau. Il y fait intime et frais, au pied des séracs et des rochers: une cour intérieure de marbre blanc et rose, sous un ciel d' Arabie. L' arête qui monte du Joch au sommetla fameuse arête nord-est — donnerait à ce site un caractère plus dramatique si, en montant, on ne lui tournait le dos.

Voici la rimaye. Nous plantons les skis. Pierre prend la tête: ces montagnes de sucre où l'on barbote à grandes foulées, c' est sa spécialité. Nous montons tout droit vers le ciel dans une coulisse blanche qui vise le soleil. Tout cela étincelle et poudroie, dans un accord vibrant de lumière et de gel. On s' en met partout, dans les manches, les narines, les oreilles. On en mangerait.

Nous arrivons, sur les pieds ou les genoux, je ne sais, au Col du Rottal. Halte aérienne sur le canapé blanc de la corniche, devant le gouffre encore tout froid d' ombre matinale de cette fameuse « vallée rouge ». Il y a sept jours, nous le contemplions du sommet de l' Ebenefluh, presque à l' opposé. Nous avons passé comme des guetteurs d' une tour à l' autre, rêvant sur les créneaux et surveillant le pied des murailles...

Mais un objet plus proche attire bientôt nos regards: la tour sommitale de la Jungfrau, et le couloir qu' il faudra traverser pour y atteindre. On nous a promis là difficultés et danger. On nous a parlé de chutes demeurées célèbres dans l' histoire de la montagne... Une curiosité un peu anxieuse nous remet en chemin.

... Au sommet, nous nous regardons avec des sourcils en circonflexe. C' est donc cela, la Jungfrau? cette promenade du dimanche dans la neige et le cailloutis? Un peu plus de quatre heures d' allègre montée, de Concordia à la perche du sommet, et voilà déflorée la prestigieuse montagne!

Mais nous ne bouderons pas au plaisir d' une longue halte dans le pierrier de lézards... Et voici, peu à peu, qu' une immense joie nous monte de la poitrine à la gorge, la joie de ces cinq jours rayonnants et intenses. Beauté, solitude, camaraderie parfaite... Ne pensons pas à la fin des vacances — ce soir, Hollandia; demain, la plaine. Que je sois uniquement ici, et maintenant. Chaque regard que je pose rencontre une chose belle. Chaque soupir qui m' échappe se fond dans l' air lumineux. Chaque parole, sans qu' il soit besoin d' une réponse, s' en va au cœur de mon ami, le barbu, et sale, et cher Vittoz qui, distrait, ou absorbé, s' amuse à taper avec une pierre, à petits coups, une autre pierre...

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