Les variations périodiques des glaciers des Alpes
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Les variations périodiques des glaciers des Alpes

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Par Dr. F.A. Forel, professeur, à Morges. Dr. M. Lugeon, professeur, à Lausanne. E. Muret, inspecteur forestier, à Morges.

Dix-neuvième rapport. 1898.]

LXI%. La circulation des eaux dans l' intérieur du glacier

du Rhône.

La théorie des variations périodiques des glaciers ne pourra être complétée avec certitude que lorsque nous connaîtrons à fond les phénomènes de l' intérieur même des courants de glace. Toute observation nous apportant un peu de lumière sur cette région encore trop obscure doit être accueillie avec empressement. C' est à ce titre que j' introduis ici le récit d' expériences que nous avons exécutées, au nom de la commission des glaciers de la Société helvétique des sciences naturelles, M. l' ingénieur L. Held et moi, sur l' écoulement des eaux dans l' intérieur du glacier du Rhône. Nous avons utilisé le superbe pouvoir colorant de la fluorescine qui, avec un très petit volume de matière tinctoriale, rend fluorescente en la teignant en vert, une énorme masse d' eau ( 500 à 1200 millions de fois le poids de la substance employée ).

Nous avons fait deux expériences au mois d' août 1898. Le temps était splendide et le glacier parfaitement sec.

Première expérience. Le 22 août, à 8 h. 30 min., matin, nous avons verse 2 kg. de fluorescine, en solution sodique, dans un ruisseau qui longeait la rive droite du glacier, au pied de la grande moraine marginale, au lieu dit le Golfe des Moraines, en amont de la grande chute des glaces. Ce ruisseau, d' un débit de 0,2 m3/seconde, se précipitait dans un puits pour se perdre dans le glacier.

Après avoir versé la couleur dans ce ruisseau, pendant que nous descendions la Saas pour nous rapprocher de la porte du Rhône, où nous voulions surveiller l' apparition de la fluorescine, nous avons fait une constatation intéressante. A 9 h. 15 min. environ, l' eau d' un ruisseau qui sort du flanc droit du glacier, à côté de la grande chute des glaces, et qui forme une cascade de quelques dix mètres de hauteur avant de s' enfoncer de nouveau sous le glacier, nous apparut colorée en beau vert fluorescent. C' était notre ruisseau du Golfe des Moraines, qui, au lieu de descendre sous le corps du glacier, comme nous l' avions suppose, pour aller se jeter, au milieu du thalweg, dans le torrent sous-glaciaire du Rhône, avait gardé pendant longtemps son indépendance, en restant latéral, pour sortir même du glacier, et pour ne rejoindre le torrent principal que dans les derniers cents mètres de son trajet sous-glaciaire.

Bientôt après, nous avons vu apparaître la teinte verte à la porte du Rhône, au point où le torrent principal sort de dessous le glacier, à 9 h. 40 min., soit 70 minutes après la mise en couleur de l' eau au Golfe des Moraines. Le Rhône est resté coloré d' une manière sensible pendant 50 minutes, soit jusqu' à 10 h. 30 min.

La distance horizontale entre le lieu où nous avons versé la solution et la porte du Rhône, où nous l' avons vue réapparaître, est de 1,0km; la différence d' altitude est de 500 m La distance en ligne droite entre les deux points est de 1118 m, avec une pente de 50 pour 100.

La vitesse maximale de circulation de l' eau dans le glacier, calculée d' après l' instant de la première apparition de la couleur à la porte du Rhône, a été de 16"/minute; la vitesse moyenne, calculée en prenant la moitié du temps qu' a duré la sortie de l' eau verte, a été de 12"/minute1 ).

Environ 20 minutes après son apparition à la porte du Rhône, la couleur arrivait devant l' hôtel de Gletsch.

Le 26 août, soit quatre jours après, à 5x/2 h. du soir, M. A. Speidel, de Genève, dit avoir vu encore des traces de couleur verte sur la rive droite du Rhône, coté amont du pont de Riddes, entre Sion et Martigny, à 104 km aval du glacier du Rhône. Sauf cette observation faite for- tuitement par un voyageur de passage, nous n' avons pas eu d' autre rapport sur la coloration du fleuve en Valais.

Le débit du Rhône à Gletsch, dans la matinée du 22 août, a été évalué à 6,6 m3 seconde par M. J. Epper, ingénieur du bureau hydrométrique fédéral, d' après les hauteurs de l' eau à la règle fluviométrique de l' hôtel du glacier du Rhône.

Deuxième expérience. Le 30 août 1898, à 8 h. 0 min. du matin, par un temps sec et froid, le glacier étant encore gelé à la surface, M. L. Held a verse 1,5 kg. de fluorescine dans un ruisseau du débit de 0,1 ma' seconde, qui se perdait dans un moulin vers le milieu du profil rouge du glacier, à 2 km amont de la grande chute des glaces. La couleur verte a apparu dans le torrent du glacier, à la porte du Rhône, à 12 h. 5 min., et l' eau en resta colorée jusqu' à 12 h. 52 min.

Le trajet parcouru par l' eau dans l' intérieur du glacier avait une longueur horizontale de 3040 m, une hauteur de chute de 754 m, ce qui représente un chemin en ligne droite de 3132 m, avec une pente de 24 pour 100.

La vitesse moyenne du cheminement de l' eau a été de 12 " /minute, la vitesse maximale de 13 " /minute.

Le débit du Rhône à Gletsch ce jour-là était de 5,3 m3 seconde, d' après le évaluations de M. Epper.

Une observation du conducteur postal Beitschgi, qui, en passant à 4 h. 45 min. du soir, le même jour, à Blitzingen, au milieu de la vallée de Conches, a vu le Rhône colore en vert, nous donne la vitesse du cheminement de l' eau dans un torrent alpin courant à l' air libre. La distance horizontale, à vol d' oiseau, de la porte du Rhône à Blitzingen, est de 18 km, la différence d' altitude est de 540 m, la pente moyenne de 3 pour 100. La durée du trajet ayant été intermédiaire à 223 et 280 minutes, cela donne une vitesse de 60 à 71 " /minute.

La vitesse de la circulation de l' eau dans le glacier, lors de nos deux expériences du 22 et du 30 août, a été de 12 à 13 " /minute. Ce n' est pas très rapide, c' est le 1ls ou le 1!e de la vitesse du Rhône courant sur terre de Gletsch à Blitzingen. Mais si nous remarquons que dans le glacier l' eau a longtemps circulé dans de petits ruisseaux dont le débit était bien inférieur à celui du grand torrent fluvial de la vallée de Conches, cette différence de vitesse n' est pas pour nous trop étonner.

D' une autre part, si nous comparons cette vitesse de 12 à 13 m/minute à la vitesse de la circulation des eaux dans les sources on nous avons lieu d' admettre la présence d' étangs souterrains ( par exemple les entonnoirs des lacs de Joux et l' Orbe de Vallorbes, où la vitesse maximale, dans nos expériences de 1893, a été de 2 m/minute entre Bonport et la source de l' Orbe, et de 0,7 minute du Rocheray à la même source ), nous voyons que la vitesse de nos ruisseaux intra-glaciaires était bien supérieure.

