Les 150 ans de l'Alpine Club. Un anniversaire très « select » | Club Alpin Suisse CAS
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Les 150 ans de l'Alpine Club. Un anniversaire très « select »

Les 150 ans de l' Alpine Club

La plus ancienne association de sports de montagne fête cette année son 150 e anniversaire. Fondé en 1857 avec onze membres à son actif, l' Al Club en compte aujourd'hui neuf cents. Depuis ses débuts, il a joui d' une grande reconnaissance – notamment grâce à l'« Alpine Journal », successeur de la première revue spécialisée de l' histoire de l' alpinisme.

Le Finsteraarhorn occupe une place de choix dans la mémoire des alpinistes du Royaume-Uni: le 13 août 1857, un groupe de Britanniques l' escalada pour la première fois. Il comptait cinq person- nes – John Frederick Hardy, William Mathews, Benjamin St. John Attwood-Mathews, J. C. W. Ellis et Edward Shirley Kennedy – accompagnées de quatre guides, Auguste Simond et Jean Baptiste Croz, de Chamonix, Johann Jaun Senior, de Meiringen, Aloys Bortis, de Fiesch, et d' un porteur, Alexander Guntern, de la vallée de Conches. Partis de leur bivouac sur la Konkordiaplatz à 2 h 30, ils parvinrent au sommet à 11 h 53 précises. Cinq autres cordées avaient atteint le sommet avant eux; dès lors, ce n' est pas tant l' ascension qui marqua les esprits que le voyage d' approche, car c' est à ce moment que William Mathews exposa à Edward Shirley Kennedy une idée novatrice, qu' il avait déjà présentée dans plusieurs lettres: fonder une association d' alpinisme. La décision fut prise au sommet du Finsteraarhorn. Le 22 décembre 1857, l' Alpine Club fut constitué à l' Ashley Hotel de Londres, lors d' une réunion présidée par Edward Shirley Kennedy. Nul besoin, à l' époque, de préciser qu' il s' agissait d' un club anglais ou britannique, comme le firent par la suite les Autrichiens ( en 1862 ), les Suisses ou les Italiens ( tous deux en 1863 ): l' idée d' une telle association ne pouvait provenir que du Royaume-Uni.

Les Britanniques à l' assaut des cimes suisses

Au XIX e siècle, les Britanniques occupaient une position dominante à bien des titres: à la tête des colonies, dans l' in, dans la passion de la montagne et la conquête des Alpes. En 1744 déjà, William Windham et Richard Pococke avaient « conquis » la vallée de Chamonix et ses glaciers. En 1787, un an seulement après la première ascension du Mont-Blanc, Mark Beaufoy fut le premier Anglais à en atteindre le sommet. Il ne fut de loin pas le dernier... Le « mountaineering » devint une mode parmi les nobles britanniques, qui ne manquaient ni de temps, ni d' argent. Une première dans les Alpes était un exploit plus facilement réalisable qu' une expédition en Afrique, et moins coûteux – tout en donnant matière à discussion dans les salons. En 1855, le 1 er août, John Birbeck, Charles Hudson, Christopher Smyth, James Grenville Smyth et Edward John Walter Stevenson, ainsi que les guides Ulrich Lauener, Johannes Zumtaugwald et Photo: Daniel Anker Matthäus Zumtaugwald, furent les premiers à atteindre la Höchste Spitze ( 4634 m ), baptisée plus tard Pointe Dufour. Un haut lieu s' ajoutait ainsi à la liste des conquêtes de la couronne britannique...

Les Britanniques n' ont pas inventé l' alpinisme

Malgré leurs succès, les Britanniques n' étaient pas les seuls à se mesurer à la montagne. On a tendance à oublier, par exemple, trois Argoviens, tous nommés Meyer, qui, avec leurs guides, réalisèrent en 1811 et 1812 les deux premières ascensions de la Jungfrau et la première du Finsteraarhorn. Parmi les alpinistes de l' époque figure en outre un moine de Disentis, frère Placidus a Spescha, qui conquit, le premier, le Rheinwaldhorn ( juillet 1789 ) et l' Oberalpstock, parmi d' autres exploits. Le Genevois Horace-Bénédict de Saussure, qui finança la première ascension du Mont-Blanc et conduisit la troisième équipe qui atteignit son sommet ( en 1787 ), n' était pas seulement un naturaliste mais aussi un alpiniste hors pair. Johann Rudolf Meyer, auteur de la première ascension de la Jungfrau, raconte l' attrait du danger, et le topographe Johann Coaz, le premier à conquérir le Piz Bernina ( 1850 ), explique que ses guides et lui ont abandonné leurs instruments de mesure pour être plus légers dans l' assaut final, et parvenir au sommet. L'on voit que nos compatriotes, il y a deux cents ans déjà, ne manquaient pas d' ambition. Même les Suisses devaient concéder, pourtant, que les Britanniques L' Alpine Club à Zermatt en 1864, quelques petites années après sa fondation. Les sept personnes à l' avant sont ( de g. à d. ) John Ball, William Mathews, E. S. Kennedy, T. G. Bonney, Ulrich Lauener, John Tyndall et Alfred Wills. La seule dame est Lucy Walker La première ascension du Cervin, en 1865, marqua à la fois l' apogée et la fin de l' Age d' or de l' alpinisme. L' un des sommets les plus difficiles des Alpes était désormais conquis Tiré de The Alpine Centenary 1857-1957, F. H. Keenlyside éd., Alpine Club, Londres 1957 avaient surpassé bien des exploits réalisés à cette époque.

