Vacances bernoises
Unterstütze den SAC Jetzt spenden

Vacances bernoises

Hinweis: Dieser Artikel ist nur in einer Sprache verfügbar. In der Vergangenheit wurden die Jahresbücher nicht übersetzt.

Avec 3 illustrations ( 47—49Par Ed. Pidoux Dans la souricière De je ne sais quelles profondeurs, péniblement j' émerge à la conscience. Conscience qu' il est nuit, que sur ma joue frotte une rêche couverture.

Où suis-je?

Un tourbillon précipité dans ma tête. Un grand remous de choses qui cherchent leur place, et tout d' un coup la retrouvent. Et me voici parmi elles de nouveau situé. Cabane du Finsteraarhorn. La cuisine-dortoir; le bat-flanc à gauche. A mes côtés, ma femme et mon ami, Pierre Vittoz. Nous sommes seuls. J' écoute.

Il y a dehors une grande rumeur. Des voix puissantes, très loin, très haut, conversent dans la montagne. L' ouïe s' aventure jusqu' à elles, dans un monde qu' on devine de couloirs et de parois: l' écho immense du Finsteraarhorn...

Et soudain, la tempête, de là-haut, se précipite, secoue la porte, les volets, hurle longuement.

C' est le retour de la tourmente.

Le répit n' aura donc été que d' une brève journée... Juste le temps de nous attirer plus avant dans le piège des montagnes, sous des amas de neige nouvelle!

Hier, nous avons cru la partie perdue. Le brouillard, épaissi de flocons, nous a surpris au passage de la Galmilücke. Contre lui et contre le froid devenu atroce, nous avons cherché refuge dans le nid d' aigle du Col d' Oberaar, une frêle cabane suspendue au rocher, que le vent traversait comme un treillis de planches. Douze ou quatorze heures de tempête. Un poudroiement insensé de neige; et pour nous, une lutte de tous les instants contre le froid.

Ce matin, l' aube s' est levée sur des montagnes reblanchies. Bientôt, le soleil a dévoré les nuées. Les crêtes flambaient, laissant couler de courtes avalanches, comme des larmes de cire; et nous avons peiné, dans la chaleur moite, traînant nos skis de plomb au fond d' un désert blanc qui n' en finissait pas. Je sens dans mes cuisses leur poids tirer encore.

Nous pensions d' abord gagner la cabane Concordia, où trois amis nous attendaient. Ce fut beaucoup d' atteindre celle du Finsteraarhorn... Nous y sommes restés, regardant se faire et se défaire des vapeurs roses. Peu à peu, le ciel a blanchi; le brouillard est descendu, calme et triste. Tant de grisaille portait à dormir. Nous nous sommes couchés tôt.

Mais voici le second assaut de la tempête. Cela deviendrait-il sérieux? Son hurlement se prolonge d' une seule haleine... encore... encore...

J' éprouve une sorte de joie, le contentement d' être mêlé à ce bruit énorme, et comme l' illusion d' y être pour quelque chose. Je me surprends à raidir les muscles dans l' espoir d' un plus violent tumulte; et si la tempête répond à cet appel, quelque chose en moi s' épanouit, et sous les couvertures, je m' étire...

Soudain, la cabane frémit sous une terrible poussée. Cela dépasse toute attente. J' ouvre la bouche en haletant. C' est beau... terriblement beau... Non, non il n' en faut pas davantage I La tempête s' est installée. Son hurlement ne faiblira plus, sinon, parfois, dans un total, un angoissant silence: la suffocation d' un enfant qui sanglote. Et quand la voix lui revient — un cri monstrueux — la cabane tout entière vibre comme la poitrine du souffleur au milieu des grandes orgues.

Soudain, une pensée, en coup de poignard: Nos skis!

Nous les avons laissés, en arrivant, appuyés au mur de l' ancienne cabane, quinze mètres plus bas dans le rocher. Je me revois nouant à leurs câbles, par précaution, des ficelles blanchies qui pendaient là. Un seul coup de ce vent a pu les arracher.

— Pierre!

Pierre enchaîne, réveillé comme moi:

— Tu penses aux skis?