Nous pourrons en conclure que, dans le glacier du Rhône, le cheminement des eaux n' est pas arrêté par des étangs intra - glaciaires où elles se seraient attardées pendant longtemps.

Rien dans les expériences que nous venons de relater, pas plus que dans les observations antérieures à nous connues, ne nous permet de soupçonner au glacier du Rhône l' existence d' un lac sous-glaciaire. Cette conclusion est d' un grand intérêt, aussi bien pour la théorie des glaciers que pour celle des lacs.F. A. F.

LXY. L' expédition au Grœniand de la Société de Géographie

de Berlin.

La Société de Géographie de Berlin vient de publier les résultats scientifiques de deux expéditions faites dans la partie occidentale du Grœniand en 1891 et 1892-1893. En 1891, une première campagne, dirigée par M. de Drygalski, est exécutée dans le double but de déterminer l' emplacement le plus favorable pour une deuxième période d' études, et d' amorcer, par des recherches préliminaires, plusieurs problèmes se rattachant aux glaces de cette terre danoise. L' année suivante, la deuxième campagne s' ouvre en mai. M. de Drygalski la dirige encore accompagné par deux naturalistes et physiciens, MM. Vanhöffen et Stade. Les premiers mois sont employés à faire diverses expéditions et reconnaissances, et, en août, les voyageurs s' installent pour hiverner au bord d' un des gigantesques glaciers grœnlandais, celui du Grand Karajak, sur la côte occidentale du Grœniand, par 70° 30' de latitude. Pendant cette période d' hiver, ils entreprennent de nombreuses excursions dans plusieurs directions et continuent ces voyages en été jusqu' au moment du retour.

Deux superbes volumes richement illustrés contiennent les résultats de ces deux voyages. Les observations, les documents recueillis, les déductions établies par ces hommes sont considérables. Leur œuvre est une des plus belles qui ait jamais paru sur la physique de la glace; le monde scientifique saluera avec déférence ce magistral ouvrage1 ).

Ce n' est point à nous de faire l' analyse entière de ce que contiennent ces deux livres. Ce qui nous intéresse avant tout ici, ce sont les variations de ces glaciers du nord, dont l' étude pourra être utile aux recherches analogues que nous faisons dans les Alpes.

La terre grcenlandaise est loin de mériter ce nom de „ terre verte " qui lui fut donné par les premiers explorateurs. Sur la partie centrale s' étend une vaste étendue de neige et de glace, ce fameux Inlandsis, qui s' abaisse vers l' extérieur, souvent jusqu' à la mer. La côte habitable, peu large, est seule quelque peu verdoyante.

Trois hypothèses ont été émises pour expliquer l' origine de l' In.

La plus ancienne est celle de Rink. Cet auteur, voyant des torrents se geler et ne pas fondre entièrement en été et l' hiver suivant des masses de glace s' ajouter aux précédentes, avait tire la conclusion que l' In s' était formé de la même façon. Cette grande étendue de glace serait donc le produit de congélations successives des fleuves grœnlandais; elle se serait formée de bas en haut, de la périphérie au centre. Où s' écoulaient jadis des cours d' eau, descendraient maintenant des fleuves de glace. L' Inlandsis, au contraire des glaciers, pourrait être même une formation de plaine dont le régime hydrographique eût été transformé en un régime gelé. Dans cette hypothèse, l' Inlandsis serait nettement dépendant du relief.

Nansen pense au contraire que l' Inlandsis est indépendant du relief. Pour lui, c' est une calotte glacée qui serait le résultat de l' accumulation des chutes de neige sur toute sa surface. Ce système glacé s' écoulerait grâce à la pression énorme qu' exercerait le poids de la glace sur les couches profondes devenues extrêmement plastiques.

La troisième hypothèse, celle de M. de Drygalski, résultat de ses propres recherches et de celles de ses prédécesseurs, paraît être conforme aux faits observés. Elle se rattache mieux aux notions générales admises pour les glaciers; l' Inlandsis n' est plus la conséquence de conditions spéciales comme dans les conceptions de Rink et de Nansen. Pour M. de Drygalski l' Inlandsis est dépendant du relief. C' est un vaste glacier ou, pour mieux dire, divers glaciers confondus qui s' individualisent seulement dans la partie inférieure de leur parcours, une mer de glace dans le sens des anciens naturalistes suisses.

Un examen rapide de l' allure de l' Inlandsis va nous montrer quelles sont les bases sur lesquelles l' auteur s' appuie pour adopter cette nouvelle interprétation.

Le Groenland est formé au sud par une région très montagneuse s' élevant à plus de 2000™ au-dessus de la mer. Sur la côte occidentale, cette région s' élargit et s' abaisse; elle forme une sorte de muraille, possédant ses propres glaciers indépendants, contre laquelle butte l' Inlandsis. Les promontoires rocheux avancés vers l' intérieur émergent de la glace comme autant d' îlots que les Grœnlandais appellent Nunataks.

L' Inlandsis n' atteint les eaux de la mer que dans de profonds et longs fjords. Dans le nord, cependant, la côte est moins découpée, la glace aborde la mer directement ou par l' intermédiaire de fjords plus courts.

La côte orientale est plus élevée que l' occidentale; elle atteint qu' à 3000 m vers le 69° de latitude. Si l'on remonte ces pentes très inclinées de glace, comme le fit Nansen, on se trouve sur une ligne de faîte formée par un grand plateau qui lentement s' abaisse vers l' ouest. Ainsi l' axe le plus élevé de l' Inlandsis est fortement rejeté vers l' Atlantique. L' aspect des deux bords opposés de la grande région glacée est donc fort différent. Sur la côte orientale l' Inlandsis semble plus jeune; il se presse contre les Nunataks, cherche même à se hisser sur eux; au contraire, vers la région montagneuse occidentale il est arrêté et l'on observe souvent un espace vide entre le rocher et la glace; celle-ci, au lieu de chercher à envahir les Nunataks, semble au contraire les abandonner.

C' est donc sur l' arête orientale qu' est le lieu de naissance principal de l' Inlandsis, et de là, dans deux grandes directions opposées, la glace descend avec plus de puissance vers l' est, avec moins de force vers l' ouest, car elle se trouve là plus loin de son lieu d' origine.

L' arête orientale n' est point la seule qui se répercute sur la topographie de l' Inlandsis. Dans le sud, Garde a observé de grandes ondulations de glace sur la continuation sous-glaciaire des arêtes montagneuses voisines; dans le nord, de semblables observations ont été faites. Ainsi à une latitude supérieure au Cap York, l' Inlandsis, d' après Peary, se relève fortement, un autre centre de glaciation s' établit, semblable à celui de la côte orientale.

