Vie de «cabane» en été
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Vie de «cabane» en été

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Marie- Thérèse Furrer-Bousser, Zermatt

Etre en haute montagne, vivre trois mois en cabane, à plus de 3200 mètres d' altitude, recevoir et accueillir, d' une humeur égale, les purs et les moins purs, rester cinq ou six jours complètement hors de toute atteinte du monde extérieur, isolés au milieu de nos rochers, comme un gardien de phare sur son île déserte, regarder lutter les éléments déchaînés, ne pas pouvoir sortir tant la tempête fait rage, et puis brusquement, le lendemain, presque d' une heure à l' autre, jouir d' un soleil radieux, voir arriver à nouveau les montagnards, élaborer des plans de course, panser des blessures, recoudre des... fonds de culotte, entretenir le feu, préparer la bonne soupe aux légumes, rôtir de la viande pour cinquante ou cent personnes, donner à boire à ceux qui ont soif, à manger ceux qui 183 ont faim, telle est l' expérience, unique, enrichissante, fatigante, exaltante, de la femme d' un gardien de cabane!

Que de souvenirs comiques, tragiques, héroïques, divers, jamais ennuyeux, n' évoque pas, cette seule expression,1 l' été en cabane! Mais l' été en cabane vu par le responsable, le seul maître à bord, qui est le chef, comme le commandant l' est de son navire, avec la grande différence toutefois que l' équipage n' est pas forme par les marins du navire, mais bel et bien par les visiteurs eux-mêmes, par ces montagnards qui, ainsi, font de la cabane une sorte de grand bateau, dont l' équi est toujours changeant, varié, avec ses éléments parfois très disparates; en général extrêmement sympathiques, tous étant animés du même amour, celui de la montagne, de la communion avec la nature, de la joie que procure un effort pénible, librement consenti: et tout d' abord la montée à la cabane ( laquelle n' est accessible qu' à pied ), par un sentier bien tracé certes, mais raide, fatigant ensoleillé à en mourir, par beau temps; sauvage et désespérément long par la tempête ou le brouillard, tandis qu' il faut cheminer bon gré, mal gré, plus de quatre heures avant d' aperce enfin le refuge! Et refuge me semble ici bien le mot qu' il faut employer, mieux certes que cabane, qui n' évoque pas cette idée de protection dans la tourmente!

Il vient naturellement dans une cabane tous les échantillons, si j' ose m' exprimer ainsi, de personnages, différents les uns des autres soit par leur caractère propre, soit par leurs réactions ou leur comportement, et autant les uns vous apportent, autant d' autres vous demandent. Echanges donc, presque toujours enrichissants, entre êtres humains qui, ne se connaissant pas, se reconnaissent pourtant, se lient d' amitié, ont des contacts merveilleux ou inattendus, avec nous-mêmes ou avec ceux qui viennent d' arriver, qui rentrent de course, fourbus, harassés, qui ont besoin de réconfort et qui demandent en quelque sorte leur bien-être en arrivant chez nous! Mais, amis de la montagne, lorsque vous venez, lorsque vous entrez dans notre salle à manger, pensez-vous toujours à ce que cela implique de travail, de peines, de soucis même, le simple fait de vous recevoir avec le sourire, de vous encourager, de vous procurer une détente bienvenue après l' effort!

Parlons donc de notre vie de cabane que peu de gens, même de bons montagnards, se représentent à sa juste valeur et dont ils ne conçoivent pas à quel point elle peut être dure, pénible, voire éprouvante pour les nerfsJ' entends bien ici parler de notre vie, à nous dont le rôle est d' accueillir, au mieux de nos possibilités, ceux qui viennent jusqu' au refuge.