Déjà nous sommes debout dans la pièce glaciale. La bougie frissonne dans les courants, tandis que nous nous vêtons en hâte. Pierre, comme le plus jeune, s' offre à descendre, assuré par moi. Tandis qu' il enfile une culotte sur l' autre, et autant de blouses que nous en possédons, je prépare deux cordes et, pour amarrer les skis, une cordelette et un mousqueton. J' ai placé la bougie devant la vitre. Elle éclairera un peu à travers le carreau.

Une corde est fixée au pied du fourneau, l' autre à la taille de Pierre. Nous passons au vestibule, en glissant le câble sous la porte, soigneusement refermée. Quand nous tirons le verrou du volet extérieur, le vent nous arrache le panneau des mains. Un jet de neige nous suffoque. Un autre tourbillon aspire l' amarre que je lance... Pierre s' y cramponne et, le dos rond, enjambe le parapet, plonge dans la nuit...

Dieu, que cela dure! Plusieurs fois je l' appelle. Mes dents s' entrechoquent. Des frissons me tordent l' échiné comme des décharges...

A la fin, quelque chose ressemble à un cri. La corde fixe se tend. Je tire l' autre à pleines mains, très vite... Un monstre blanc émerge, se rue vers moi. Ensemble nous tirons le panneau, comme s' il y allait de notre vie. Une charge de vent s' y écrase; la neige, aux fentes, poudroie.

Nos skis sont saufs!

... Oh! qu' il est doux, qu' il est maternel, le nid laineux encore chaud où, dans le noir, je m' enfonce!

L' évasion Le troisième jour, nous pûmes quitter la cabane, le blizzard ayant baissé de quelques tons, comme une corde qui se détend. Une sortie, la veille, avait échoué à quelques pas du refuge. Plus heureux cette fois, nous pûmes résister aux premiers tourbillons, durs comme la mer sur les brisants. Mais en gagnant le large du glacier, nous étions émus autant que des nageurs novices qui ont lâché le fond...

Nous fîmes force de bras et de jambes vers la Grünhornlücke, une échancrure jaunâtre dans les nuées. Il s' agissait d' avancer, mais d' abord de résister au froid qui semblait, malgré les habits, lécher à même la peau.

La tempête n' avait plus que des accès intermittents, mais sa violence, alors, redevenait telle qu' on n' aurait pu la supporter longtemps. Il fallait attendre, pour se remettre, l' accalmie, comme le creux entre deux vagues.

Mais à lutter ainsi depuis deux heures, nous sentîmes se ranimer, avec notre sang, cette chose depuis trois jours figée: le temps. Nous émergions d' une éternité d' attente. Ces soixante heures se détachaient comme un bloc d' immobilité qui, à présent, dérivait dans le passé.

... Des heures, des heures qui n' en étaient plus, grises, froides, hurlantes, durant lesquelles nous demeurions crispés, comme un poing fermé sur un sou de vie. Du plafond pendaient des couvertures que nous avions drapées pour garder la chaleur du fourneau. Dans l' étroite cellule, nous nous tenions assis, les rotules ou l' échiné au feu, n' ayant plus que cette cuisson légère pour nous tenir compagnie.

Nos vivres, calculés pour moins de trois journées, avaient dû être ra-tionnés. Nous rêvions longuement à ceux que nous avions adressés au Jungfraujoch pour l' étape suivante, et qui nous attendaient là-bas, hors d' atteinte. Aux repas, nous mâchions chaque bouchée avec tant de ferveur qu' elle semblait se digérer sur la langue déjà.

De tout le jour, nous n' avions à contempler que nos visages gris et contractés, ou la fenêtre encore plus pâle. Les crépuscules n' en finissaient pas.

Au col, ce fut un supplice de déboucler les skis, d' écorcher leurs peaux gelées. Il fallait de la volonté pour ne pas abandonner au vent tout ce qui échappait des doigts.

Enfin, nous pûmes nous engager dans la descente.

... Folle glissade à l' aveuglette, dans le vent et les tourbillons de glace. Un nuage poudreux, d' abord, courait à fleur de sol. Les pieds, coupés aux chevilles, fuyaient par-dessous sur des skis invisibles.