Le CAS né d' un contre-mouvement

Dans l' ouvrage commémoratif Die ersten fünfzig Jahre des Schweizer Alpenclub, Heinrich Dübi, rédacteur du bulletin annuel du CAS entre 1911 et 1923, affirme qu' entre 1855 et 1863, les exploits réalisés dans les Alpes furent plus nombreux et plus brillants que ceux des cinquante-cinq années précédentes. Selon lui, l' acti sémillante de l' époque est due, particulièrement, à l' arrivée des Anglais, qui se lancèrent dans la course dès 1856, sous la conduite de John Ball et des frères Mathews.

La fondation du CAS remonte, elle aussi, à cette invasion d' alpinistes venus d' outre. « Vous n' êtes pas sans savoir que le Club alpin anglais est une concurrence importante pour les touristes suisses », écrivit Rudolf Theodor Simler, professeur de chimie et de géologie à l' Université de Berne, dans une circulaire adressée le 12 octobre 1862 aux « alpinistes et aux amis des Alpes de Suisse ». Cette circulaire était, à proprement parler, un appel au secours – appel qui fut entendu puisqu' en réaction, on fonda le Club alpin suisse.

Après l' exploit, la narration

La concurrence des Britanniques se faisait sentir non seulement sur les cimes, mais dans les bibliothèques. Alfred Wills, membre fondateur et troisième président de l' Alpine Club, fut, en 1854, le premier Anglais à escalader le Wetterhorn selon un itinéraire déjà bien connu; il en rendit compte avec une telle verve que cette ascension est considérée jusqu' à d' hui comme le début de l' Age d' or de Page de couverture de la plus ancienne revue dédiée à l' alpinisme Photo tirée de: Peaks, Passes and Glaciers « Un vaste prisme de granit ou de gneiss marquait la fin de l' arête, à partir de laquelle une deuxième arête très étroite, couverte de neige, s' étirait jusqu' au point culminant. Nous suivîmes la crête et soudain, notre regard embrassa l' horizon tout entier. Nous étions enfin sur la cime du terrible Weisshorn. » Description de la première ascension de 1861 par John Tyndall Photo: W. F. Donkin 1880, tirée de: The Alpine Centenary 1857-1957, F. H. Keenlyside éd., Alpine Club, Londres 1957 l' alpinisme – réputation qui ne se justifie pas forcément. L' Irlandais John Ball, premier président de l' Alpine Club, fut l' auteur, dès 1863, des premiers guides d' alpinisme, les Alpine Guides. Il était aussi l' éditeur de Peaks, Passes and Glaciers, le premier périodique dédié à l' alpinisme, qui contenait des rapports de courses des membres de l' Alpine Club. En couverture du premier numéro de 1859 figure, bien entendu, le Finsteraarhorn. Cette publication a cédé sa place depuis 1863 à l' Alpine Journal 1, dont le volume 112 pa- raîtra en 2007, l' année des 150 ans du club. Sur autant d' années de publications, il faut bien pardonner quelques mépri-ses: l'on a retenu, en particulier, un avis émis à la fin des années 1930 par Edward Strutt, président du club et éditeur de la revue: « The Eigerwand may be said to possess little or no ‹mountaineering› value. » – la face ( nord ) de l' Eiger ne posséderait que peu ou pas de valeur pour 1 Toutes les éditions de l' Alpine Journal sont conservées à la Bibliothèque centrale du CAS, à Zurich, et au Musée alpin suisse, à Berne.