Lever à 2 heures et demie ou 3 heures du matin; on regarde d' abord le temps qu' il fait, et, si le beau semble assuré, on réveille les gens; sinon, on s' est levé tout de même, et, en cas de doute, il y a conciliabules avec les guides présents pour savoir si, oui ou non, les gens peuvent partir en course; et cette indécision, c' est souvent le plus fatigant, car on ne sait pas que décider, on va se coucher un moment, on se relève et, en fait, il n' y a plus moyen de se reposer vraiment. En revanche, si le temps est favorable, il n' y a pas de problème: nous préparons les petits déjeuners, et, si la cabane est pleine, devons faire attention à la répartition de l' eau; il nous faut quelquefois même rationner cette eau bouillante, si précieuse, celle-là, qui toute la nuit, a chauffé dans deux grosses marmites de 50 litres chacune. Pourtant bien souvent, les gens essaient de « tricher » en redemandant de l' eau à laquelle ils n' ont plus droit, et nous devons être intransigeants sur ce chapitre, car nous ne pouvons nous permettre d' en manquer; nous en avons trop besoin pour tout le reste de la journée! Avant le départ des cordées, nous préparons encore les gourdes ou les thermos pour les guides, éventuellement un ou deux sandwiches et, vite, nous retournons nous coucher. Sur la terrasse en bas, on entend les gens parler encore un moment; ils s' encordent, des pas s' éloignent lentement; petit à petit, le silence revient; quelquefois les chocards croassent; le soleil se lève... et nous nous rendormons pour une heure ou deux.

Puis la journée réelle, pour nous, commence vers 6 heures et demie du matin, avec le nettoyage du fourneau potager, ce qui est bien la pire chose à faire lorsqu' on n' est pas ramoneur professionnel! Une fois le feu allumé ( avec de la chance cela peut nous occuper de dix minutes à deux heuresc' est notre tour de prendre notre petit déjeuner, lequel sera suivi de tous les divers travaux qui vont nous accaparer durant toute le matinée, soit: lavage de la vaisselle, balayage des dortoirs, de la cuisine, de la salle à manger; il faut frotter les tables de bois très fort... à l' huile de coude, préparer le potage aux légumes « frais », s' il vous plaît, celui qui ne sera servi que le soir, après avoir cuit toute la journée à feu doux. Ensuite on doit également, s' il y a beaucoup de monde, prévoir les spaghetti, le riz, la soupe que l'on donnera aux passants, et enfin commencer déjà à cuire la viande: comme vous le savez, à plus de 3000 mètres, l' eau ne bout pas à ioo degrés, mais bien avant, et si l'on veut rôtir, vraiment, un gros morceau de viande, préparer un gratin, etc., il faut compter à peu près le double du temps normal que l'on prend en plaine! Et les tranches de bœuf ou les steaks saignants sont pratiquement impossibles à réussir ou bien c' est absolument cru, ou bien c' est une véritable... semelle! Aussi, lorsqu' on voit arriver certains clients, de ceux qui demandent des chambres... à un ou deux litsou même qui réclament, le plus naturellement du monde, un steak, avec frites et salade, la réponse ne se fait pas attendre, et nous nous contentons de leur dire, de notre voix la plus suave:

- Non, mais, est-ce que vous vous croyez au Ritz ici?

En général, cela suffit et ils comprennent!

Quant à la soupe aux légumes frais, pour être vraiment bonne, elle doit cuire de to heures du matin à t 17 heures, mais alors, quand on la sert, c' est un véritable régal!

Les provisions enfin, elles, nous parviennent soit par hélicoptère, soit par avion, lesquels se posent sur le glacier à environ une demi-heure de la cabane. Avec le cacolet, on va chercher le vin, les conserves, etc., et on essaie de descendre le maximum de marchandise sur le glacier avec une luge. Le reste du trajet se fait, en équilibre, sur des rochers plus ou moins instables! De temps à autre un sac de charbon craque, et l'on peut nous suivre à la trace, comme le Petit Poucet, mais avec du charbon au lieu de cailloux blancs!

Il y a toujours grande effervescence à la cabane lorsque arrive le ravitaillement: c' est à qui prendra des photos, nous aidera gentiment, et même le chien se met de la partie! Puis, lorsque tout est en ordre, on se réunit à la cuisine, on reprend souffle, la vie quotidienne retrouve son rythme normal et, si le feu s' est éteint, vite il faut le rallumer, car, si l' eau chaude venait à manquer, ce serait presque catastrophique!