Peu à peu, le tapis volant s' élevait jusqu' à nos reins. Nous n' étions plus que des bustes évoluant à sa surface. Puis nos têtes décapitées, encore un instant, jouaient à se poursuivre; et tout à coup, un acide injectait les yeux, brûlait les joues. Nous les cachions dans le pli d' un bras, sans cesser de glisser sur nos patins de cauchemar, et ce fut miracle si aucun de nous ne fit la moindre chute.

A la cabane Concordia, nous plongeâmes d' un coup dans une chaleur énorme, toute grasse d' une odeur de soupe et de saucisse. Nos amis étaient là. Ils nous attendaient depuis trois jours et trompaient leur ennui — et leur inquiétude — en cuisinant plus de repas qu' ils n' en pouvaient absorber.

Leur appétit se ranima à la vue du nôtre.

... Le même soir, nous pûmes gagner la cabane Hollandia, à la Lötschenlücke. Le vent avait encore cédé. Il n' agitait plus qu' une vive mousseline de neige au ras du sol. De larges moires se poursuivaient, s' effilochaient en traînées blanches...

La cuisine, là encore, nous attendait, chaude et bien close. Nous fîmes la veillée autour de deux chandelles, à rire et à chanter; et quand nous nous taisions, les derniers soupirs du vent troublaient à peine le silence.

Il s' endormit avec nous, sous un ciel criblé d' étoiles.

... Le surlendemain, nous sommes de retour à Concordia, Pierre et moi. Il neige depuis vingt heures sur nos traces, imprimées la veille au flanc de l' Ebene. L' avons vécu, ou rêvé seulement, ce jour de grâce? Rêvé l' allègre montée sur le velours des pentes, sous la soie du ciel? Rêvé la descente, légère comme le vol d' un dieu, les talons empennés d' une aigrette poudreuse?

Aujourd'hui, pour un peu, nous porterions envie aux compagnons qui nous quittaient hier pour la plaine. D' autres skieurs amis sont arrivés dans la matinée. Ils font encore bonne mine à mauvais temps, mais nous sommes d' humeur à trouver leurs espoirs plutôt ridicules...

Harpe éolienne Ils avaient raison. Six journées parfaites commencèrent avec l' aube du lendemain.

La première fut pour gagner le Jungfraujoch et en ramener nos vivres. Mais nous avions encore un œil sur le Mönch, qu' on voyait, là-bas, fumer sous la bise, au bout de la longue avenue du glacier.

D' ici là, ce fut un laborieux voyage entre soleil et neige vibrant de lumière. Ciel trop pur, d' un noir presque nocturne, où tant de blancheur éclatait, insoutenable.

Depuis des heures nous cheminons, ouvrant une piste toujours plus profonde, vers un point où le névé se tache d' une ombre. Est-ce l' issue du tunnel qui débouche de la station en plein glacier?

Comme nous approchons, des blocs de neige roulent, rejetés par d' in taupes. Un ouvrier paraît, la pelle à la main. C' est bien la porte de l' étrange hypogée.

Contraste saisissant. Le boyau de neige — toute l' épaisseur du névé — se mue en couloir rocheux où rougeoie de loin en loin une ampoule électrique. Les yeux, encore pleins d' espace et de lumière, ont peine à se faire à ce trou. Il me remonte, comme une nausée des souvenirs de forteresse. Au cœur de la montagne, on s' enfonce longtemps. Mais voici les portes d' un ascenseur — plaques nickelées, signaux lumineux. On passe à l' aplomb de l' ob du Sphinx. Puis un dernier tournant et la voûte s' élargit. Un souffle cru de tunnel. On débouche dans la station.

Le quai est désert, étiqueté de panneaux lumineux; les bureaux à l' aban. Pas une âme dans le hall, ni dans le restaurant qui fait suite. Mais nous y retrouvons la lumière éblouissante de la Jungfrau. Le décor, en rouge, blanc et bleu — rocher, neige et ciel — semble disposé là pour les loges de l' hôtel, ouvertes en pleine paroi. Ailleurs, des salons, des dortoirs, des vestibules, des escaliers, où nous déambulons comme dans un campement abandonné.