L' aspect de la surface de la région glacée est tout autre à l' ouest qu' à l' est. Là, à l' ouest, la surface est souvent couverte d' une poussière que l'on a d' abord cru d' origine cosmique, mais qui est, à la juger par les descriptions, tout à fait semblable à celle qui couvre souvent nos glaciers. Absorbant plus de chaleur que la glace, elle s' enfonce et forme ces singuliers trous de quelques décimètres de profondeur et de largeur, les célèbres trous de Kryohonite ( poussière de glace ) de Nordenskiöld. A l' est, ils sont très rares, ainsi qu' au sud. Cette poussière est d' origine éolienne. A l' est, elle n' a pas le temps de s' accumuler, parce que le chemin parcouru par la glace est très court. A l' ouest, le glacier ayant une étendue considérable, le temps qu' il exige pour s' écouler entre son lieu d' origine et celui d' arrivée est suffisamment long pour que, petit à petit, la poussière finisse par se déposer en quantité suffisante pour jouer un rôle important. L' horizon à Kryokonite confirme la présence d' une haute région d' alimentation dans la partie orientale du Groenland.

Quoi qu' il en soit, on voit que l' allure de l' Inlandsis est le résultat de la configuration du sol. C' est un régime glaciaire assez puissant pour couvrir toutes les arêtes et sommets qui peuvent exister dans l' intérieur. L' hypothèse de M. de Drygalski paraît seule vraisemblable; elle a pour .'elle le grand avantage de ne faire de l' Inlandsis qu' un cas particulier d' un système glaciaire.

La côte orientale est peu connue. Nous ne trouvons presque aucun document relatif à ses glaciers. Cela tient à son caractère inhospitalier, comme M. Ch. Rabot l' a fait remaquer dans son travail plein d' érudition sur les Variations de longueur des glaciers dans les régions arctiques ] ).

C' est la côte occidentale qui a été surtout étudiée. Elle présente un développement très remarquable de tous les phénomènes glaciaires. Les Nunataks et la région montagneuse côtière, qui parfois atteint 150km de largeur, présentent des surfaces rocheuses polies et striées, des blocs erratiques, des moraines, des lass d' origine glaciaire. Seuls les hauts sommets aux formes découpées semblent avoir toujours émerge de la grande nappe glacée ancienne dont l' actuelle, bien qu' immense, n' est qu' un reste.

On a l' habitude de distinguer deux types de glaciers d' écoulement dépendant de l' Inlandsis. Premièrement i' Isström, vrai fleuve de glace, au mouvement rapide, dont la largeur dépasse quelquefois dix kilomètres, et qui toujours se jette dans la mer. Deuxièmement les glaciers plus petits, mais considérables encore, comparés à ceux de nos Alpes, au mouvement plus lent, et qui parfois se contentent de déposer une moraine frontale. Cette distinction est conventionnelle. En réalité, toutes les formes de passage existent, d' une part, entre les grands lobes à peine individualisés de l' Inlandsis, au mouvement à peu près nul, qui se brisent dans la mer par un front considérable, ou qui se terminent par lente fusion sur le sol, et, d' autre part, les Isströms, vrais glaciers d' écoule à l' allure rapide, se jetant toujours dans la mer, et enfin les glaciers plus petits avec moraines.

Les glaciers qui se rendent à la mer sont soumis à des phénomènes de rupture que l'on appelle le vêlage. On distingue trois types de fragmentation:

a. Dans le vêlage de premier ordre, c' est un fragment considérable de la partie émergée et immergée de l' Isström qui se sépare. Il s' en va à la dérive, en tournant sur lui-même, et forme un de ces Icebergs dont la hauteur au-dessus de l' eau varie entre 30 et 195 m, d' après les mesures faites par M. de Drygalski.

b. En deuxième mode de rupture, c' est un fragment immergé, une partie sous-marine du fleuve de glace qui subitement se brise et remonte à la surface. Ce vêlage est beaucoup plus rare.

c. Le vêlage de troisième ordre est le plus fréquent; on peut dire qu' il est continuel en été. Le front émerge du glacier se craque, se fend, s' éboule à chaque instant. Les blocs de glace sont beaucoup plus petits que ceux produits par le vêlage de premier ordre, mais leur abondance est telle que l' eau de la mer est invisible dans le fjord.

Par ce phénomène du vêlage, certains de ces Isströms perdent un volume énorme de glace. Celui du Grand-Karajak livre annuellement 15kmS d' Icebergs à la mer.

Pour débiter une masse si considérable, il faut nécessairement que la marche de l' Inlandsis et celle de l' Isström soient proportionnées l' une à l' autre. Le premier, que l'on peut comparer à une sorte de réservoir, doit s' écouler avec une vitesse très faible. Les mesures exécutées par M. de Drygalski avec un soin et une méthode remarquables, nous montrent effectivement, par exemple, que la vitesse de la partie qui alimente l' Isström n' excède pas 0,2 à 0,4 m en 24 heures. Plus en amont, le mouvement n' est guère mesurable. Là, où l' Inlandsis ne se termine pas en Isström individualisé, la vitesse est encore moindre.

Les glaciers d' écoulement proprement dits ont une vitesse qui augmente en section transversale des bords vers le centre, et en longueur de l' Inlandsis vers l' aval. La plus grande vitesse mesurée sur l' Isström du Grand-Karajak a été de 19,6 m en 24 heures. ( La vitesse moyenne journalière du glacier de l' Aar inférieur n' est que de 15 à 20 D' autres courants de glace ont une vitesse plus grande encore. Ainsi, l' Isström d' Itivdiarsuk avait une vitesse de 69 m en 24 heures dans les journées du 7 au 8 juin 1893. C' est la plus grande vitesse constatée dans un courant de glace soumis à des conditions normales. Il est bon d' ajouter encore que sur la marche de ces grands Isströms l' influence des saisons est à peu près nulle. Tous les glaciers du Groenland ne se meuvent cependant pas avec de telles vitesses. Les glaciers de deuxième grandeur ont parfois un mouvement annuel qui ne surpasse pas le mouvement journalier des grands Isströms.

Une fois ces vitesses connues, revenons au vêlage. L' irrégularité de ce phénomène en temps et volume est une de ses particularités. Il doit en résulter une variation extrêmement irrégulière de la longueur du glacier, variation sur laquelle on ne peut aucunement se baser pour affirmer la crue ou la décrue. La terminaison du glacier est de ce fait due à une rupture accidentelle et intermittente et non plus ou moins continue ou à allure régulière. Sans doute, si le front du glacier recule d' une très grande longueur pendant une longue suite d' années, on pourra croire à la décrue; nous verrons cependant que pour un recul de 8km, l' Isström de Jakobshavn ne peut être considéré comme certainement en retraite.

M Celle du glacier du Rhône, dans la chute de places est de 65 à 70 centimètres par jour.

un glacier peut être stationnaire, même à la rigueur rétrograder alors qu' il y a crue, mais dans ce cas on remarquera une plus grande intensité dans le vêlage. On voit par ces deux cas possibles combien l' étude de la variation de glaciers soumis à la décapitation est délicate et quelle prudence on doit y apporter.