A midi, on a en général ( seulement s' il fait beau temps et s' il y a beaucoup de monde ) à peine le temps de manger: les « passants » arrivent; les cordées reviennent les unes après les autres; il faut donner des grogs aux guides, de la soupe, du thé, du café, du vin, de la bière, préparer des œufs sur le plat ou des omelettes; réconforter les gens morts de fatigue, affamés ou assoiffés; encaisser les paiements, loger les nouveaux arrivants, etc.

Tout cela avec le sourire, avec patience, laquelle manque souvent, je l' avoue, car vivre à plus de trois mille mètres, cela met les nerfs à rude épreuve! Et les touristes, à part les habitués de la montagne et les guides, ont souvent de la peine à le comprendre. Les journées pour nous sont très longues et les nuits, en revanche, très courtes! Et il y a le souci de savoir si tout le monde est bien rentré, si aucune cordée ne manque, les petits bobos, les blessures légères à soigner ou à panser, bref, toujours il faut être attentifs à tout ce qui demande notre aide, nos conseils, ce qui forme en fait notre mission essentielle, à côté de notre travail de cabane proprement dit.

Puis le soir, vers 6 heures, et jusque vers 7 heures et demie, il faut donner à manger, soit ce que nous avons nous-mêmes déjà prépare, soit ce que nous devons cuire séparément pour les personnes qui ont apporté leurs provisions. Et lorsque tout le monde a mangé, nous devons encore laver la vaisselle, l' essuyer, la rentrer, mettre de l' ordre, et seulement alors, avec un soupir de soulagement, nous nous asseyons autour de la table de cuisine pour dîner à notre tour et profiter de quelques minutes de répit, bien méritées. Naturellement, c' est toujours cet instant précis que quelqu'un choisit pour demander du thé, du sucre, du vin ou un renseignement absolument superflu! Inutile de dire qu' en général, la fatigue aidant, nous l' en au diable un peu brutalement!

Puis, petit à petit, la salle à manger se vide, et nous restons entre nous, à la cuisine, avec les guides, autour d' un café fumant, à deviser tranquillement quelques instants: et c' est là, en quelque sorte, notre « récompense », ce moment de la journée où l'on ressent si bien cette atmosphère si particulière d' un refuge à la veille des grandes courses: les guides parlent entre eux, tout en fumant leur pipe: ils parlent dans leur langue incompréhensible à qui n' est pas de l' endroit, ce langage à la fois rauque et harmonieux, âpre et doux tout ensemble, qui reflète si bien le caractère même du montagnard. Les jeunes écoutent avec passion et respect les récits des « anciens ». Avec les amis, on évoque encore les beaux souvenirs, les courses dangereuses; on bavarde un peu, on établit des plans, on discute des conditions, et puis tout le monde va se coucher.

Il ne nous reste plus qu' à charger le feu pour qu' il tienne jusqu' à 3 heures du matin, vérifier les casseroles afin que nous ayons nos cent et quelques litres d' eau bouillante et, à notre tour, nous allons au lit.

Cela, c' est donc une journée « normale » par beau temps, telle qu' elle se répète durant toute la saison d' été; mais naturellement tout est changé ou perturbé si le temps se gâte ou s' il arrive un accident, si c' est le jour des commandes à passer par téléphone ou par message spécial, ou encore si le téléphone ne fonctionne pas, ce qui arrive, hélas! trop souvent!

Bref, on n' a guère le temps de s' ennuyer!

J' espère que le lecteur aura trouvé intérêt à voir une fois, d' un peu plus près, ce qu' est notre vie, une vie passionnante certes, riche de contacts humains, mais pleine de devoirs et terriblement fatigante, une vie dont on ne se fait guère une idée si on ne pense pas à regarder par l' autre bout de la lunette.

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