Un employé de la poste, à la fin, se réveille au fond de son bureau, un petit palais administratif clinquant comme tout le reste. Depuis sept jours, nos colis nous attendent. Nous nous mettons en devoir d' en renvoyer plus de la moitié...

Cela fait, nous ne pensons plus qu' à sortir de ce monde souterrain, à la fois étrange et décevant. Au cœur de la montagne, on ne sent rien de sa présence. D' ailleurs, sa nudité disparaît sous le ciment et le plâtre, l' émail et le bois. Entre les murs blancs des lavabos, dans la chaleur du central, on s' imagine à volonté à Paris ou à Londres, à l' hôpital ou au cinéma. Le miroir nous fait voir nos barbes hirsutes; la porcelaine de la cuvette, la crasse de nos mains. Sortons!...

... Au pied du Mönch, nous laissons tomber nos charges. Nous sommes à bout de souffle. Rarement nous avons foulé neige aussi profonde.

La bise est dure. Il fera bon s' offrir un peu d' escalade dans les rochers, balayés aux abords du col. Par la nervure qu' ils dessinent, nous gagnerons l' arête sommitale, si toutefois la neige et le vent le permettent. L' aigrette blanche qui poudroie sur la corniche nous laisse rêveurs.

Le premier tiers de l' arête est facile et nous réchauffe. Un panneau-réclame sur deux montants en marque le début. Affreuse ferraille qui, avec un bout de sentier, accentue l' aspect bonasse et domestiqué de l' endroit.

Mais la côte se redresse et blanchit, coupée de « soufflures ». On patauge à mi-cuisse. Plus haut, un mur de neige nous arrête, si aveuglant qu' on ferme les yeux. De l' épaule et de la hanche, puis du genou, il faut tasser la farine croulante et s' y faire un passage, à contre-courant d' un flot poudreux. Pouce par pouce, je m' élève pourtant, à force d' énormes enjambées.

Ce mur gravi, il s' en présente un autre, puis un troisième. Je commence à me fatiguer. Pierre, en culotte courte, selon son habitude, ne peut me relayer. Il m' encourage en m' assurant que l' arête faîtière ne doit être qu' une facile promenade. J' y compte bien.

Nous atteignons ainsi la dernière pente. Elle est de glace, il faut tailler, mais les jarrets au moins se reposent. Et surtout, je suis moins pressé de me trouver sur le faîte, si large soit-il. Sur nos visages, sur nos mains, déjà retombe une fine poussière. Nous sommes sous le panache du Mönch.

On dirait qu' au revers de l' arête cent pompiers sont à l' exercice. Les jets fusent en sifflant sans jamais s' arrêter et s' épanouissent en un seul nuage. Il faudra se frayer un chemin à travers ces gerbes glacées!

Le spectacle, quand nous y sommes, est tellement inattendu que j' en ai les jambes coupées. En fait d' aimable névé, je ne vois, dans la brume hurlante, qu' une dentelle de neige, une frange tellement mince que l' appel d' air seul paraît la maintenir debout. Le versant nord est de glace, poli par le souffle qui surgit de l' abîme. Et c' est le long de cette frange qu' il faudra s' élever, en plusieurs durs paliers, vers le sommet qu' à peine on devine!

Passé le premier découragement, je m' avance pour tâter le terrain. Il n' est pas question de poser le pied sur le fin rebord de porcelaine, ni de couper la pente à sa gauche. La neige folle n' y adhère que par miracle. Mais sous la poudre du faîte, à quelque profondeur, je touche de la main la tranche de la glace, mince mais ferme comme le bord d' une planche... En m' appuyant sur les paumes, et en laissant mes pieds flotter dans la pente, brasse par brasse je gagne du chemin. Le moindre geste que je fais pour dégager l' arête me jette au visage une masse poudreuse. Barbe, sourcils, passe-montagne font une croûte que je sens craqueler à chaque grimace. De l' ongle, à travers les gants, je gratte le verre de mes lunettes pour n' être pas aveugle tout à fait.