UIssiröm de Jakobshavn est un des plus connus. Que l'on se figure un grand courant de glace d' une largeur moyenne de 8km. Il descend par une pente relativement faible dans un fjord recevant latéralement sur sa droite un autre fjord, le Sikuijuitsok, qui peut servir de repère pour les mesures de longueur du glacier. En 1851, d' après Rink, le glacier fermait presque complètement ce deuxième fjord. Vingt-quatre ans plus tard, Heiland constatait que le front avait reculé de 4km. En 1879, d' après Hammer, c' est à 7 km en arrière que s' arrêtait l' Isström. En mars 1880, il avait perdu lkm de plus, mais en août il avait reconquis sa position et l' avait même dépassée. De 1880 à 1883, le recul momentanément interrompu recommence; le glacier est alors à 8 kilomètres du point observé par Rink. En juin 1891, il fait encore quelques progrès; le front était alors taillé en hémicycle, et les deux bords s' avançaient plus que le centre. En 1893, le glacier se confondait avec les énormes fragments d' Icebergs qui couvraient l' eau du fjord; cependant, on pouvait constater que le recul s' était accentué, le glacier était plus en arrière qu' il ne l' avait jamais été.

De ce recul considérable de son front, on ne peut conclure que l' Isström de Jakobshavn soit en décrue. En effet, on n' a jamais remarqué une diminution du nombre et du volume des Icebergs à la surface du fjord. En outre, cet Isström s' écoule en mer sur un fond très peu incliné; une grande longueur du glacier est donc soumise aux mêmes conditions hydro-statiques. Il se produit annuellement des variations de longueur de 2 à 3 km. La cause est à rechercher tantôt dans la masse compacte et résistante des Icebergs congelés entre eux, tantôt dans une plus libre allure du front moins gêne, car il a devant lui une mer plus libre.

Ainsi en février 1893, les glaces flottantes qui couvraient le fjord s' étaient congelées depuis peu en un bloc compact, autrement dit, la période pendant laquelle le fjord est relativement libre et durant laquelle le vêlage est plus grand, venait de se terminer. Il n' est donc pas étonnant, pense M. de Drygalski, de trouver le front du glacier si en arrière. Hammer, en 1833, avait vu l' Isström en août, soit quelque temps après la débâcle du fjord; le vêlage avait été peu actif pendant longtemps, le front du glacier avait pu avancer, comprimant les glaces flottantes, de telle sorte que cette poussée en avant n' était que le résultat de la saison. L' état d' allongement extraordinaire que Rink a signalé en 1850 était anormal; probablement que depuis un certain temps aucun vêlage ne s' était fait sentir. D' après M. de Drygalski nous devons conclure que risström n' a pas subi de décrue proprement dite pendant cette dernière moitié du siècle; ses variations ne sont dues qu' à des causes locales dont le jeu s' effectue en dehors du glacier.

Nous savons que parfois l' Inlandsis confine à la mer par des lobes peu individualisés. Rink a désigné sous le nom d' Isstrom d' Upernivik un de ces prolongements dans des parages qui étaient réputés pour leur abondance d' Icebergs. En mai 1893, M. de Drygalski fut frappé du contraire. Le fjord était pauvre en glaces flottantes, et il apprit que depuis quelques années le glacier se rompait relativement peu. Il est possible que de telles variations dans la production des Icebergs soient le résultat d' allures particulières du courant de glace. Si la force d' écoule de l' Inlandsis se concentre vers un point pour former un Isström, les oscillations de la masse de l' Inlandsis peuvent être compensées, la production d' Icebergs diminuera, car ils ne seront produits que sur un point. Si, par contre, les glaces flottantes sont produites directement par le bord de l' Inlandsis, la moindre poussée en avant déterminera la production de nombreuses ruptures, et l'on verra flotter de nombreux Icebergs.

L' Isström d' Upernivik paraît être en crue, c'est-à-dire qu' il tendrait à former un glacier d' écoulement de plus en plus individualisé. Ryder signale le fait que la nappe congelée a atteint une île et couvert une région, à l' est de Kakertarsuak, qui, d' après le dire des indigènes, précédemment étaient libres de glace. A l' est d' une localité nommée Ta-siusak, on voyait 8 Nunataks en 1854; en 1874, un seul émergeait encore de la glace. Il n' est donc pas douteux que l' Isström d' Upernivik soit actuellement en crue. Il est à présumer qu' un avancement général se fait sentir dans les environs du 70° de latitude, depuis la deuxième moitié de ce siècle.

Les glaciers de la péninsule de Nuksuak, située sur le bord occidental du Groenland, sont alimentés par une de ces nappes locales que M. de Drygalski désigne sous le nom de y)Hochlandeisti.

Plusieurs de ces „ Kiistengletscher " ont une histoire.

Ainsi en 1850, Rink évaluait à 250 m la distance du front du glacier d' Asakak à la mer; en 1875, Heiland donnait le chiffre de 500 m; en 1879, Steenstrup mesurait 1150 m. A chacune de ces trois dates, le fleuve de glace avait un aspect particulier. Rink le vit bordé d' énormes moraines; Heiland constata qu' il était couvert d' une masse de débris si considérable que reconnaître exactement son point terminal était chose impossible; Steenstrup décrit une muraille de glace blanche. Le glacier a battu en retraite de 1850 à 1875 - 1879; à cette époque, cette muraille blanche était le symptôme d' un nouvel état; la crue avait déjà commencé. En 1892, en effet, M. de Drygalski constate que cette crue s' est accentuée: le glacier n' est plus qu' à 25 m de la mer et possède une haute masse frontale. La variation de longueur avait été, depuis la visite de Steenstrup, de 86 à 87 m d' avancement par an. Pour vérifier l' existence de la crue, M. de Drygalski place quatre séries parallèles de blocs de pierres peints. En 1893, à presque exactement une année d' intervalle, la quatrième ligne, celle qui était la plus rapprochée du glacier, est couverte par la glace. La marche n' a plus été que de 8 m pendant l' année écoulée; il y a une tendance à l' état stationnaire, à moins que l'on attribue ce ralentissement au changement de forme du glacier, qui durant ce temps s' est élargi.

Cette marche en avant et en arrière est bien différente de celle que nous avons vue se produire dans les grands Isströms; ici la variation a un caractère alpin.

Le glacier de Sermiasut, voisin du précédent, ne se comporte pas comme lui; ses variations paraissent être même totalement inverses. En 1850, 1875, 1879, son front est baigné par les eaux de la mer, qu' il domine, à cette dernière date, de 44 m. En 1892, il a diminué; le bord droit seul se termine encore par une paroi, mais elle n' a plus que 10 à I5 m de haut, et le recul a été de 10 m pendant l' intervalle de ces 13 ans.

Le glacier de Kome, du même groupe, n' a pas varié depuis 1850. Seul, le front de 200 m de hauteur est tombé à 193, en 1879, et à 188 m en 1893; cette très légère différence permet à peine de parler ici de décrue.

Le glacier d' Urniartofik ne paraît pas varier non plus; celui de Sarlcah oscille avec la même intensité que le glacier d' Asakak.