John Ball ( 1818-1889 ), premier président de l' Alpine Club Photo tirée de The Alpine Centenary 1857-1957, F. H. Keenlyside éd., Alpine Club, Londres 1957 Les Britanniques n' étaient pas les premiers à explorer les Alpes pour le plaisir. Parmi les initiateurs de l' alpinisme, on trouve frère Placidus a Spescha, un moine de Disentis qui a notamment ouvert le Rheinwaldhorn en juillet 1789 Tiré du bulletin annuel du Club alpin suisse, Berne 1869 Edward Shirley Kennedy ( 1817-1898 ), coinitiateur, membre fondateur et plus tard, président de l' Alpine Club Photo tirée de The Alpine Centenary 1857-1957, F. H. Keenlyside éd., Alpine Club, Londres 1957 William Mathews ( 1828-1901 ), l' un des coinitiateurs de l' Alpine Club. On lui doit en outre les premières ascensions du Castor, de la Grande Casse et du Monviso Photo tirée de The Alpine Centenary 1857-1957, F. H. Keenlyside éd., Alpine Club, Londres 1957 C. E. Mathews, l' un des frères de William Mathews, et Melchior Anderegg, l' un des grands guides des années 1880. Pour leurs premières, les Britanniques étaient souvent accompagnés de guides suisses Photo tirée de The Alpine Centenary 1857-1957, F. H. Keenlyside éd., Alpine Club, Londres 1957 La première connut une issue tragique: à la descente, quatre des sept membres du groupe firent une chute mortelle. Le Cervin est resté dangereux: on estime à 4 à 6 par année, le nombre d' alpinistes décédés sur ses flancs Un panorama qui n' a rien perdu de sa splendeur: l' ombre du Cervin sur le massif du Mont-Rose. La première ascension de la Pointe-Dufour ( 4634 m ) marqua l' avènement de l' Age d' or de l' alpinisme Hommage sur le mur de l' Hôtel Mont Rose, à Zermatt: le 14 juillet 1865, Edward Whymper atteignit le sommet du Cervin, ainsi que trois autres Britanniques, deux Suisses et un Français Edward Whymper, auteur de la première ascension du Cervin, a eu la chance de survivre à la descente. Aujourd'hui, cet Anglais décédé en 1911 a trouvé sa place dans Zermatt Photos: Daniel Anker l' alpinisme... Une évaluation qui fut démentie maintes fois par la suite!

Peut-être, cependant, que cette remarque osée était due au fait que l' Alpine Club, une association élitiste, se sentait menacé dans sa position. Ses membres, issus pour la plupart de la « high society » britannique, étaient de plus en plus souvent devancés par des alpinistes téméraires, allemands, autrichiens ou italiens, issus du peuple ordinaire et qui maîtri-saient mieux l' emploi d' inventions récentes comme les pitons, utilisés pour s' assurer dans le rocher ou la glace. En outre, le club avait perdu du terrain sur le plan mondial, suite notamment à ses échecs répétés sur l' Everest, en 1924 surtout, lorsque George Mallory et Andrew Irvine disparurent à 8500 m d' altitude. En 1953, cependant, l' honneur fut retrouvé lorsque le drapeau britannique fut hissé sur le plus haut sommet de la terre. Certes, Edmund Hillary était néo-zélandais et Tenzing Norgay, népalais: aux yeux du monde, leur première de l' Everest était pourtant une victoire bien britannique. Depuis lors, les alpinistes du Royaume-Uni ont réussi maints exploits supplémentaires sur les sommets du monde entier; parmi les grands noms, on citera Dougal Haston, Chris Bonigton, Mick Fowler et Stephen Venables. Ce dernier est l' actuel président de l' Alpine Club – un digne successeur de John Ball. a Daniel Anker, Berne ( trad. )

Bibliographie

George Band, Summit – 150 Years of the Alpine Club, The Alpine Club & The Ernest Press, London 2007 Peter Mallalieu, The Artists of the Alpine Club. A Biographical Dictionary, The Alpine Club & The Ernest Press, London 2007 The Alpine Journal 2006, edited by Stephen Goodwin, The Alpine Club & The Ernest Press, London 2006 Arnold Lunn, A Century of Mountaineering 1857-1957. A Centenary Tribute to the Alpine Club, George Allen & Unwin Ltd, London 1957 « Alpine Centenary 1857-1957 », in The Alpine Journal n° 295, vol. 62, 1957 Fabrice Lardreau/Michel Tailland, « Alpinisme d' outre. Le style et l' ethique », in La Montagne & Alpinisme, 1/2007 Euphorie sur le Cervin: Edward Whymper ( à g. ) appelle son guide Michel Croz; il vient d' apercevoir les Italiens, bien plus bas que lui, et de comprendre qu' il parviendrait au sommet avant eux Gravure d' Edward Whymper, tirée de: Edward Whymper, Matterhorn – Der lange Weg auf den Gipfel, éditions AS, 2005 Festivités autour du 150 e anniversaire L' Alpine Club fêtera son 150 e anniversaire du 22 au 24 juin 2007, lors du « 150th An-niversary Alpine Extravaganza », à Zermatt – un choix qui n' est pas dû au hasard puisque c' est là que l' Age d' or de l' alpi, dont le club fut l' un des principaux acteurs, trouva son apogée et sa conclusion avec la première ascension du Cervin et la tragique disparition d' Edward Whymper et de ses comparses. Suisse Tourisme s' est saisie de l' occasion pour proposer des manifestations diverses sur le thème des premières, des cabanes, téléphériques, hôtels de montagne et promenades, sous le titre séduisant de « 150 ans d' alpinisme. Sport de montagne d' hier et d' aujourd ». Si l' idée de renforcer la communication sur les lieux connus et méconnus des Alpes suisses est, en soi, excellente, le slogan est mal choisi: car l' alpi, comme nous l' expliquons dans ces pages, n' est pas né à cette époque. Des informations sur les festivités sont disponibles sur www.alpine-club.org.uk ou www.myswitzerland.com, mot clé: 150 ans d' alpinisme.

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