De dix en dix mètres, j' enfourche l' arête, que je serre à pleins genoux, et, sans me retourner — ce serait trop pénible — je ramène la corde, pour assurer un peu mon camarade. Je jouis de respirer un moment, le visage offert au soleil, les yeux clos... mais la bise me secoue des pieds à la tête. Son sifflement me vrille les oreilles. L' immobilité devient insupportable. Dès que je sens Pierre derrière moi, je repars, tremblant de froid, et d' une espèce de fureur — contre la montagne, contre moi-même. Cette lutte est insensée. Je n' attends, pour l' abandonner, qu' un signal de mon compagnon. Nu-jambes, il doit souffrir terriblement. Comment peut-il tenir?

... Il raisonnait de la même manière à mon sujet, en se fondant sur la différence de nos âges. Voilà comment nous fûmes ensemble au sommet.

Notre arrivée fut sans gloire. Pour franchir la dernière corniche, qui barrait l' accès d' un petit plateau, je n' eus plus la force de lever les jambes. En roulant sur le ventre, je me laissai choir de l' autre côté.

Il n' existait aucun abri. Rien qu' une plate-forme de glace incrustée de débris, papiers, pelures, coquilles. Le vent, le froid étaient intolérables. Il n' y avait qu' à faire demi-tour!

Pierre m' arrêta. Il devait se reposer, disait-il... et je compris tout à coup, en le voyant s' asseoir lourdement sur la glace. Il tremblait de tous ses membres, ses genoux s' entre, et il les serrait dans ses bras comme pour les contraindre à l' immobilité. Je ne pouvais détacher les yeux de ces pauvres jambes nues croûtées de neige et de sang, agitées d' un tremblement continuel, comme celles d' un lévrier... Comparaison ridicule, autour de laquelle mon esprit tournait, comme pour y trouver un sens caché.

C' était folie de rester là. Je lui ordonnai de se lever.

— Je veux bien, dit-il, mais je ne réponds plus de rien.

Il y avait, dans ces mots du plus solide des compagnons, de quoi m' ef. J' étais privé moi-même, par la fatigue et le froid, et par le souffle ahurissant de la bise, d' une bonne part de mes moyens. Il fallait sortir de ce cauchemar. Je répétai mon ordre, et Pierre prit la tête.

S' il n' avait été un parfait glaciériste, je me demande comment cela eût fini... Je fis la descente sans lâcher du jarret l' arête de glace, prêt à l' en tout à fait à sa première défaillance, et je le suivais pas à pas en le tenant à la ceinture. Il se tira d' affaire avec une prestesse et une sûreté étonnantes pour un homme dans son état. Le cauchemar fut donc bref, mais je n' y pense jamais sans un frisson.

Passé la pente de glace sous l' arête, nous respirâmes quelques instants dans les rochers, exposant au soleil nos corps transis. Pas un nuage au ciel. Sans la bise, la chaleur eût été brûlante.

Nous reprîmes le chemin, très lents, très maladroits. Pierre, de moment en moment, était saisi de crampes, de l' orteil à la ceinture. La douleur lui arrachait des gémissements, presque des cris. Je veillais sur lui, attentif et démuni comme un accoucheur. Nous repartions alors avec prudence et lenteur, horripilés par le verglas, les tourbillons blancs et notre gaucherie. Je trouvai moyen de poser un rappel. Un rappel au Mönch!... C' est inavouable...

Ce fut enfin le pierrier et, plus loin, nos skis. Pierre les chaussa tels qu' ils étaient et, sans demander son reste, il piqua tout droit vers la combe sous le Jungfraujoch. J' eus le courage encore d' ôter mes peaux, de les fixer sur ma charge, de racler mes lattes.

Je retrouvai mon ami au fond du vallon, assis sur son sac. Il était réchauffé un peu et de bonne humeur. Il se laissa traiter d' imbécile et voulut bien ajouter ses commentaires aux miens. Oui, cette ascension en culotte courte avait été un non-sens... d' autant plus qu' au fond de son sac — on ose à peine le dire — Pierre avait un pantalon!... son pantalon de pompier, toile bleue à passepoil rouge, mais un pantalon tout de même!...

A la cabane, il passa le reste du jour et une partie de la nuit à se frictionner trois doigts gelés. A la fin, ils s' ouvrirent et furent plusieurs jours purulents. Pierre est un « dur ». Notre campagne n' eut pas à souffrir de ses bobos.,,..

( A suivre )

Feedback