Ainsi une grande indépendance paraît régner entre ces glaciers de la péninsule de Nuksuak, comme Rink l' avait déjà remarqué. Si l'on compare la marche du Sermiasut avec celle d' Asakak, on voit que l' un des glaciers avance pendant que l' autre recule. M. de Drygalski pense que cette opposition dans le sens du mouvement provient d' une même cause qui, pour lui, serait mécanique. L' Hochlandeis est le champ nourricier commun. Si un écroulement subit d' une masse considérable de ce réservoir se fait sentir sur le haut d' un des glaciers, celui-ci entre en crue, tandis que les autres battent en retraite, car le bassin d' alimen est diminué par l' écroulement. De là le synchronisme de ces oscillations inverses. Cette hypothèse s' éloigne de celle admise pour les glaciers des Alpes; elle mériterait d' être étudiée attentivement.

On voit par ces quelques lignes combien il est impossible de tirer une conclusion sur l' état actuel des masses glaciaires dont nous venons de parler. M. Rabot, qui s' est livre à une recherche très documentée, conclut, par une analyse d' un plus grand nombre de glaciers que ne l' a fait M. de Drygalski, qu' une crue très longue de tout le siècle persiste encore de nos jours et se fait sentir sur les glaciers occidentaux dépendants de l' Inlandsis. L' auteur se base sur une série de faits signalés par les différents explorateurs du Groenland. Cette conclusion est en contradiction avec celle que M. de Drygalski tire de la présence de la Kryokonite ( I, page 103 ): „ Aussi longtemps qu' un horizon de poussière déterminé existe, la surface est en train de s' abaisser, parce qu' elle suit l' horizon de poussière. La persistance de celui-ci signifie pour la glace une période de recul

Est-il bien certain que la persistance de cette poussière signifie une période de recul? Nous savons que la Kryokonite est d' origine éolienne. Elle tombe sur toute la surface d' un glacier, mais elle ne devient visible que là où la quantité de neige disparaît totalement par fusion chaque année, c'est-à-dire dans la zone d' ablation dominante. En effet, dans la zone d' alimentation, la poussière est continuellement enfouie dans des couches nouvelles de neige; elle n' est pas visible. Si la Kryokonite est si remarquable dans la région occidentale du Groenland, c' est que l' In est pendant très longtemps exposé à la fusion superficielle. Cela n' est point surprenant quand on songe à l' étendue considérable de la région glacée du Grœnland et au temps que doit prendre l' Inlandsis pour sa descente à la mer. Si telle est la cause de la présence de la poussière de glace, nous n' osons, pour notre compte du moins, affirmer que la persistance de cette Kryokonite soit un signe de décrue. Sans doute, lorsqu' un glacier est en retraite, le recul peut être le résultat de l' exagération de la fonte, mais il peut être aussi causé par un changement de la quantité de neige qui tombe dans le bassin d' alimentation; quelle que soit la cause, de la décrue, celle-ci devrait donc avoir seulement pour résultat une augmentation de la quantité de poussière, laquelle serait aussi bien présente dans les périodes de crue et de décrue.

En faisant abstraction de cette contradiction qui n' est peut-être qu' apparente, nous voyons cependant que, quelle que soit l' idée admise, le problème des oscillations glaciaires de l' Inlandsis est loin d' être résolu. Les glaciers qui dépendent du Hochlandeis, comme ceux de la péninsule de Nuksuak, semblent par contre avoir des variations dont la période serait plus courte, rappelant celle des glaciers alpins.

Il faut attendre que des recherches futures méthodiques et répétées soient faites sur les bords de l' Inlandsis en plusieurs points. Grâce à M. Rabot, tous les documents qui existent jusqu' à ce jour ont été recueillis, et notre désir de savoir doit malheureusement s' arrêter là. Si nous trouvons peu de matériaux nouveaux au sujet des oscillations de l' Inlandsis dans ce magistral document élevé à la science par MM. de Drygalski et ses collaborateurs, on ne peut leur en adresser un reproche. Les problèmes de ce genre ne sont point de ceux qu' une seule généra- tion réussisse à résoudre. Pour arriver à une solution satisfaisante, il faut partir de faits rigoureusement établis. Sous tous les rapports, mais en particulier sous celui-là, l' ouvrage des explorateurs de la Société de géographie de Berlin restera un modèle en même temps qu' une source inépuisable de documents.M. L.

LXYI. Le lac temporaire de Mauvoisiu en 1898.

( Avec planche. ) Le grand intérêt que peut offrir aux amis de la nature alpine le dessin fait par un Veveysan, le 16 mai 1818, du barrage de la vallée de la Dranse par le glacier inférieur du Giétroz nous engage à le reproduire en nouvelle édition. C' est une planche lithographiée, non signée, qui accompagne une plaquetteintitulée: „ Course à l' éboulement du glacier de Gétroz et au lac de Mauvoisin au fond de la vallée de Bagnes, 16 mai 1818. Vevey, chez Lörtscher et fils, imprimeurs-libraires "; sans nom d' auteur, sans date2 ).

L'on y voit l' énorme barrage formé par le cône du glacier remanié du Giétroz, le lac temporaire avec les glaçons et icebergs qui flottent sur ses eaux. Une note explique une correction apportée par le dessinateur à la nature qu' il copiait: „ Quoique les montagnes fussent complètement recouvertes de neige lorsque nous fûmes au glacier, le dessinateur a pensé qu' il y aurait trop d' uniformité dans le tableau en peignant la scène telle qu' elle se montrait à ses yeux, ce qui l' a engagé de représenter les rochers à nu, pour mieux détacher l' ébouleraent de glaces et l' avalanche de neige qui entrent dans le lac. "

Je rappellerai en quelques lignes l' événement ainsi figuré. Le glacier du Giétroz, qui descend de la Ruinette, du Montblanc de Seillon, et du Mont-Pleureur, se brise au haut d' une paroi de rochers, à l' altitude de 2460 m, et s' éboule dans la vallée, où il forme un glacier remanié dont la base est à 1710 m. Ce glacier est ordinairement un cône de quelques dizaines de mètres de hauteur; son pied est baigné par la Dranse de Chermontane, qui l' attaque, l' évide et le détruit plus ou moins chaque année. Si le glacier est en crue, la chute de glaces est plus grande; si l' été est froid, la fusion du cône de glace est moins active, et inversement dans les conditions opposées. Le cône du glacier remanié varie donc de grandeur.

Les années froides de 1816 et 1817 ont amené une crue du Giétroz, comme de tous les glaciers des Alpes; le cône inférieur est devenu considérable; au printemps de 1817, il barrait déjà la vallée, et il y eut accumulation d' eau, rupture de la digue au commencement de l' été et petite inondation sans grands ravages. „ Le Rhône inonda cependant quelques terres basses et charria une grande quantité de bois. "

Dans l' hiver de 1818, le barrage se reforma et s' accrut. Au commencement d' avril, les montagnards, remarquant que la Dranse ne donnait plus d' eau, coururent à Mauvoisin et constatèrent avec terreur la formation d' un lac temporaire. Il mesurait le 16 mai, lors de la visite de nos Veveysans, 2100 m de long, 200m de large, 55™ de profondeur. Le barrage fut évalué par notre auteur à 200 m de longueur d' une paroi à l' autre de la vallée, à 1000 m de largeur, à 130 m de hauteur. Ce sont ce barrage et ce lac qui sont figurés dans notre planche.

On connaît l' histoire ultérieure de l' événement. Les Bagnards essayèrent, sous la direction de l' ingénieur Ignace Venetz, de vider le lac par une galerie creusée à travers le barrage, et ils y réussirent en partie, car le lac s' abaissa de 15 m en 60 heures et laissa évacuer le tiers de son volume sans dégâts et sans péril pour la vallée. Mais une brèche se produisit tout à coup le 16 juin, et le reste du lac s' écoula en quelques minutes en un torrent furieux qui ravagea la vallée et y causa des ravages considérables. Voici une description que nous tirons de l' Almanach du Messager boiteux de Vevey pour l' année 1819; elle renferme quelques détails curieux:

„ La galerie, longue de 608 pieds de France, fut achevée. On continua à l' abaisser jusqu' au 13 que l' eau commença à y entrer vers les 10 heures du soir. En passant par la galerie, le torrent rongeait et abaissait successivement sa surface, et la diminution du lac s' opérait dans la même proportion. Elle était déjà de 30' 2 pieds le 16 juin, à 6 h. du matin; à 21la h. après-midi, le lac était retiré de 1950 pieds sur sa longueur. Cependant, les chaleurs soutenues et concentrées dans les gorges étroites des Alpes qui avoisinaient le lac avaient amolli ou fondu les veines de neige qui se trouvaient entre les débris de glace dont la digue était composée, ce qui formait des crevasses dans toutes les directions de cette masse; en passant par la galerie, l' eau pénétrait dans ces crevasses et Les variations périodiques des glaciers des Alpes.

entraînait de gros fragments qui tombaient des parois et de la voûte; à sa sortie, elle formait une chute qui rongeait successivement et verticalement la barre en forme de tranchée; cette tranchée s' avançait toujours plus contre le bassin du lac et ne restait plus en rapport avec la dissolution horizontale de la galerie. Cette partie étant considérablement affaiblie, l' eau commença à se frayer un passage dans les terres au-dessous, et le mardi 16 juin, à 41la h. du soir, un éclat terrible en annonça la rupture.Cette description, qui est plus précise et plus complète qu' aucune de celles qui ont été publiées, intéressera certainement ceux qui ont à diriger des travaux analogues à ceux que Venetz a tentés dans le barrage du Giétroz en 1818.F.A. F.

LXVII. Chronique des glaciers des Alpes suisses 1898.

Soixante-dix glaciers ont été observés cette année, la plupart par les soins de l' Inspection fédérale des forêts, quelques - uns en outre par d' obligeants correspondants.

Nous donnons ci-dessous, comme précédemment, le résultat de ces observations:

I. Bassin du Rhône.

Glacier.

Vallée.

Valeur de la variation.Sens de la va- 1896.1897.1898. nation actuelle.

m ni Rhône Conche — 19 — 12g décrue Fiesch Fiesch — 34 — 6 décrue Aîetsch Massa 0 — 5,5 — 9,5 décrue Latschen Lötschen

— 1 — 10 décrue Zanfleuron Sanetsch — 38 — 7 — 11 décrue Kaltwasser Saltine — 1 — 1

+ 12,3

crueRossboden Simplon 0 0,6 - 0,7 décrue Fée Saas — 1 0 — 1 décrue Allalin j1 — 0,5 — 12 décrue Gasenried St-Nicolas

+ 14

+ 12

— 15 décrueFindelen n — 6 — 4 — 9,3 décrue Zmutt n — 9 — 12 — 13 décrue Gorner n — 4 — 9 - 7,7 décrue Tourtemagne Tourtemagnej — 9 — 9 décrue Durand Anniviers — 50 — 50 — 30 décrue Moiry n — 4

+ 4,10

crue Ferpècle Hérens — 3 — 11 — 10 décrue Zigiorenove n

— 73 — 49 décrue Ar olla 0 — 16 — 8 décrue Grand Désert Nendaz — 4 — 5 — 10 décrue Jahrbach des Schweizer Alpenclub. 34. Jahrg.

2JK ) F.A. Forel, M. Lugeon et E. Muret.

Glacier.

Vallée.

Valeur de la variation.Sens de la vn- 1896.1897.1898. riation actuelle.

m m m Montfort Nendaz — 10 0 — 4 décrue Corbassière Bagnes — 1

crue Durand — 27 — 7 — 10 décrue Otemma — 43 — 5 — 17 décrue Boveyre Entremont

+ 17

+ 12,5

+ 13,6

crue Valsorey n — 3 — 2,6 - 4,8 décrue Saleinaz V

- 7,5 — 23 décrue La Neuvaz Ferret

— 5 — 19 décrue Trient Trient0 — 1 — 13 décrue Le mouvement de décrue est ainsi plus caractérisé que l' année dernière; 3 glaciers seulement sont en crue certaine au lieu de 5; ce sont Moiry et les deux glaciers descendant du Grand Combin: Corbassière et Boveyre.

Gasenried a repris son mouvement de décrue. Tzeudet n' a pu être observé.

La crue du KaMwasser ne sera considérée comme certaine que qu' elle aura être confirmée par des observations ultérieures.

Glacier du Rhône. Notes de M. L. Held, ingénieur du bureau topographique fédéral. La décrue continue; M. Held exprime l' état du glacier en donnant le rayon du cercle inscrit par la langue du glacier. Il a été dans les dernières années:

1894 180 m1897 157"> 1895 1896 175 m 162 m 1898 1531 Le recul maximal de 1897 à 1898 a été sur la rive droite 24 m, sur la rive gauche 29 m.

Trois inondations dues à des glaciers ont été signalées en Valais cette année.

La première date, du 22 juin; une poche d' eau2 ) incluse dans le glacier de la Neuvaz ( val Ferret ) ayant rompu ses parois, une grande masse liquide s' écoula dans le torrent et envahit la forêt de l' Ancone, en l' endommageant passablement. L' écoulement anormal de l' eau dura une heure environ ' ).

Le 21 août c' était au tour du glacier de Hochberg ( Randa, vallée St-Nicolas ). Vers 11 heures du matin, une poche s' est rompue en entraînant une partie de la moraine et s' est déversée dans le Birchbach. De gros blocs de 50 à 60 m3 ont été entraînés dans la gorge que suit le torrent et se sont arrêtés au débouché sur le cône de déjection, en obstruant complètement le lit primitif. Le torrent s' est alors creusé un nouveau lit et s' est précipité dans la Viège en coupant la voie ferrée en deux endroits et en la recouvrant d' une couche de matériaux de 2,50 m d' épais, dont plusieurs blocs de 2 à 3 m3. Tout cet apport a eu lieu très: brusquement puisque à Viège même, soit environ 20 kil. plus bas, on distinguait encore parfaitement bien délimité l' avancement du flot noirâtre du Birchbach dans l' eau pure de la Viège. 2 ) Mais la plus importante de ces débâcles est celle du 17 juillet, dans la vallée de Bagnes, due à la rupture d' un lac temporaire qui se forme périodiquement à la jonction des glaciers d' Otemma et de Crête-Sèche, à une altitude de 2400 m environ. Les dégâts causes par cette catastrophe aux communes et aux particuliers riverains de la Dranse ont été taxés à fr. 110,000. Le torrent subitement grossi, a en effet non seulement anéanti les récoltes de l' année, mais a emporté les propriétés qui avaient été peu à peu rendues à la culture depuis la trop mémorable catastrophe du Giétroz en 1818. Douze ponts, des scieries, des moulins ont aussi été détruits et entraînés dans la Dranse.

M. le prof. Oettli qui se trouvait sur les lieux a voulu se faire une idée aussi exacte que possible de la quantité de matériaux charriés par le Rhône durant cette crue. Il a prélevé un litre d' eau et a pesé la quantité d' alluvion suspendue, sable argileux-talqueux, qu' il contenait; il y en avait 12,18 grammes, soit 12 kilos par m3. En prenant comme débit moyen du Rhône ce jour-là, 600 mS par seconde, il passait donc en chiffres ronds 7 tonnes de boue par seconde ou 25,200 tonnes par heure. En admettant un débit semblable pendant 10 heures on arrive à un total de 252,000 tonnes de sable, ce qui avec un poids spécifique d' environ 1,5 représente 166,000 m3 de boue entraînés de la montagne au lac pendant cette journée seulement. Et ce chiffre peut être considéré comme un minimum.

Une catastrophe semblable à celle du dimanche 17 juillet 1898 avait déjà eu lieu — quoique en proportions plus réduites — le 28 juin 1894 et le 18 juin 1895 ' ). La date tardive de 1898 doit être probablement attribuée aux retours de froid de la mi-juin, qui ont arrêté pendant quelque temps la fonte des neiges.

Peu de torrents des Alpes sont aussi sujets que la Dranse à ces crues subites et désastreuses. Le chanoine Boccard en signale une déjà en 580 à la suite de laquelle l' évêché fut transféré à Sion; il en mentionne une autre le 7 août 1549, une autre — la plus désastreuse — le 26 mai 1595 où 70 personnes perdirent la vie; une quatrième en septembre 1640 et enfin celle de 1818 dont beaucoup se souviennent encore.

Pour éviter le retour de pareils désastres, le gouvernement du Valais fait exécuter des travaux réguliers au glacier du Giétroz; il a fait étudier aussi un projet de travaux de corrections à exécuter sur celui de Crête-Sèche et l' a soumis au Grand Conseil accompagné d' un très intéressant rapport, qui nous a été obligeamment communiqué par M. de Torrente, inspecteur cantonal des forêts et dont nous extrayons les renseignements suivants:

La formation de ce lac temporaire est le résultat de la décrue des glaciers d' Otemma et de Crête-Sèche. La digue est formée par la moraine latérale gauche du premier de ces glaciers qui s' est maintenue plus élevée que le reste du glacier parce qu' elle est recouverte de pierres et que l' ablation y a été moins active qu' ailleurs. Le seul remède à apporter à la situation consistait à abaisser cette digue en creusant une tranchée dans la moraine, à un endroit où un exutoire dans le glacier servait de passage souterrain aux eaux d' écoulement. Cette tranchée s' était déjà formée naturellement deux jours avant la grande catastrophe; une crue partielle avait eu lieu et avait creusé dans la moraine une brèche de 4 m en abaissant d' autant le niveau du lac. Sans cette coïncidence, le sinistre eût été encore plus grand. On décida d' agrandir encore cette brèche et d' abaisser d' au 8 m le niveau du lac pour diminuer la capacité du réservoir.

Les travaux devises à fr. 50,000 seront terminés au printemps de 1899.

Alpes vaudoises. Ces glaciers ont des variations très faibles. Les Martinets et le Petit Plan-névé sont stationnaires. Paneyrossaz présente une décrue de 1 à 1,5 m et Grand Plan-névé de 2 à 2,5 m suivant les répères.

Trois nouveaux glaciers seront en observation l' année prochaine aux Ormonts et dans le d' Enhaut.

Les variations périodiques des glaciers des Alpes.

Glacier.

Vallèe.

II. Bassin de l' Aar.

Valeur de la variationSens de la va- 1896.1897.1898. nation actuelle.

SteinGadmen1 UnteraarAar14 RosenlauiReichenbach8 Ob. Grindelwald Lütschine3 Unt. Grindelwald0 EigerWeisse Lütschine 0 GamchiKienthal4 BlümlisalpKander5 WildhornIfflgen

m m

— 12 décrue — 3 — 25 décrue

+ 25

+ 10

crue

+ 24

crue0 0 stationnaire 0 0 stationnaire — 3 — 5 décrue — 5 — 2 décrue — 27 — 27 décrue21 décrue GeltenLauenen

Un seul glacier, le Rosenlaui, est en crue bien caractérisée. M. Marti, qui observe le glacier de Ob. Grindelwald, le considère comme stationnaire et attribue ses légères crues et décrues à de simples changementsde forme.

La crue du Steingletscher indiquée l' année ^dernière n' a pas persisté.

Le glacier du Gelten resté sous la neige depuis 1896, a fondu sous la neige qui le recouvrait.

Les glaciers de Tschingel et de la Kander sont recouverts par des avalanches et n' ont pu être observés.

III. Bassin de la Reuss.

Dans le canton A' Uri, les quatre glaciers observés sont en décrue; le Kartigel de 13 m ( en 1897: 5 m ); le Wahlenbühl de 19 m, le Rossfirn, qui est plutôt un névé qu' un glacier, de 170 m; l' Erstfeld de 16 m. Ces trois derniers glaciers n' ont pas été observés en 1897.

Décrue aussi dans Obwalden; le Griessen et le Grassen ont reculé de 10 m et de 7 m ( en 1897: 10 m et 11 m ). Le Firnälpeli seul avance suivant les repères de 8—20 m. Mais cette crue apparente paraît être accidentelle et le résultat d' une simple déformation.

M. E. Krayer-Ramsperger, notre excellent correspondant de Bâle, n' a pas été remplacé cette année encore pour l' observation des glaciers du Maderanerthal qu' il avait fidèlement suivie pendant 15 ans. M. Jauch, inspecteur cantonal des forêts à Altdorf, nous fait espérer que ces observations seront reprises, Fan prochain, par ses soins.

IV. Bassin de la Linth.

Dans le canton de Glaris, le Eiferten a fait une décrue de 12 m durant ces deux dernières années et s' est considérablement aplati. En revanche, le glacier des Clarides, en décrue encore en 1894 et 1895, s' est remis en crue ( 16œ ) cette année.

F.Â. Forel, M. Lugeon et E. Muret V. Bassin du Rhin.

Glacier.

Territoire.

Variation.Sens de la variation 1895. 1897. 1898actuelle.

Piz d' ErrTinzen6décrue SegnesFlims — 840décrue LentaVais — 89décrue PuntaiglasTruns — 69décrue PorchabellaBergiin8 — 10décrue YöriKlosters0 stationnaire ScalettaDavosj- 5crueSchwarzhorn4cruePizolPfäfers20 -j-137,4décrue Sardona... .j- 95,5décruePour Yöri, Scaletta et Schwarzhorn la variation indiquée est le résultat des trois années 1895—1898 pendant lesquelles la neige avait empêché les observations. Pendant ce temps le Yöri s' est déformé, mais il y a compensation à peu près complète entre les divers points, en sorte qu' on peut considérer ce glacier comme stationnaire. Pour la Scaletta et le Schwarzhorn, le mouvement de crue semble bien marqué, mais devra être confirmé par des observations ultérieures. Notons cependant le fait que ces mesures, donnant le résultat général de trois années, en assurent la signification bien mieux que si elles représentaient la variation d' une seule année.

Pour le Pizol, la variation en crue notée l' année dernière semble avoir été accidentelle, et nous le considérerons jusqu' à nouvel avis comme étant en décrue. Pour le Sardona, en présence des observations de sens opposés des deux dernières années, nous resterons dans le doute jusqu' à des observations ultérieures.

M. le capitaine Ant. Brun à Flims ( S.A.C. section Piz Terr .) veut bien nous communiquer quelques observations concernant le Vorap-gletscher. Le 20 septembre 1887, M. Brun a taillé dans le roc trois repères du côté sud du glacier. Le recul à chacun de ces trois repères a été de 1° repère occidental.

20 sept. 1887 — 20 sept. 1895 décrue —48 m moyenne annuelle — 6 m. 20 „ 1895 — 20 „ 18976»3 m.

20 „ 1897 — 20 „ 189810 m.

2° repère du milieu. Le front du glacier est ici plus épais et le recul moindre.

Les variations périodiques des glaciers des Alpes.

20 sept. 1887 — 20 sept. 1895 décrue — 32 in moyenne annuelle — 4 m. 20 „ 1895—20 „ 18976 m3™.

20 „ 1897 — 20 „ 18988 m.

3° repère oriental. 20 sept. 1887 — 20 sept. 1895 décrue — 62 m moyenne annuelle — 7,75 m.

20 „ 1895 — 20 20 „ 1897—20 1897121 » — 6 m.

„ 189822 m.

Moyenne annuelle: décrue de 6 m.

Durant ces 40 dernières années, le Vorapgletscher a diminué considérablement et s' est retiré vers l' ouest de 2 kilomètres à peu près. En revanche son épaisseur n' a pas diminué.

C' est en 1881 et 1882, que la décrue a été la plus considérable.

VI. Bassin de l' Inn.

Glacier.

Territoire.

v aleur 1895.

de la variation 1897. 1898.

Variation actuelle.

m m m Roseg Samaden

+ 14

crue Morteratsch Pontresina — 12 — 37 — 12 décrue Picuogl Bevers — 17 — 13 — 20 décrue Lischana Schuls

La crue bien caractérisée du Roseg est en moyenne de 8 m par an.

VII. Bassin de l' Adda.

Glacier.

Territoire.

Valeur de la variation 1895.1897.1898.

Variation actuelle.

Forno Palü Maloja Poschiavo — 15 — 9 — 12décrue + 4 — 24 — 4,5 décrue VIII. Bassin du Tessin.

Lucendro Airolo —3 m. Décrue énorme et continue depuis 1874.

Bresciana Aquila — 2 m. Décrue.

Cavagnoli Bignasco de 1893—1896 décrue annuelle moyenne—10 m. En 1898 — 5 m. Sassonero Peccia stationnaire en 1895 et 1896. Crue de 2 m en 1898

Résumé.

Nous avons pour l' année 1898 des observations de 70 glaciers. Sur l' ensemble, les mesures faites nous indiquent une crue plus ou moins certaine chez 12 glaciers; nous devons donc compter 58 glaciers en F.A. Forel, M. Lugeon et E. Muret.

décrue ou à l' état stationnaire. Nous devons en plus admettre que la très grande majorité de ceux qui n' ont pas été soumis à des mesures sont de même en décrue. Donc, nous sommes actuellement en phase de décrue générale.

Quant aux glaciers à allures critiques en 1898, pour permettre de mieux apprécier leur situation, nous donnerons en un tableau les conditions de tous ceux qui, ou bien lors des précédentes observations, ou bien dans les observations de cette année, ont présenté des indices d' al ou des changements d' allure. Nous désignons par un point d' interrogation les cas dans lesquels la constatation de la crue ou de la décrue n' est le résultat que d' une seule observation, et nous appelons ces cas des cas probables et non certains. En effet, l' expérience nous a appris à ne pas nous baser sur une seule observation pour affirmer le sens de la variation d' un glacier; une observation isolée est trop souvent altérée par des accidents locaux et fortuits; elle ne devient certaine que lorsqu' elle est confirmée par des mesures ultérieures.

Tableau des glaciers à allures critiques en 1898.

Bassin.

Glacier.

Observation précédente.

Observation de 1898.

Rhône Kaltwasser décrue crueGasenried crue décrueMoiry cruecrue Corbassière cruecrue Tseudet crue — Boveyre crue crue Aar Stein cruedécrueRosenlaui cruecrue Ob. Grindelwald crue stationnaire Gelten crue décrueReuss Firnälyeli décrue crueLinth Clarides décrue crueRhin Pisol cruedécrue Sardona cruedécrueScaletta — crueSchwarzhorn — crueInn Roseg crue crue Lochana décrue crueAdda Palü décruedécrue Tessin Sassonero stationnaire crueNous résumerons dans le tableau suivant les allures des glaciers soumis en 1898 aux observations des forestiers suisses. Nous donnerons, comme termes de comparaison, les î nêmes valeurs de l' année précédente.

: 1897.

1898.

En décrue certaine.

36 45 En décrue probable..

10 7 Stationnaires

6 6 En crue probable.

8 7 En crue certaine...

4 5 Non observés

15 14 Les glaciers en crue certaine en 1898 sont:

Bassin du Rhône: Moiry ( depuis 1897 ), Corbassière ( 1897 ), Boveyre ( 1893 ).

Aar: Rosenlaui ( 1897 ).

Inn: Roseg ( 1895 ou peut-être avant ).

Ajoutons ici le Tseudet ( Rhône ), qui est en crue confirmée depuis 1895, mais n' a pas été mesuré cette année.

En crue probable sont:

Bassin du Rhône: Kaltwasser. Reuss: Firnälpeli. Linth: Clarides. Rhin: Scaletta, Schwarzhorn. Inn: Lochana. Tessin: Sassonero.

E. M. et F. A. F.

IV.

Kleinere Mitteilungen.

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